Brise des Champs Elysées

L’émeute revient et s’installe dans nos actions. Une partie de notre camp social succombe au chantage médiatique de la désolidarisation. Petite réflexion pour briser la vitrine de l’union sacrée contre l’émeute.

« Si nous sommes attaqués par l’ennemi, c’est une bonne chose, car cela prouve que nous avons tracé une ligne de démarcation bien nette entre l’ennemi et nous. Et si celui-ci nous attaque avec violence, nous peignant sous les couleurs les plus sombres et dénigrant tout ce que nous faisons, c’est encore mieux, car cela prouve non seulement que nous avons établi une ligne de démarcation nette entre l’ennemi et nous, mais encore que nous avons remporté des succès remarquables dans notre travail. » Mao Zedong, 23 juin 1950

Quand le système vacille, il fait front, national ou républicain. Quelques vitres brisées et tout le monde s’agite. Voilà que les éditorialistes vomissent leurs envies de répression et dramatisent à outrance, au point que quelques émeutes deviennent une guérilla urbaine. Puis c’est le grand bal des mots : « ultras », « black bloc », « ultras jaunes », « extrémistes » « professionnels de la casse ». Leur poésie mortifère peine à passer, si l’on en veut pour preuve que de semaine en semaine iels répètent tou·te·s en boucle les mêmes inepties. Le terrain bien installé, les aboyeurs des chaînes en continu passent à l’offensive, il faut traquer les irresponsables - comprenez les seul·e·s qui ne veulent pas s’accoutumer à leur consensus politique. C’est là que surgit le front. Extrême droite, extrême centre, gauche « radicale » se pavanent sur les ondes pour avancer leurs intérêts boutiquiers et pour condamner les violences. Ils brisent des vies, nous brisons des vitres, et personnes pour soulever ce simple constat. Sinistre spectacle que celui de la « gauche » trop couarde pour dire autre chose que la droite et ses extrêmes. Si acquiescer au chantage les rendait audibles, la France serait une République socialiste. Les partisan·e·s de la « transformation sociale » sont épris·e·s d’un syndrome de Stockholm. Contre les violences policières quand elles crèvent les yeux, mais contre les « casseurs » quand iels brûlent un Macdo. Militant·e·s d’un changement, mais défenseurs de l’ordre. Dans leur inconséquence, iels cèdent du terrain et l’ennemi, habile, en profite à moindres frais. Voilà qu’on va jusqu’à leur reprocher leurs mots, jugés « trop durs », voire incitatifs, d’un combat auquel iels ne prennent même pas part. Pris à la gorge, iels n’auront bientôt rien pour trancher la corde qu’iels ont eux-mêmes nouée.

Certaines voix peuvent-elles être sauvées de leur prisonnière complicité ? Difficile d’y croire. Pourtant, d’émeute en émeute, de samedi en samedi, le prix d’une vitre a chuté. L’habitude de l’incongru transforme le réel. La brise des Champs a fracassé leurs interdits. Feindre l’insupportable et convoquer l’indignation ne marche pas dix fois. Que les aficionados du samedi lacrymo aient été applaudi·e·s leur fait broyer du noir. C’est à leur front qu’il faut désormais s’attaquer. Rompre le bavardage médiatique, pour contraindre certain·e·s à sortir de leur collusion spontanée. Ce pourrait être cause perdue. Iels pestent contre cette démocratie, mais s’y joignent, iels s’époumonent à dénoncer le capitalisme, mais s’y résignent, s’effarouchent du racisme, mais participent des grandes concordes nationales en compagnie des pompiers pyromanes. Iels sont communistes, insoumis·e·s, syndicalistes, de la « gauche radicale ». C’est vrai. Mais s’ils doivent nous intéresser, c’est que leurs jeux d’équilibristes les rendent bien plus fragiles que les convaincu·e·s de l’ordre répressif. Combien de leurs camarades ont-iels d’ailleurs rejoint nos rangs, perdant leurs illusions ? Cette fois, on pourra remarquer que certain·e·s ont tenté timidement de refuser de commenter pendant des heures, les images d’un Fouquet’s en cendre et de la journée portes ouvertes sur la « plus belle avenue du monde ». Leur faire défendre le symbole sarkozyste était l’injonction de trop. Fissurons leurs certitudes, semons le doute, bousculons-les.

En face, les masques tombent. Mutilation, répression, fascisation, le dispositif sécuritaire n’a plus de limite. Nos actions éreintent les innocences de façade dont s’affublent les gouvernant·e·s. Iels s’exténuent à nous répondre, et dans leur fatigue révèlent l’indicible ignominie de leurs agissements. Ainsi, la ligne de crête des ami·e·s égaré·e·s dans le fantasme institutionnel devient difficilement praticable. Assurons-les qu’iels pourront tomber entre de bonnes mains. « Ne nous regardez pas, rejoignez nous » chantent certain·e·s d’entre nous, comme un appel en vain, à celles et ceux qui trépignent d’impatience, mais ne franchissent pas le Rubicon. Abaissons de nouveau le plafond de l’impensable, creusons la crise, provoquons la contradiction. Entraînons-les là où iels n’auront qu’un choix : nous rejoindre ou renoncer. Ne nous refusons rien, mais refusons-leur leur résignation. Quand cette « gauche » ne voguera plus en vents contraires, plus qu’une vitre, nous aurons brisé la vitrine de l’union sacrée. 



Azad Souvarine

Localisation : Paris

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