Après un « refus d’obtempérer », un jeune homme condamné à deux ans d’emprisonnement

Le 13 octobre dernier, la presse lyonnaise se faisait l’écho d’un nouveau « refus d’obtempérer » quai de Bondy. Derrière des titres sensationnalistes se trame une histoire banale faite d’une tentative d’échapper à la flicaille et d’années de prison distribuées sans sourciller par des magistrats aux ordres. Récit du procès du conducteur. Article publié sur Rebellyon

Le 12 octobre, au soir, une patrouille de la BAC est doublée par la droite « à vive allure » par un scooter qui grille un feu. Au volant, Abdennour, 25 ans, livreur, sans-papiers et fatigué de sa journée de taff’. Il espère rentrer chez lui rapidement. Les policiers mettent le gyro et se jettent à sa poursuite. Ils le rattrapent et le bloquent en se garant devant lui. Trois descendent, arme à la main. Sans permis et sous OQTF, la décision est vite prise : le scooter tente le tout pour le tout et trace. Un policier se jette sur lui et l’agrippe par la taille. Il est alors traîné sur quelques mètres avant de réussir à monter sur la scelle. Il se retrouve derrière le conducteur... Après lui avoir hurlé de s’arrêter, il sort son arme, le menace avec puis tire sur le compteur du deux-roues. Finalement le scooter se gamelle. Le conducteur finit au poste, puis en détention préventive. Son procès en comparution immédiate se tenait le 22 novembre.

Aux comparutions immédiates

Devant le nombre de comparutions immédiates, une deuxième salle a été réquisitionnée [1]. Abdennour est en détention depuis plus d’un mois pour « refus d’obtempérer », « violences sur personne dépositaire de l’autorité publique avec arme par destination [le scooter] » et « conduite sans permis ». Au vu du comportement méprisant de la juge envers les détenus-prévenus quand ils comparaissent – « sortez les mains de vos poches », « c’est par ici que ça se passe » (dès qu’ils cherchent un regard ami dans la salle), « placez vous à gauche, non un peu plus à droite, non à gauche » – on sent vite que c’est mal embarqué. La magistrate ouvre les hostilités en retraçant l’histoire du point de vue policier. Le feu rouge grillé, la tentative de fuite, le policier « traîné sur plusieurs mètres » avec un scooter qui « monte sur un trottoir, roule sur une piste cyclable et frôle le mobilier urbain ». Mais la version policière, reprise sans sourciller par la juge et le procureur, va plus loin : alors que c’est le policier qui s’est volontairement jeté sur un scooter en mouvement, puis a sorti son arme et tiré ; alors qu’au sol, le bacqueux a étranglé Abdennour avec son casque et lui a écrasé son talon sur le visage, c’est en fait Abdennour qui aurait volontairement tenté de blesser le fonctionnaire en frôlant un poteau. C’est ce dernier la véritable victime de ce procès.

Le policier a d’ailleurs fait le déplacement, accompagné d’un collègue et de sa compagne. Constitué partie civile, il s’avance vers la barre. La juge, aux petits oignons, le questionne : « vous avez besoin de surélever votre jambe ? », « vous pouvez vous asseoir ? ». Présent pour obtenir la condamnation la plus forte possible, il insiste sur le fait que sa qualité de policier était connue d’Abdennour et sur le sentiment de peur qui l’a traversé : « je me suis vu mourir ce soir-là, j’ai failli terminer dans un poteau sans casque, sans protection », « il a frôlé le mobilier urbain sciemment ». Il déplore que ses menaces de tirs n’aient pas fait stopper la course. Et il assume : s’il n’a pas tiré sur Abdennour, c’est simplement parce qu’il roulait trop vite et qu’il craignait que la chute ne le tue dans le même temps. Un tir en l’air ? « Cela aurait pu finir dans la fenêtre d’une habitation ». Restait le compteur « bourré de matériel électronique embarqué » en espérant que le tir coupe le contact. Il a ensuite profité du ralentissement du Tmax pour se faire chuter avec Abdennour avant que ses collègues n’arrivent – « une éternité » selon lui. Au sol, après lui avoir mis des coups (notamment au visage), un des policiers va demander à un badaud d’effacer la vidéo qu’il a faite de la scène... Un fait que le policier se gardera bien d’évoquer devant la cour, préférant parler de son état de choc. Son avocate renchérit et insiste sur les « conséquences psychologiques » qu’il subit, le risque de phlébite, ses séances de kiné à venir... Avant de conclure en parodiant le slogan du NPA nos vies valent plus que leur profit ») : « il a été très choqué, il s’est dit que sa vie, ça valait moins qu’une simple amende ».

C’est au tour du procureur de prendre la parole, dans un mélange de flatteries envers la police et de considérations dignes du Front National : « celui-ci [Abdennour] est sans titre de séjour et se maintient pourtant sur le territoire national. Sans permis de conduire et pourtant au volant d’une grosse cylindré »... Pour lui, s’il y a une victime ce sont bien les policiers qui « ont opéré de manière académique et selon les règles de l’art dans leur tentative d’interpellation ». Il se tourne vers le fonctionnaire et salue son « sang froid ». L’usage de l’arme s’est faite « de manière exemplaire ». En répression, il demande une condamnation de dix-huit mois de prison. Tout en rajoutant que « celui-ci a vocation à quitter le territoire comme le préfet le lui a indiqué il y a quelques jours ».

L’avocat de la défense, choisi sur le tard, « ne conteste pas la prévention ». Il ne « va pas plaider l’implaidable ». Plutôt que de défendre son client et de remettre la réalité sur ses pieds, il se contente d’être « navré pour ce qui arrivé à ce fonctionnaire de police. Il [Abdennour] est navré. Je suis allé le voir en prison. Il a voulu prendre de ses nouvelles ». « Il va vouloir échapper au contrôle. Sa situation administrative l’inquiète. Il fera tout pour ne pas se retrouver au CRA. À ce moment-là, il n’a pas la volonté de commettre des violences. Ça me gêne quand on vient dire qu’il a recherché le mobilier urbain. Il avait peu de place pour passer. C’est un sentiment des policiers mais rien ne permet objectivement de l’affirmer. Il n’y a pas d’intention délibéré de nuire à l’intégrité corporelle du fonctionnaire de police. C’est cette fuite en avant qui l’anime qui explique son geste et rien d’autre ». Il n’évoque pas les violences qu’Abdennour a subi après que le scooter a chuté. « Il n’a qu’un souhait, c’est que celui-ci [le policier] puisse se rétablir. Il avait dans le scooter un terminal de paiement, c’est son seul moyen de survivre dans un pays où il n’a pas de papiers ». Des explications qui n’ont pas attendri le tribunal. Le procureur demandait dix-huit mois ferme. La juge lui en infligera vingt-quatre. Deux ans de prison pour un feu rouge grillé et un policier-cow-boy qui se prétend « victime ». Le monde à l’envers.

Si Abdennour n’a pas fini comme la quinzaine de personnes tuées par balle cette année pour « refus d’obtempérer », sa peine est bien lourde. Pour lui remonter le moral, on peut lui écrire en détention : pour cela, vous pouvez écrire à Caisse de Solidarité, 91 rue Montesquieu 69007 qui lui transférera.

Article paru initialement sur Rebellyon

Notes

[1Le procès juste après était d’ailleurs une histoire similaire : une course-poursuite-refus d’obtempérer sur trente-trois km dans l’agglomération lyonnaise, « une des pires que nous ayons eu à traiter depuis le début de l’année » selon le proc’ qui a demandé trois ans de prison.

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