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Et bien voilà, on est rentré-e-s. Bref passage à Francfort pour le blocage de la Banque Centrale Européenne. Séjour bref mais intense au cours duquel trouver du repos a été un exercice difficile. On a beaucoup marché et peu dormi. La nuit de lundi était froide, les suivantes ont été courtes.
L’organisation du Blockupy avait prévu des dizaines de lieux pour dormir, entre appartements individuels et espaces collectifs, mais pour beaucoup situés bien loin de Francfort. Un staff surmené était chargé de coordonner tous ces lieux et d’attribuer des couchages en fonction des demandes. Un lieu entier avait même été prévu pour les français-e-s, mais peu y sont allé-e-s : trop loin. Les conditions d’accueil étaient variable d’un lieu à l’autre, mais on ne peut pas nier que tout était fait pour que chacun y trouve son compte. Et même si dormir à même le sol dans un chapiteau à 1°C est un challenge difficile à relever à la veille d’une grande bataille...
On sentait bien qu’il y avait, en plus de l’organisation officielle sous le logo Blockupy, une ou plusieurs autres organisations officieuses, faites d’amitiés et de solidarités politiques, qui ont permis de décoincer certaines situations, notamment pour que des centaines de personnes non annoncées puisse dormir au chaud, y compris dans des lieux qui n’avaient pas été prévus pour ça.
La plupart des participant-e-s sont arrivé-e-s entre mardi après-midi et mercredi matin, convergents par centaines vers une ville en état de siège. La police fédérale avait déployé près de 9800 flics, logés dans 130 hôtels. La Banque Centrale était entourée d’un dispositif martial constitué de 28 canons à eau, un nombre incalculable de véhicules, dont quelques chars blindés. Tout autour du gratte-ciel avait été mis en place un périmètre cerné de barbelés Otan en lame de rasoir et des lignes de flics en faction déjà bien avant le début des hostilités.
Lundi soir, une première assemblée d’environ 700 personnes s’est tenue à ExZess Café pour échanger toutes les informations pratiques sur le déroulement de la semaine. L’occasion de découvrir un lieu vraiment chouette, avec un bar à l’entrée et une immense salle en enfilade, accompagnée d’une très chouette bibliothèque et d’un infokiosque bien fourni.
Une seconde assemblée de rattrapage le mardi soir au siège du syndicat DGB a réuni au moins le double de participant-e-s dans un bâtiment loin d’être aussi accueillant que le café de la veille, dans une immense tour de verre qui n’a rien à envier aux sièges de banques du quartier attenant. L’organisation de cette assemblée, prise en charge par la gauche interventionniste, a pris les formes d’une tribune et d’interventions applaudies par un public massé dans une salle bien trop étroite pour contenir le tiers des personnes présentes. Pas si grave.
Ce qui nous amène au mercredi, la journée de la confrontation. Environ cinq points de blocages avaient été prévus dés 6 heures du matin tout autour de la BCE par la gauche interventionniste, mêlant toutes les organisations altermondialistes bien connues, d’Attac aux partis de gauche, en passant par les désobéissants de plusieurs pays et des groupes communistes un peu plus offensifs.
Des groupes anarchistes de plusieurs pays ont quant à eux convergé en bloc noir depuis l’université Goethe vers le point de blocage de « Zeil 1 », remodelant sur leur passage le paysage et le mobilier urbain des rues bourgeoises du centre-nord de la ville, avant de s’attaquer aux vitres du commissariat central (attenant au squat de l’ancienne prison de Klapperfeld), puis aux banques et autres vitrines du capitalisme triomphant. Les quelques véhicules de police qui ont tenté de s’approcher du bloc se sont fait arroser de projectiles, ne réussissant pas à entraver la marche du bloc jusqu’au pied de la BCE, au niveau de la Ostbahnhofstrasse.
Là, l’affrontement s’est cristallisé un instant autour de plusieurs véhicules de police, qui ont très vite été pris d’assaut et mis à feu. Pas de canons à eau, mais des tirs de gaz lacrymogène, qui ont désorganisé un peu le bloc. Après un certain temps de latence, le bloc a choisi de rebrousser chemin vers le centre ville, tandis que plusieurs centaines de manifestant-e-s sont resté-e-s au pied du dispositif policier pour bloquer l’accès à la BCE. Par ailleurs, une partie conséquente du black bloc s’était déjà déportée vers le sud, en direction des ponts qui traversent le Main, pour porter le conflit à l’entrée ouest de la Banque Centrale. Là-bas, la police a largement fait usage des canons à eaux et de charges brutales pour disperser une immense foule de manifestant-e-s venues cerner la zone rouge avec k-way, parapluies, banderoles, déguisements et bien plus d’offensivité politique qu’on n’aurait pu l’imaginer.
La première partie du bloc noir s’est dispersée dans les rues du centre-ville après avoir pris d’assaut un autre commissariat et brûlé un certain nombre d’autres véhicules de police. Beaucoup sont ceux et celles qui, après avoir changé leurs fringues, ont rejoint les blocages aux abords de la BCE, qui ont duré jusqu’à la manif de l’après-midi.
A cet instant, les six points d’informations répartis dans la ville se faisaient déjà le relais des informations provenant des différents lieux de blocage, à savoir un joyeux boxon dans tout Francfort et déjà plus de 350 interpellations pour une quinzaine de garde-à-vue seulement. La presse s’est également empressée de faire état des 90 policiers blessés et de peindre un tableau dantesque de la mobilisation en cours, à renfort d’images de voitures de police enflammées, rapportant les propos effrayés des autorités de police, qui affirment dans toutes les unes avoir été surprises par « l’intensité de la violence et l’organisation des vandales ». Le twitter de la police quant à lui a diffusé très vite la vidéo de l’attaque du commissariat et permis à tous les twittocitoyens de dénoncer les actes délictueux se déroulant sous leurs yeux.
Après quelques longues heures d’errance et de réorganisation dans tous les groupes, des rendez-vous donnés ici ou là, au centre de convergence Naxos ou à l’université, tout le monde s’est retrouvé entre 14 heures et 17 heures pour la grande manifestation de l’après-midi. Tribune avec prises de paroles des partis de la gauche interventionniste, notamment de la star Naomi Klein, puis longue balade traditionnelle autour du centre-ville, coincée dans un dispositif policier on ne peut plus dense. Tout s’est donc passé dans le calme jusqu’au point de dispersion, malgré quelques tentatives ici ou là (feux de joie et bris de vitres) pour remonter un peu le niveau de conflictualité.
Après 19 heures, tout le monde s’est dispersé, les cars des différentes délégations ont repris la route, ainsi qu’une partie du dispositif policier à partir du lendemain matin. Beaucoup ont passé une nuit sur place ou dans les villes environnantes, subissant jusque tard dans la nuit les contrôles d’identité et fouilles de véhicules que chacun craignait. Certain-e-s ami-e-s ont été contraint-e-s de se laisser prendre en photo, dans le but certain de les confondre à partir des images prises et des objets trouvés au cours des échauffourées du matin. Après la répression policière, la répression judiciaire. La Legal Team sur place n’a pas fini de se tirer les cheveux.
Pour autant, pas de raison de regretter d’avoir bougé là-bas. D’aucuns diront sans doute que l’aspect furtif de l’événement lui retire toute pertinence et qu’il faudrait « enfin sortir de la logique des contre-sommets », mais ce serait ignorer tout ce que les convergences internationales de ce type permettent en terme de rencontres. Au delà des moments d’action, cette semaine nous a permis de construire des amitiés, de souder nos liens, de confronter nos points de vue et nos stratégies d’occupation de l’espace, de voir autre chose que nos façons de faire « à nous, chez nous ».
La stratégie en bloc est également un moyen d’expérimenter des déplacements collectifs, de confronter nos capacités logistiques à la réalité, d’apprendre à se faire confiance en situation de tension et de faire attention les un-e-s aux autres. Enfin, la confrontation avec d’autres formes de maintien de l’ordre, mais aussi d’autres manières de prendre la rue, le fait d’agir main dans la main avec des personnes et des groupes qui ne parlent pas notre langue, sont autant de raisons qui rendent ces moments pertinents.
Enfin, se retrouver sur un terrain de lutte qui parle à tout le monde, et pas seulement à notre microcosme anarchiste, à savoir celui contre les logiques d’austérité, et cela en dehors de nos préoccupations chauvines (manifestations nationales, mobilisations contre des lois votées en France...), a aussi toute sa pertinence.
Après plusieurs années de vide et de remise en question des grandes messes altermondialistes qui ont suivi les sommets No-G8 de Gênes ou le No-Nato de Strasbourg, il serait intéressant de reprendre pied dans ces moments de rencontres internationales, et de les faire évoluer dans une direction qui nous correspond, plutôt que de les déserter encore une fois...
Blockupy Francfort ne ressemble pas à un échec, ce serait même plutôt une réussite. Après, ce serait bien de trouver un moment pour en discuter collectivement avec celles et ceux qui pensent autrement.