5 décembre : préparons-nous !

Appel à celles et ceux qui comptent se mobiliser pour les retraites. Propositions pour la réussite de la grève.

À l’heure où ces lignes sont écrites, il reste un petit mois avant la grande journée de grève du 5 décembre contre la réforme des retraites. Ce texte s’adresse à toutes celles et tous ceux qui ont d’ores et déjà prévu de participer à la mobilisation — qui rappelons-le — dépasse très largement les seuls secteurs de la RATP et de la SNCF puisqu’il s’agit d’un appel interprofessionnel.
L’une des principales tâches à laquelle nous devons nous atteler semble d’ailleurs évidente : convaincre le plus grand nombre de la dangerosité de cette réforme, contrer les discours dominants tentant de présenter le conflit comme un simple affrontement entre « privilégié·e·s » que seraient les bénéficiaires des régimes spéciaux et un gouvernement soucieux de proposer un nouveau système présenté comme « plus équitable ». Nous ne nous attarderons cependant pas plus longtemps sur ce point, car ce travail a déjà commencé et de nombreux outils d’explication de la réforme existent déjà (voir par exemple le site dédié mis en place par l’union syndicale Solidaires ou encore la BD de la dessinatrice Emma).
Pour que la grève soit largement reconduite, pour que le mouvement s’étende et qu’on vive en France un mois de décembre digne des révoltes qui éclatent ces dernières semaines aux quatre coins du monde, voici plutôt ici quelques rappels et propositions concrètes pour favoriser un basculement à l’avantage de notre camp.

Caisses de grève

N’attendons pas le début de la grève pour constituer des caisses de soutien ! On l’oublie trop souvent, l’un des principaux arguments de certaines directions syndicales pour n’appeler qu’à des journées d’action isolées repose malheureusement sur une certaine réalité : une immense majorité du monde du travail n’a pas les moyens financiers pour tenir une grève dans la durée. Si plusieurs centaines de milliers d’euros sont déjà récoltés avant même le début de la grève, cela constituera un signal fort pour tou·te·s les grévistes et un important encouragement pour permettre la reconduction.
Tous les moyens sont bons : cagnottes en ligne, bouffes et soirées de soutien, constitutions de caisses locales sur les lieux de travail ou par secteur, vente de goodies, etc. On a déjà vu d’importantes sommes d’argent récoltées en quelques jours lors d’événements marquants, là nous avons encore plusieurs semaines pour mobiliser au maximum tous les réseaux de solidarité, alors on s’y met !

Médias autonomes et diffusion de l’information

On le sait, on ne peut pas compter sur les médias dominants pour réellement rendre compte du déroulement de la mobilisation. Sur les plateaux télé, dans les matinales à la radio ou dans les colonnes des principaux quotidiens, on peut au contraire s’attendre à de vastes campagnes de désinformation et de manipulation de la part du gouvernement et de ses alliés. D’ailleurs, ça a déjà commencé… Dès lors, quelles alternatives pour visibiliser la réalité du mouvement ?
On peut bien sûr penser aux réseaux sociaux, tant leur rôle a été souligné dans l’émergence et l’extension de mobilisations récentes, du « printemps arabe » aux Gilets jaunes. Pourtant, cette option apparaît comme extrêmement problématique pour un grand nombre de raisons :

  • Ce sont tout d’abord des entreprises privées dont le modèle économique repose sur la collecte de données personnelles pour ensuite les revendre.
  • Du coup, aucune sécurité. Outre le flicage ordinaire et tout ce que cela peut poser comme questions en termes de respect de la vie privée, leur utilisation à des fins politiques implique une très forte exposition à la répression.
  • Dépendance à leurs algorithmes, sauf à l’occasion de quelques buzz l’effet de « bulle » demeure très important.
  • Très important risque de censure, comme on a malheureusement pu le constater à plusieurs reprises ces derniers mois [1].

Pour la diffusion de l’information, tant auprès des personnes participant activement au mouvement que vers un public plus large, nous proposons donc de largement privilégier les médias autonomes qui sont au service des luttes. Radios, journaux, sites internet : ces outils existent et sont même nombreux ! Il ne tient qu’à nous de les faire davantage connaître, de rajouter leurs noms sur chaque tract, chaque publication, de les mentionner à chaque intervention publique, de coller des stickers, des affiches, d’écrire des adresses de sites Internet à la craie, au marqueur ou à la bombe de peinture sur toute surface adaptée !
Parmi tous ces médias autonomes, puisque ce texte est rédigé sur l’un d’entre eux, nous nous permettons de présenter plus précisément le réseau Mutu et l’intérêt particulier des sites qui le composent :

Comme Paris-luttes.info, tous les sites du réseau Mutu fonctionnent sur un modèle coopératif : n’importe quel collectif ou individu participant à une lutte peut venir y proposer des articles. Ces outils sont donc des espaces d’expression en ligne ouverts, contrairement à d’autres médias (y compris militants) où l’essentiel du contenu est fourni par un collectif restreint ou un comité éditorial. Les collectifs d’animation et de modération des sites Mutu jouent ainsi principalement un rôle d’aide à la publication et à la mise en page. Si la modération fait parfois office de « filtre », c’est uniquement dans le cadre du texte d’intention (ou « charte » selon les sites) afin que ces outils demeurent au service des luttes et des idées anti-autoritaires.
Les sites du réseau Mutu sont en outre hébergés sur un serveur autonome et sécurisé : l’exposition à la répression s’en retrouve considérablement restreinte (pas de poukaverie comme chez les hébergeurs privés qui n’hésitent pas à balancer les logs de connexion aux flics) et l’existence des sites de cette façon ne dépend pas d’intérêts marchands.
Pas d’autonomie politique sans autonomie matérielle et technique !

De la mobilisation syndicale à la mobilisation populaire : quels cadres d’organisation ?

Pour que le mouvement réussisse, pour que le gouvernement retire à minima son projet de réforme et qu’on gagne peut-être beaucoup plus encore, on ne pourra compter sur la seule mobilisation de certains secteurs fortement syndiqués. C’est vers une large mobilisation populaire que nous devons nous orienter. En ce sens, le dernier appel de l’assemblée des assemblées des Gilets jaunes constitue une excellente nouvelle : avant même le début de la grève, on peut déjà compter sur la participation de milliers de Gilets jaunes encore mobilisés, qui eux ne s’organisent pourtant pas dans le cadre du monde du travail ! On peut aussi espérer que dans les prochaines semaines émerge une mobilisation du côté des lycéen·ne·s et des étudiant·e·s, d’autant plus qu’une des portes de sorties du gouvernement semble être l’application de la réforme aux seuls nouveaux entrants sur le marché du travail [2]… Mais comment coordonner ensemble tout ce beau monde, aux pratiques et habitudes d’organisations très hétérogènes ? Comment faire en sorte que ce ne soit pas encore une nouvelle fois les directions syndicales qui dictent la stratégie et le calendrier de la mobilisation ?

Théoriquement, la réponse semble simple : multiplier les cadres d’organisation à la base. Assemblées générales souveraines, coordinations régionales et nationales avec des mandats impératifs semblent pourtant avoir fait leur temps… À moins que nous réussissions à les renouveler avec succès ? En tout cas sur ce point, nous n’avons pas de réponses toutes prêtes à proposer : c’est un véritable enjeu et de nouvelles formes d’organisations autonomes à grande échelle restent encore à inventer collectivement. Mais nous pouvons tout de même nous appuyer sur quelques expériences récentes : il s’agira d’abord de ne pas tomber dans les travers assembléistes qu’on a pu rencontrer à Nuit debout ni dans le démocratisme propre à certaines AG, à l’inverse le pouvoir à la base et l’autonomie politique comme principes permettront d’élaborer des cadres appropriés à nos aspirations ! Une chose est sûre : sur la dernière année écoulée, nous avons certainement davantage de leçons à retenir de la part des ronds-points des Gilets jaunes que de l’occupation de la place du Châtelet.

Conclusion

Les quelques pistes proposées ici demeurent bien sûr insuffisantes et il y aurait encore quantité de choses à dire en vue de la préparation de ce mouvement d’ampleur. On pense par exemple à tout un tas de conseils pratiques très concrets sur comment se mettre en grève et participer activement à la mobilisation. Au-delà des actions et discussions qu’il espère susciter, ce texte est donc aussi un appel à venir publier dans les prochaines semaines — ici ou sur tout autre média libre — vos astuces, analyses et réflexions au service de la lutte !

C.B.

Notes

[1Mediapart y a notamment consacré un article

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