Il ne manquait plus que ce symbole du passage en force. Nul ne doutait que cela se finirait sur ce fiasco démocratique et voilà quelques semaines qu’on nous y prépare. La matraque sous la gorge ne suffisait pas pour faire avaler une réforme à une opinion qui majoritairement, n’en veut pas. Il fallait en plus la rendre complice du couperet du 49-3 dont elle devient responsable : les députés qui portent l’opposition colossale à ce projet inique faisaient de l’obstruction parlementaire, il fallait donc les condamner et sévir. L’opinion devait le comprendre et même approuver cette condamnation ainsi rendue légitime, et qui, répétée à l’envi par les membres de la majorité et du gouvernement, devait agir comme un somnifère. Qui sait ? Peut-être que la nation validerait l’outil qui entérine le projet qu’elle rejette et finirait par approuver le projet lui-même ?
Ils sont donc allés au bout de cette réforme et de son cortège de scandales tous plus ahurissants les uns que les autres. Sans une telle destruction en règle de nos avenirs, cela pourrait être une énorme farce. Mais nous y sommes et comme le titrent absolument tous les journaux, le 49-3 a été dégainé.
Cela veut dire qu’il y a un tueur, une cible et une arme dans son étui.
Le tueur, c’est ce président et son gouvernement.
Il n’a jamais été interrompu sur ce parcours criminel : passé de spéculateur à casseur, il s’est employé avec ses petits amis, à saccager méticuleusement le Code du travail. Puis, il s’est fait usurpateur d’une vox populi qu’il n’a jamais eue, porté à l’Élysée par moins d’un quart des Français au premier tour, et par le chantage éternel à l’extrême droite au second. Mais de moins en moins, les électeurs votent pour le virus libéral contre la maladie fasciste. Chirac en avait convaincu 8 sur 10, Macron plus que 6.
Cela a néanmoins suffi à placer un assassin à la tête de l’État, qui veut achever l’œuvre entamée par ses prédécesseurs et tuer ce qu’il reste des conquêtes sociales de nos aînés. Il n’est pas seul et agit grâce à ses complices énarques chez les ministres et à des godillots à l’Assemblée qui feraient rougir ceux de De Gaulle. Tous récitent leurs leçons pleines d’erreurs et votent comme un seul homme ou presque. Ils sont tout et nous ne sommes rien, a tenu à préciser le co-rapporteur du projet de loi. Tout était dit.
Ils dégainent froidement dans la continuité de ce qui les a menés à ce duel, le passage en force sur tout, pour tous. Leurs coups n’ont pas suffi, il faut donc tuer.
Mais quand nous ne sommes rien, disait l’abbé Sieyes, nous voulons tout.
Nos vies entières en ligne de mire
La cible va au-delà des gains espérés par cette réforme sur le dos de millions de travailleurs, elle marque nos vies entières, vouées au travail.
Pour en disposer, le viseur est pointé sur notre modèle social, notre avenir, ceux de nos enfants et de générations entières. Ambroise Croizat nous avait prévenus, il n’y a rien d’acquis. Il y a des conquêtes qu’il faut choyer et enrichir, à mesure que le font nos économies de façon accélérée. C’est ainsi que le CNR avait conçu le pacte social, plus le gâteau grossirait et plus la part de chacun devait grossir, plus personne ne devant se contenter de miettes.
Ce qu’il faut donc viser, c’est aussi cette solidarité qui dérange tant les puissants, l’idée que ceux qui ne sont pas bien nés pourraient s’en sortir, se soigner et s’éduquer correctement, vivre décemment de leur travail et dans leurs logements, profiter d’un temps de loisirs et de leur vieil âge avant que la maladie ne les attrape. Aux libéraux qui ne se contentent plus de cadeaux, mais qui ont pris les commandes, on livre le gibier : nos congés parfois, nos journées à rallonge avec des heures supplémentaires pour joindre les deux bouts, nos week-ends avec le travail et la consommation même le dimanche, notre pouvoir d’achat avec des salaires qui stagnent pendant que le coût de la vie continue d’augmenter, notre espérance de vie et nos pensions désormais.
Et en attendant le possible krach boursier victime du coronavirus, on est censé accepter la régression… Les victimes, c’est nous tout entier, de nos corps meurtris et éreintés à nos esprits résignés. Car ça n’est pas le chômage que l’on cible, il est devenu une donnée courante et entretenue par notre système. Il doit peser comme une épée de Damoclès pour le triomphe néolibéral, alors on demande aux actifs de travailler davantage et on réussit à leur en imposer l’étrange logique. Il y a des viviers à entretenir pour la minorité opulente et quelques meurtres à accomplir : les bouts de vie qu’il nous reste, l’aspiration à faire vivre tout le monde et mieux.
Les mêmes qui saccagent la planète instaurent leur diktat sur les hommes, les femmes, la jeunesse, et on les laisse voler leurs rêves. Mais le brouillard se dissipe sur cette inversion de logique : non, on ne vit pas pour travailler, on travaille pour vivre.
Tout à coup, on remarque que relever la tête les agace, excite leur main sur le colt.
L’arme et l’étui. Constitutionnel ne signifie pas démocratique
Cette arme est rangée dans son étui, la Constitution de la Ve République.
Comme le droit de véto dont l’entêté Louis XVI a tellement usé et abusé qu’il finit étêté, l’article 49 et son alinéa 3 sont bien constitutionnels. Ils sont le ver dans la pomme de 1958 qui consacre l’omnipotence de l’exécutif et la réduction progressive du législatif à un organe de consultation et d’application. La mascarade du pouvoir au peuple par le peuple et pour le peuple éclate au grand jour avec un président mal élu et un blanc-seing donné pendant 5 ans.
Alors oui, l’article 49 alinéa 3 est constitutionnel. Cela veut-il dire démocratique pour autant ?
Quand il permet d’interrompre le travail parlementaire et d’en museler les élus, bien qu’ils soient majoritairement du même bord, est-ce bien démocratique ?
Quand il permet de passer en force une loi sévèrement taclée par les plus hautes et conservatrices instances de la République, pour inconstitutionnalité… est-ce bien démocratique ?
Quand il impose un projet truffé d’erreurs et de mensonges, qui ne donne aucune réponse concrète et porté par des fossoyeurs trempés jusqu’à la moelle dans des conflits d’intérêts, est-ce bien démocratique ?
Quand on fait avaler des réformes à coups de LBD, de gardes à vue et de convocations disciplinaires, est-ce bien démocratique ?
Quand les trois quarts d’un peuple disent ou hurlent « non » pendant 3 mois, mais qu’on dégaine quand même, est-ce bien démocratique ?
Alors, ne mélangeons pas les mots, ils sont importants. Les dictatures du monde ne se sont-elles pas dotées de constitutions elles aussi ? Nul besoin de voyager pour l’essayer, nous voyons bien d’ici tous les signaux qui s’allument rouge sang.
L’étui, cette République monarchique, cache le flingue de la pieuvre libérale. Et elle a un sacré barillet en plus de sa milice. Elle a dégainé et elle a déjà tiré, pas mal de fois. C’est d’ailleurs toujours pour un carnage qu’elle vise et pour l’instant, elle ne nous rate pas…
Il y a encore trop de cibles figées. Il faut s’adapter, s’agréger et se mouvoir en montant d’un cran. En légitime défense puis en offensive pour rouvrir le livre du progrès et réécrire quelques pages comme nous en avons été tant de fois capables.
Quand on dégaine, c’est pour tuer. Si notre Constitution leur permet d’abattre la souveraineté populaire, elle nous donne aussi le droit de résister à l’oppression. Dans tous les secteurs, la grève et la désobéissance deviennent donc des devoirs.
Nous ne sommes rien, et nous voulons tout.