TINA (There Is No Alternative) 3.0
Confinement, confinement, confinement…
Un témoignage parmi d’autres, des lignes qui s’esquissent comme pour faire sortir une colère…
Nous en sommes à plusieurs décennies d’emprise néolibérale.
Je suis là devant ma page blanche et je ne sais pas par où commencer… Il y a tant à dire, tant à défaire, à penser, à repenser, refaire… Comme submergé…
Je ne suis pas de nature obéissante, pourtant je respecte les règles de confinement, pas pour moi, non… mais pour celles et ceux qui sont dehors et risquent leurs vies et celles de leurs familles…
Atterré, j’ai le sentiment d’être devant un film de science-fiction, genre que je n’apprécie guère au demeurant…
Des questions, mais pourquoi ? Comment ? Tout ça semble n’avoir aucun sens… irréel… Mais pourtant…
Alors j’ai besoin de redérouler le fil d’une histoire, d’une histoire commune, celle qui s’inscrit dans le champ politique ; j’en ai besoin pour me remettre les idées au clair, comme pour reprendre ma respiration dans cette période où tout va très vite et où simultanément beaucoup de choses s’arrêtent…
Et cette histoire est liée à celle du train du néolibéralisme. Un train fonçant à toute allure… allant toujours plus vite… du fric, du fric, des euros, des dollars, du fric, du fric… et qui semble foncer droit dans le mur. Arrêterons-nous le train avant qu’il ne soit trop tard ? Déraillera-t-il avant le mur ?
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Les joyeuseries des privatisations et des ouvertures à la concurrence des entreprises publiques commencent leur course effrénée en 1986, lors de la première cohabitation. Les capitaines de la République nous disaient que les usagers allaient bénéficier de baisses de prix, et que ce type de politique devait stimuler l’innovation dans les entreprises ou encore enrichir les collectivités.
Environ 1 500 entreprises ont ainsi été bradées par l’État français. Plus d’un million de salariés ont été transférés dans le secteur privé. « La part de l’emploi public, hors fonction publique (enseignement, administration, hôpitaux…), dans l’emploi salarié total est passée de 10,5 % à 3,1 % en trente ans. » [1]. Il fallait se délester de son équipage, dégraisser le mammouth…
L’appétit croissant des néolibéraux œuvrant pour une croissance frénétique et une concurrence extrême pousse les groupes privés à mettre la pression pour ouvrir de nouveaux marchés, organisant peu à peu le démantèlement du service public français, arguant le besoin d’investir et le besoin de réduire la dette. La terminologie change également, « l’usager » devient « client ». Pour rappel, en 2013 La Cour des comptes annonce que ces cadeaux, dont le secteur privé a bénéficié, se sont faits au détriment du bien-être collectif et dans une certaine opacité.
Jadis, les entreprises publiques lorsqu’elles généraient des profits les gardaient dans le public, sous forme d’investissements ou de recettes.
Avec le secteur privé, une tout autre histoire va s’écrire…
Lorsqu’un gestionnaire privé est à la tête d’une entreprise jusqu’alors publique, les profits se transforment en dividendes ; dividendes pour les actionnaires… Mais pour rester concurrentiel, il faut dorénavant effectuer des économies, et ces économies seront bien sûr absorbées par les « usagers » devenus « clients » et les salariés (dégradation des conditions de travail, dégradation des services proposés, etc.).
Depuis des décennies maintenant, les grèves se succèdent pour défendre le service public, et depuis des décennies, celui-ci se fait petit à petit désosser, et est bradé sur l’autel du capital. Ces dernières années, chacun a pu constater à travers son expérience sensible le délitement du service public (situations kafkaïennes pour joindre, échanger ou se rendre dans certaines administrations, listes d’attente interminable dans les crèches, attentes aux urgences, augmentation des soins en ambulatoires, fermetures des bureaux de poste, centralisation régionale du service public, etc.). Depuis 2 ou 3 ans tous les secteurs du service public, avec une intensité rare, ont battu le pavé, parfois ils ont été stigmatisés, souvent brutalisés par les forces de l’ordre et méprisés par les politiques.
Alors oui, aujourd’hui, j’ai besoin de cracher cette colère, cette incompréhension de l’Autre, celui qui a voté pour ce délitement, celui qui s’est égaré sur le chemin de l’existence, confondant « vie » et « pognon ». Depuis plus d’un an, le secteur hospitalier était en grève, souffrant des coupes budgétaires et de la pression à la rentabilité.
« La santé est un business comme un autre. »
Ils ont fermé des lits, supprimé des postes, réduit les budgets alloués à la recherche, privatisé une partie du secteur de la santé bref… Après ils ont décidé de s’attaquer à nos retraites, en nous faisant croire qu’un système à points c’était bien… Des conneries, des foutaises, offrir nos retraites aux fonds de pension, à la spéculation…
Les spéculateurs se sont trompés, ils ont oublié « qu’une société est une entité collective, et que pour fonctionner, elle a besoin de constructions collectives, que l’on appelle usuellement des services publics » [2]. Ils ont mal évalué la crise sanitaire que nous vivons, eux qui demandent de s’adapter sans cesse… Messieurs-dames les politicien·ne·s, les grands financiers, ceux et celles qui dirigent en despotes, vous avez détruit le service public, et particulièrement le secteur hospitalier, et ce depuis 30 ans…
À l’heure de votre union nationale, je préfère la solidarité. Cette union, cette « guerre » n’est que le miroir de votre échec ; échec de prévention, échec d’approvisionnement en matériel de protection pour tous les soignants, échec de prévisions épidémiologiques, échec de votre idéologie et de votre politique néolibérale.
Les gens créent spontanément des systèmes de solidarité, le pizzaiolo offrant des pizzas aux pharmacien·ne·s, infirmier·ère·s… Celui ou celle qui va faire des courses pour celles et ceux qui ne peuvent pas ou ne peuvent plus. Mais encore celles et ceux qui s’organisent face aux résultats de votre pensée unique « CROISSANCE », en confectionnant GRATUITEMENT des masques et des vêtements pour les personnels de santé. Des systèmes de solidarité émergent partout.
Au début, vous parliez de « crise sanitaire » ou « situation sanitaire ». Puis peu à peu, vous avez opéré un glissement sémantique, « sauver l’économie », « maintenir l’économie ». Vous ne comprenez donc toujours rien… Ce monde, votre système est à l’agonie. En réponse à ce changement de registre, lors du rendez-vous aux balcons et aux fenêtres pour applaudir les personnels de santé, les gens commencent à crier « du fric, du fric, pour l’hôpital public !! ».
Ce confinement ne doit pas empêcher la critique. Nous pouvons l’utiliser pour nous réapproprier un bout de nos vies, examiner le chemin de nos existences et découvrir ou redécouvrir ce qui est essentiel à tout individu et à toute société.
Prêtons attention à ceux qui pensent nous gouverner, ne soyons pas dupes, les milliards qu’ils disent débourser, ils voudront qu’on en paye la note. Ils commencent déjà à supprimer les 35 heures, à modifier le droit du travail, les congés payés, sans parler du télétravail… Les témoignages pleuvent, les règles de sécurité sanitaire ne sont pas respectées, les travailleur·euse·s sont sous pression.
Soyons vigilant·e·s, l’oligarchie néolibérale est à bout de souffle, en témoignent les mouvements sociaux successifs et leur intensité ces dernières années.
Profitons de cette situation extraordinaire (au sens littéral du terme) pour amplifier le sentiment et les actes de solidarité, et pour réintroduire la pensée critique au sein de la question politique. Réengageons la philosophie dans le politique et dans la politique. Cessons de considérer l’organisation du vivre ensemble comme une simple variable d’ajustement économique sur laquelle il est possible de réaliser des économies d’échelle.
L’économie est une forme de contrat social, ce qui suggère notre approbation collective. D’autres formes d’économies sont possibles où la circulation de la richesse prévaut à son accumulation et son possible ruissellement. Des économies où « le travail » se partage et améliore le commun. L’économie néolibérale crée des emplois, mais crée-t-elle du travail ?
« Travail » deux syllabes. « Emploi » deux syllabes, suggérant la subordination et l’obéissance de « l’employé » à « l’employeur » en échange d’une rémunération. Un renoncement au libre arbitre de l’usage de son temps. La force de travail devient une marchandise comme une autre, elle est achetée par « l’employeur ». Un nouveau marché se crée ; « le marché du travail » ou « le marché de l’emploi ».
Pour que marché il y ait, cela suppose que les gens soient libres de faire ou de ne pas faire une transaction… Or dans nos sociétés, celui qui est en demande de force de travail a le choix d’embaucher ou de ne pas embaucher… Celui qui offre son travail n’a pas vraiment le choix, soit il travaille soit il subsiste ou crève… Comment un marché peut-il être un marché en l’absence de réciprocité ? Ledit « marché du travail » n’est ni plus ni moins une forme de chantage à la survie matérielle niant la conflictualité propre aux échanges économiques. Le mode de production de la sphère néolibérale, avec sa propriété unilatérale des moyens de production, ressemble à une prise d’otage générale. Et attention ceux qui veulent s’enfuir de cette prise d’otage, ou se rebeller seront eux-mêmes accusés de prendre en otage « les gentils citoyens ».
Outre leurs deux syllabes, « travail » et « emploi » ont en commun d’avoir été galvaudés et de susciter beaucoup de passion. Si « le travail » renvoie à un processus physique, « l’emploi » semble plutôt renvoyer à l’usage que l’on fait de quelque chose. Actuellement dans nos sociétés cet usage serait plutôt une fonction.
« Quelle est votre fonction dans l’entreprise ? »
Tout est dit, tout est là, la « modernité » ou le « progrès » organisent une forme d’assujettissement à un travail dénué de sens. L’individu, devenu « fonction », doit faire fonctionner la machine, il est interchangeable. En témoignent les nombreuses crises existentielles de nombre « d’ingénieurs », qui malgré des salaires confortables, pètent littéralement les plombs, et décident de tout plaquer, pour « retrouver du sens à leur vie ».
Il ne s’agit pas ici de faire l’éloge du « travail », mais de redéfinir ces notions. D’ailleurs, la valeur « travail » telle que nous la connaissons aujourd’hui vient de cette classe dirigeante qui n’hésite pas à déléguer le « travail » à autrui dans le but d’en moissonner le fruit. Cette valeur fait partie d’un système de valeurs mis en place par cette même classe dans le but de légitimer la pérennité de ce système inique.
Le néolibéralisme, afin de ne pas nous perdre, nous « les sans-dents », les ignares, les incapables ; dans son élan pédagogique, essaye d’économiciser la société et le droit ; en particulier le droit du travail comme le suppute « l’état d’urgence sanitaire ». Le droit n’est plus là pour permettre la justice sociale, mais pour mettre en place une justice procédurale. Nous avons affaire à une pensée dogmatique qui transforme le droit social en un droit qui doit organiser les règles du jeu néolibéral afin de maximiser la concurrence. Ce processus a d’ailleurs été grandement facilité par l’individualisation de la gestion des salariés et de l’organisation du travail (individualisation des primes, horaires variables, individualisation des salaires, etc.). On sort ainsi du paradigme : à travail égal, salaire égal. Afin de parfaire cette évolution, le néolibéralisme va convaincre le corps social que la vraie vie, c’est « la vie au travail ». L’accomplissement de soi dans et par le « travail ». Cette ferveur didactique, avec ses techniques managériales combattant notre capacité à avoir un jugement et notre créativité, implique une déstabilisation du collectif, une déstructuration des luttes sociales et l’appauvrissement de la justice sociale.
Le salaire et donc le contrat de travail ramènent l’opération de travail à un échange de quantités, quantité d’argent contre quantité de temps. Le salariat n’est qu’une manière (construite historiquement avec l’idéologie du progrès technique, idéologie qui prévaut à la catastrophe écologique que nous vivons) d’organiser le travail dans une société. On peut la traduire par cette maxime : « se lever le matin pour aller gagner son pain ». Cette façon d’organiser le travail amène à la constitution d’une figure historique : le salarié ; le salarié comme sujet libre, porteur d’une force de travail offerte au « louage ». Ce phénomène s’accompagne d’une double séparation, une séparation du travailleur d’avec les produits de sa production et une séparation d’avec les moyens de production. Ce morcellement renforce une forme d’assujettissement à des tâches dénuées de sens et donc de souffrances potentielles.
Les gentils entrepreneurs proposent donc aux gentils salariés de s’employer à se « réaliser » en participant tous conjointement à une grande œuvre collective qui a pour but dissimulé, mais final, l’enrichissement des actionnaires. Nous savons où cela nous mène…
Aujourd’hui, le salaire est déterminé par la quantité d’argent que l’employeur consent à verser aux travailleur·euse·s. L’écart croissant entre le salaire des travailleur·euse·s et leurs productivités ne cesse de croître. Si depuis les années 1970 la productivité a presque doublé, les salaires eux n’ont pas progressé, voire diminué… Une espèce d’effritement du « marché du travail » justifie ce manque de réciprocité. Or ce marché n’est que fable, il n’existe pas en soi, il s’agit d’une croyance… Les théories néolibérales ou néoclassiques et leurs gentils petits soldats nous disent que si la croissance augmente, les salaires augmenteront. D’autant plus si on s’approche du plein emploi ! Ce n’est évidemment pas le cas, il nous suffit de regarder les chiffres de ces dernières années en Allemagne ou aux USA…
Dans les sociétés dites « développées », une immense majorité de la population active est salariée explicitement ou tacitement (« ubérisation »). Historiquement, cela signifie que cette population a été dépossédée de ses « moyens de travail ».
Les capitalistes veulent faire de l’argent, du profit. Ils veulent s’enrichir. Dans leur assiduité à se renouveler sans cesse, ils ont créé un besoin qui leur est propre. Ils le nomment eux-mêmes : « une armée de réserve de travailleurs ». Cette « armée de réserve » est là pour faire peur (ex. : risque de perte de son emploi) et pour maintenir des salaires bas. Ils contrôlent l’investissement et les technologies. Si les salaires augmentent, ils développent des mécanismes qui économisent le travail via l’introduction de machines, de robots, ou encore grâce à une modernisation inflexible de l’organisation du travail. Ces mécanismes permettent de réduire leur besoin de main d’œuvre et de gonfler les rangs de leur « armée de réserve ». Si l’envie prenait à des ouvriers de l’automobile de demander une augmentation de salaire, la réponse qu’ils obtiendraient serait : « attention… nous pouvons délocaliser la chaîne de production dans d’autres pays où la main d’œuvre est moins chère, et où les salariés de seraient contents d’avoir des salaires moins élevés que les vôtres… » Dans ce contexte, la mondialisation apparaît comme du pain béni, elle permet une extension globale et totale de ce « réservoir de régiments ».
Le néolibéralisme poursuit son emprise. Comme une idéologie ou comme un programme politique totalitaire, il souhaite reconfigurer l’homme. L’homme deviendrait l’entrepreneur de lui-même, de sa propre vie faisant partie d’un vaste marché. Cependant, cette vaste entreprise a besoin d’une puissance autre.
L’État et l’économie sont enchevêtrés. Les marchés ne peuvent fonctionner de manière efficace sans un soutien de l’État. L’État doit être là pour faire appliquer les contrats, la loi et l’ordre. Historiquement, « un droit et des institutions » sont nécessaires pour protéger la propriété et lutter contre les tentatives d’expropriation populaires (souvent considérées comme criminelles ou délictueuses). Historiquement, « un droit et des institutions » sont primordiaux pour organiser les modalités d’échanges au sein d’une société. Ainsi les marchés ne peuvent fonctionner que parce que l’État leur offre un cadre structurel.
Réguler les échanges à travers la mise en place de marchés peut avoir des effets bénéfiques sur les sociétés. C’est la raison invoquée par l’État pour créer ces marchés, les développer et les étendre. Néanmoins, cette croyance dans les bienfaits du marché, comme si celui-ci n’avait jamais tort, qu’il s’agissait d’une déité avec sa main invisible dépasse l’entendement, et paraît totalement irrationnelle dans sa rationalisation du monde. Cette irrationalité a créé des entreprises plus puissantes que les États, comme si le pouvoir du capital avait dépassé le pouvoir politique.
Nous nous sommes fait déposséder de notre pouvoir, de nos moyens de production, de nos terres, de notre imaginaire, de notre créativité, de notre esprit critique par une simple croyance irrationnelle érigée en « lois naturelles », c’est-à-dire les lois du marché.
Comme les marchés et l’État sont coextensifs, on observe dans nos sociétés un mimétisme entre la gestion de l’entreprise et la gestion de l’État. N’oublions pas que l’État a œuvré pour offrir plus de revenus pour les entreprises et les multinationales, plus de dividendes pour les actionnaires, et des possibilités accrues d’optimisation fiscale ; mais moins de droits pour les travailleur·euse·s et moins de fonds pour les services publics. Les États européens ont débloqué plus de mille milliards d’euros pour les banques et les entreprises en difficulté. Qu’en est-il « des constructions collectives » de nos sociétés… le système de santé, l’enseignement… les services publics en général ? Et qu’en est-il des gens ? Ce mimétisme s’illustre à merveille par le fait de hisser la gestion de l’État selon les compétences des uns et des autres au rang de la politique. De fait, la politique et le débat démocratique sont confisqués aux individus.
Cette gestion de l’État a son langage, ses mots tels que « pragmatisme », « pondéré », « raisonnable », « rationnel », « modernité »… Et ces mots raisonnent fortement avec ceux du marché. Ce type de langage appauvrit considérablement le débat public et met petit à petit en place une forme de pensée unique articulée autour du néolibéralisme qui vandalise le débat démocratique, et ce de manière despotique. Ainsi on voit apparaître des expressions comme « capital beauté », « capital santé », « gérer ses amis (sur les réseaux sociaux) », etc. « Despotisme » au sens « despotisme légal », c’est-à-dire une doctrine politique dans laquelle celui qui a la souveraineté formule et fait respecter « la loi naturelle », c’est-à-dire « la loi du marché ». C’est l’inscription au fer rouge du fameux TINA (there is no alternative) de Thatcher version 3.0 comme cadre structurel du débat dit démocratique.
Toutes tentatives de réappropriation du débat politique, de la politique, du politique, toutes tentatives d’invention de soi joyeuse et poétique dépassent le cadre de cette pensée unique. Elles sont marginalisées, criminalisées et considérées comme extrêmes. Mais qui est extrême ? Celles et ceux qui œuvrent pour un monde plus juste, plus solidaire, écologique ou celles et ceux qui réduisent les populations à la pauvreté, à des variables d’ajustement, à « une armée de réserve de travailleur·euse·s » ?
La féodalité néolibérale a produit au moins deux phénomènes bien identifiables. L’élimination des formes de médiation de gouvernementalité, comme l’explosion des partis politiques et l’anéantissement des syndicats de travailleurs dits non réformistes. Et la transformation du processus d’individuation en un individualisme consommateur. Ces deux phénomènes ont eu et ont toujours pour conséquence le rétrécissement des imaginaires collectifs et individuels. Nous sommes face à une dépolitisation de tous les éléments de la vie qui sont transformés en éléments économiques. Tout devient économique. Tout ce qui caractérise un être humain comme l’amour, la musique, la poésie, l’amitié, la joie, les sensibilités… sont peu à peu réduits à des variables économiques.
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Et là, nous sommes là, confinés et j’assiste à la chute de cette idéologie féodale… Une crise sanitaire historique, un krach boursier. Les financiers paniquent. Les politiciens paniquent… Et des gens décèdent malheureusement…
Cela ne les empêche pas de continuer à briller par leur connerie et leur absurdité… Ainsi, le ministre de l’Agriculture exhorte celles et ceux qui ne travaillent pas à rejoindre les « agriculteurs » en difficulté (hé oui les travailleur·euse·s étranger·ère·s sous-payé·e·s ne peuvent pas traverser les frontières… zut). Ne nous trompons pas, il s’agit là d’une agriculture sous-traitante des lobbys de l’agrobusiness. Allons plutôt aider les petits paysans, qui n’exploitent pas la terre, mais la soignent et composent avec… Nous pouvons œuvrer collectivement pour que « la filière agroalimentaire » se réorganise localement par et pour les petits paysans et les travailleur·euse·s de ce secteur.
Dans la décennie qui vient de s’ouvrir avec fracas, la moitié des agriculteurs du pays va partir en retraite. Nous aurons besoin d’une redistribution et d’une sanctuarisation des terres agricoles, d’une paysannerie locale et de producteurs diversifiés et non d’agriculteurs soumis au diktat des lobbies de l’agroalimentaire.
Réorganisons l’autonomie alimentaire de notre société, en partant de la terre, du local, en créant des échelons de solidarité départementaux, puis régionaux, puis sur la totalité du pays et pourquoi pas à l’échelle européenne. Un maillage territorial organisé par et pour les paysan·e·s et les travailleur·euse·s du secteur qui seront détenteur·rice·s de leurs outils de travail. Dans le contexte actuel, créons des solidarités avec les petits paysans, privés de marchés… Ne laissons pas les denrées alimentaires produites périr… Ne laissons pas mourir ces petits paysans ; ils sont l’avenir.
L’avenir dépend de ce que nous ferons collectivement de l’expérience actuelle. Si les gouvernants installent une gouvernementalité de crise sanitaire dans la durée, il nous faudra désobéir et « pousser avec détermination les barreaux de la cage ». La situation sanitaire leur a déjà permis de remettre en cause le droit du travail. Cette remise en cause ne peut s’installer dans la durée.
Les morts du néolibéralisme sont nombreux, les accidents du travail, les scandales pharmaceutiques, les victimes de l’amiante, les morts dans les mines de métaux rares ou d’uranium, les victimes des produits phytosanitaires et notamment les agriculteurs, les suicidés de France Télécom, une disparition sans précédent des espèces animales et végétales, les guerres… bref la liste est longue et loin d’être exhaustive… Les services publics ont été détruits, sacrifiés sur l’autel du profit néolibéral et en particulier le secteur de la santé. Ne nous y trompons pas, ce sont les lois du marché et le dogme néolibéral qui nous ont menés à cette situation. Il y a un vrai danger, celui de voir les règles de ce système qui est en train de s’écrouler se durcir pour le maintenir. « Il ne faut pas compter sur ceux qui ont créé les problèmes pour les résoudre » – Albert Einstein. Dès maintenant, et à l’issue de cette crise, donnons-nous les moyens de sortir de la féodalité néolibérale et restons solidaires. Nous n’avons rien à perdre.
Dans ce confinement, il y a de l’espoir. Si les structures traditionnelles de solidarité ont été pulvérisées, on assiste à un renforcement des solidarités entre voisins, parents, ou autre. Nous avons le temps de nous réapproprier le temps. Le métro, boulot, dodo, n’est plus d’actualité pour bon nombre d’entre nous. Nous pouvons nous retrouver nous-mêmes et redéfinir ce qui est essentiel, l’amour, l’amitié, la tendresse, la bienveillance, la solidarité…
Qui ne lit pas pendant cette période ? Qui ne regarde pas de films ? Qui n’écoute pas de musique ? L’art, la culture, la poésie sont essentiels à la vitalité d’une société.
Nous découvrons aussi dans une certaine mesure l’impact de l’enfermement, peut-être cette expérience nous fera-t-elle grandir, et nous permettra d’inventer des alternatives à l’enferment carcéral ?
Certains d’entre nous sont partis des grandes métropoles pour se confiner à la campagne. Peut-être qu’un autre regard pourra se poser sur ceux qui fuient leur pays.
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Hommages à tou·te·s celleux qui œuvrent malgré le risque. Celleux qui ramassent nos poubelles, celleux qui alimentent les supermarchés, celleux qui produisent notre nourriture. Celleux qui font en sorte que nous puissions manger, avoir de l’électricité, du chauffage. Celleux qui s’occupent des personnes vulnérables, celleux qui soignent…
Soyons vigilants. Ne nous faisons pas subtiliser la possibilité de créer une société plus juste, plus solidaire, construite sur nos besoins fondamentaux, une société articulée autour de l’exigence démocratique et écologique. Une société éclairée… refusant « l’empire du moindre mal » de l’idéologie néolibérale.
Des comptes devront être rendus… et nous serons là, déterminé·e·s, présent·e·s et vivant·e·s.
À l’issue de cette crise, reprenons nos vies en main, reprenons le contrôle de nos existences. Rions, chantons, dansons, pleurons, débattons, faisons l’amour, échangeons… Reprenons les libertés qui nous ont été subtilisées depuis trop longtemps. Exprimons et réalisons nos désirs de VIVRE et d’ÊTRE.
Un confiné parmi d’autres, Vincenzo VERHEECKE.