Sur la violence révolutionnaire

Ce texte du philosophe Georges Labica, initialement publié en 2003 sous le titre de « Rendre son acuité au concept de révolution », a été republié dans la revue Période. Tandis que les contribution théoriques et stratégiques sur l’usage de la violence, refleurissent à l’occasion du mouvement social contre la loi « Travaille ! », ce texte fournit un éclairage intéressant, sur la violence révolutionnaire dans le contexte de l’État d’Urgence permanent et de la « guerre mondiale contre le terrorisme ».

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Extrait :

« La question de la révolution demeure posée. Elle est celle de son actualité. Que l’on jette un voile pudique dessus ou qu’on en parle plus, sa présence s’entête, vieille et jeune à la fois, comme l’oppression. Et ce n’est pas une utopie, sauf à préciser, au sens qu’Ernst Bloch a donné au mot, que ce rêve-là est une tendance du réel, qu’il est inscrit dans le quotidien des rapports capitalistes de production, à la fois sous la forme de la nécessité de leur dépassement et contre les régressions dont ils sont porteurs. L’idée de révolution n’est pas plus inactuelle qu’elle ne l’était au temps de Marx. Au contraire. Il convient même de tirer parti des illusions qui étaient les siennes. Marx n’était guère éloigné de penser que le capitalisme pouvait sombrer du jour au lendemain. Lui et Engels se sont trompés en 1848 et ils en ont convenu. A leur différence, nous avons, nous, une longue expérience des révolutions et nous savons ce qu’ils ignoraient : qu’elles peuvent être rouges, roses, blanches ou noires. Cette expérience nous épargne, dans sa richesse de tendances et contre-tendances, autrement dit de contradictions et surdéterminations, d’avoir recours à quelque vade-mecum que ce soit. Et c’est tant mieux ».

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Le siècle qui commence paraît n’avoir rien à envier au précédent. Il se prépare, tout au contraire, à en aggraver les nuisances. Ne retenons qu’un trait de sa modernité. L’insécurité, assure-t-on, règne partout… quand les conditions sont enfin réunies d’une civilisation pacifiée et pacifique. En principe. Le discours de l’insécurité constamment ressassé chez les puissances occidentales remplit une double fonction. Il enregistre et majore le fait d’un incontestable accroissement de la violence : délinquance dans les villes, à l’école, dans les transports publics, dont il dissimule l’origine sociale. Il autorise le pouvoir, sous le prétexte d’une montée de l’extrême-droite, à renforcer les organes répressifs (augmentation du nombre de policiers et de gendarmes, ouverture de nouveaux centres de détention), à restreindre les libertés (flicage électronique des citoyens, procédures de contrôle accrues), à verrouiller l’entrée du territoire (chasse aux migrants, expulsions brutales) et à criminaliser les exclus (sans-papiers, chômeurs, pauvres).

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Les attentats contre les tours jumelles du World Center de New York, en septembre 2001, sont venus à point pour légitimer, avec le discours du terrorisme, la politique hégémonique des États-Unis, élaborée de fait bien antérieurement, et déjà illustrée par la première guerre du Golfe. Il s’agit de s’opposer à toute tentative, de quelque pays qu’elle vienne, de développement autonome ou d’indépendance politique et économique, susceptible singulièrement de soustraire des ressources énergétiques au contrôle de la superpuissance. On a pu ainsi suivre les lignes géostratégiques qui se confondent avec le tracé des oléoducs et des gazoducs, existant ou en projet, des ex-Républiques soviétiques du Sud de l’actuelle Russie, ou de la Tchétchénie, à l’Afghanistan, au Pakistan et au cours du Danube, mais également en Afrique (Angola) et Amérique latine (Venezuela). On s’emploie moins à ménager ses propres réserves (Alaska) qu’à empêcher de grands concurrents de s’en procurer dans l’avenir (Chine). Le discours du terrorisme, qui n’est autre, en fait, que l’invention d’un ennemi en miroir, le boomerang Ben Laden formant le réciproque d’Enron, ambitionne d’installer durablement ce que ses initiateurs appellent eux-mêmes « la guerre globale ».

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Le terrorisme se vend aussi bien que la sécurité : le président de la Lloyd’s de Londres déclare dans un entretien que sa compagnie est parvenue à éponger le débours occasionné par les attentats du 11 septembre et que les affaires reprennent ; il commente : « le marché de la couverture anti-terroriste est aujourd’hui en pleine expansion dans le monde entier, mais il est le théâtre d’une très vive compétition ».

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Le discours de la sécurité et le discours du terrorisme que j’ai distingués, par simple commodité, sont plus qu’étroitement associés. Le premier prétend viser aussi le terrorisme, qui lui assure une couverture honorable et l’inscrit dans la mondialisation. Le second, dans sa version yankee, ne se fait-il pas le soldat de la« sécurité mondiale » ? Ensemble, ils expriment la détermination la plus fondamentale de notre temps, celle de la violence, promise à un solide marché, en effet, et à un bel avenir, puisqu’elle revêt toutes les formes de conflictualité, – entre nations, entre peuples, entre ethnies, entre communautés, entre religions, entre civilisations, entre classes, dans l’économie, dans la politique, dans l’idéologie, dans l’alimentation, dans la culture et l’agriculture, dans la rue, dans l’école, au stade, dans la famille, dans le couple, dans l’atelier, dans l’entreprise…

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On peut, bien sûr, souhaiter que le monde ne connaisse aucune sorte de changement et se satisfaire de l’état de choses existant. Ce qui, après tout, forme le credo des pouvoirs en place, qui emploient au maintien de l’ordre dominant toutes les forces qui sont en leur possession. Et on se gardera d’oublier que lesdites forces n’ont jamais été aussi considérables, – militaires, financières, diplomatiques, culturelles, ou idéologiques, servies par des appareils de communication pratiquement inaccessibles à d’autres qu’eux. Or, nous sommes, hic et nunc, sujets du royaume de TINA, pour reprendre l’impérissable formule de Mme Thatcher, – « There is no alternative », dont les thuriféraires les plus dévoués ne sont pourtant pas les princes qui nous gouvernent, ni les multinationales qu’ils représentent, mais bien les cohortes d’idéologues chargés de nous faire prendre les vessies pour des lanternes, le marché pour la démocratie, la contrainte pour la liberté, le hamburger pour de la nourriture et le goulag pour l’enfant de Marx. Pour ceux-là, nos sociétés ne souffriraient pas d’un « déficit de démocratie », selon l’antienne social-démocrate, mais bel et bien d’un « excess of democracy » (respectons la langue d’origine).

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Si l’on croit, par contre, nécessaire le changement pour conjurer les périls mortifères du « nouvel ordre mondial », force est désormais de convenir que l’alternative n’est pas derrière nous, mais devant.. Elle exige de reconsidérer la seule voie demeurant ouverte, celle qu’offre le concept de révolution.

« Reconsidérer » cela ne veut pas dire remettre en marche une machine arrêtée, ni réutiliser un outil ancien. Cela veut dire conjointement détecter la panne, si une panne s’est produite, et penser à neuf. « Rendre son acuité » au concept de révolution, ou le « rendre à son acuité », renvoie à une double portée sémantique. D’une part, il s’agit de la réappropriation de la radicalité : on met en question le cours des choses, on refuse l’évolution, les corrections, les aménagements. A l’interpretiert, la XIe Thèse oppose le verändern, qui ne se réduit pas à la vague transformation, ni même à la métamorphose, en ce qu’il s’en prend aux formes elles-mêmes. La volonté de changer ne peut exclure le détruire. On le voit clairement avec l’État. La révolution ne vient pas se nicher dans la forme de l’État bourgeois/capitaliste, pour remplacer le personnel politique en fonction, élaborer un nouveau programme et prendre des mesures d’urgence, en maintenant ses appareils. Le problème n’est pas celui du conducteur, mais de la machine. C’est elle qu’il faut changer et vraisemblablement mettre à la casse : La Commune a apporté la preuve que « la classe ouvrière ne peut pas simplement prendre possession de la machine d’État (Staatsmachine) telle quelle et la faire fonctionner pour son propre compte ».

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Ni le procès révolutionnaire, ni la guerre d’indépendance, ni la dictature démocratique ne présupposent des formes de violence ouverte. Elles ne sont pas inscrites dans leur nature. Les leur impose la puissance répressive de l’ordre établi. Si l’alternative était possible, il ne fait pas de doute que la voie pacifique serait préférée. Et quoi qu’en pensent les violents s’élevant contre la violence, elle demeure à l’horizon. Or, on l’aura compris, la logique de la globalisation actuelle limite à l’extrême les marges d’intervention. Les endormissements, les résignations, et les soumissions n’auront qu’un temps. Les conditions sont d’ores et déjà réunies pour qu’éclatent, aux endroits les plus inattendus, soulèvements de masse, insurrections, révoltes sanglantes ou actes « terroristes » » que les bonnes consciences vilipenderont de leurs cris d’orfraies. Aux révolutionnaires d’entendre la désespérance et de la répercuter en vouloir de changer le monde existant.

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