J’y étais allé à reculons, à vrai dire, je n’avais jamais foutu les pieds dans une université.
J’avais déjà eut tellement de mal avec les lycéen-nes, qui avaient ce sale besoin de te faire sentir le fait que tu sois parti en professionnel. Je n’ai jamais su au fond, si c’était la faute de ma susceptibilité muée en complexe d’infériorité ou s’iels étaient véritablement détestables.
L’école avait toujours été un supplice.
Stress, pression, chantage, punitions, notes, concurrence...
Je me souviens de mon meilleur ami qui faisait des crises d’angoisse devant le portail de la primaire, à sa mère de le ramener chez lui. Je n’avais pas une maman de ce calibre, la mienne présentait son empathie par la puissance rhétorique d’un « t’en veux une autre ? ».
Parqué-es, une salle, une cour, du grillage, les yeux sur l’horloge, minutes interminables, putain d’enfance.
Je n’avais jamais fait un seul devoir de toute ma scolarité, par fainéantise et insolence, autant que par la fraternité qu’impliquait l’insuccès choisi. Oui, il y avait dans le rang du fond, cet espèce de contrat tacite entre nous, un honneur à ne rien faire, à refuser la nullité de cet enseignement, de ce savoir-vivre austère, de l’ennui, avant tout, quitte à prendre quelques coups de règles, puis des baffes en rentrant.
Moi, j’avais toujours préféré traîner dehors, attendant que la daronne gueule mon nom du balcon. Je préférais partir chasser la vipère, choper des grenouilles, cueillir des cerises et faire des ricochets…
Se satisfaire de l’école ?
C’était une question qui avait pris le poids des années et me faisait apparaître les étudiants comme des enfants-traîtres.
Avec mes partenaires, nous n’avions toujours eu qu’une seule obsession : la fin du dressage, l’existence pour récréation.
J’avais du mal à imaginer une psychologie qui avait su s’accommoder de cela, de ce conditionnement châtieur mais pire, qui en redemandait encore.
Je ne connaissais pas d’étudiant, ah si, un seul avait fait sport étude et, pour tout dire, c’était un fantastique débrouillard. Les autres, je ne savais pas quoi en penser, mes a priori allaient à l’unisson vers une détestation toute naturelle.
Nous y sommes rentrés tranquillement.
Il y avait une occupation, nous avions un peu d’herbe à vendre, c’était une excellente opportunité.
Les couloirs étaient larges, haut de gamme disons, quelques bustes grotesques ornaient une petite cours franchement agréable.
Comment pouvait-on se sentir à l’aise dans un lieux qui nous surestimait de fait par son architecture ?
Tout semblait là depuis une éternité.
Les étudiant-es, quant à eux/elles, étaient poli-es, présentables, trop peut-être.
Dans l’ensemble, c’était tout de même moins pathétique que ce que j’avais pu imaginer.
Au bout du couloir principal, un attroupement interpella ma curiosité, je fis un signe aux camarades en m’éloignant d’eux/d’elles, au moins, iels ne me chercheraient pas pendant des heures.
Une discussion publique semblait être la cause de cette agitation.
Je pris place dans ce qu’une jeune fille animée nomma « l’amphi ».
Quelques personnes semblaient assez excitées par la venue d’intervenants apparemment réputés. Pour tout dire, je trouvais ce spectacle plutôt surréaliste.
Iels désiraient « bloquer la production intellectuelle », comme l’affirmait un écriteau à l’entrée de la faculté, mais continuaient à s’aligner en rang de façon à écouter des invités spécialistes.
Je ne comprenais pas le sens de cette démarche.
Une jeune fille s’assit à ma gauche, je lui soumis à voix basse :
« Tu sais ce qu’on fout là ? »
« C’est à dire ? »
« On pourrait écouter n’importe quel clochard qu’il aurait des trucs plus intéressants à nous dire... »
« C’est ironique ? »
« Non, je comprends pas pourquoi on devrait étudier, c’est une grève ou un système de production alternatif ? On est encore en cours là ? Y a quand même des trucs plus sympa à faire que d’écouter des mecs qu’on peut retrouver sur Youtube... On pourrait tomber amoureux par exemple, repeindre les escaliers en rouge, partir brûler le centre ville en dansant... »
Elle resta silencieuse, pensa certainement que je me débrouillais relativement mal en humour…
L’arrivée des intervenants avait suscité des acclamations.
L’impression d’être dans un mauvais péplum.
Pourquoi pas... il semblerait que nous soyons tous réduit à supporter quelque chose, un club de foot, un intellectuel, au fond quelle différence pour notre production de dopamine ?
Alors que je pensais avoir refroidit la camarade de gauche, elle riposta une impression :
« C’est vrai que c’est un peu ridicule... »
« Je suis pas étudiant, ça me paraît un poil folklorique... »
Bien incapable de prêter mon attention aux conférenciers, absorbé par les dynamiques et les typologies qui composaient cette socialité disciplinée par l’apprentissage, submergé par l’abondance d’informations nouvelles que mon esprit un tant soit peu analytique tentait de synthétiser et, interloqué par tant d’exotisme, je sillonnais du regard cet impeccable malentendu.
De toute façon, les arguments à gorge déployé avaient toujours eu la fâcheuse tendance de me répugner. Je ne parvenais pas à savoir si ces savants du bavardage étaient pleinement convaincus de ce qu’ils revendiquaient officiellement, ou s’ils s’arrangeaient des regards amoureux de ce jeune public en quête de nouvelles leçons. Quoi qu’il en soit, nous semblions peu à ressentir ce malaise qui me liquéfiait.
Ordonné-es en ligne, la grande majorité semblait soutenir cette parole qui se relâchait sur nous.
Tout semblait fonctionner selon les lois de l’applaudimètre.
Je n’avais l’énergie de rien, encore moins celle de m’opposer à tant de médiocrité ordinaire, je laissais faire par dépit, exclusivement à l’écoute de ma propre lassitude. C’est pourquoi j’ai lancé un sourire gêné à ma camarade de gauche qui, après lui avoir mimer mon départ, me renvoya une mine amicale, puis fit la place nécessaire à ma désertion.
À l’extérieur, quelques petits groupes d’individu-es discutaient.
La cantine avait encore du potage à prix libre, je flânais donc en mangeant.
Au loin, un camarade me fit signe.
À ma portée, lâcha dans un bâillement :
« On a trouvé la salle des ordis. »
Nous prenons le pas, et réalisons sur place que nous n’avons pas le matériel adéquat pour soustraire un ordinateur complet, dommage.
Nous avons donc pris ce que nous avons pu, essentiellement du beau papier A4, quelques gadgets numériques, câbles, prises… et papier toilette.
Le dernier gramme venait enfin d’être vendu : libres.
Nous pouvions déguerpir, nous l’avons fait sur-le-champ.
Annotation :
Ce texte relate une expérience personnelle, il n’est en aucune sorte un appel au mimétisme. Aucune revendication politique n’y est faite, aucune fierté, aucun éloge, une description sincère d’une journée somme toute ordinaire.
Nous rapportons ces faits dans l’espoir de restituer une pluralité aux mémoires, persuadé qu’elles peuvent se faire échos entre elles, renvoyer à d’autres, encore ignorées car minoritaires...
Il nous semble en effet nécessaire d’inclure au "politique" la désillusion, le désespoir et même l’indifférence, les comptes rendus concernant l’époque ne peuvent être réduits aux seuls termes de l’organisation, de l’agenda militant, d’une ligne politique formelle et languissante.
La mémoire collective est, comme son nom l’indique, la somme des épreuves, des tentatives, des échecs, des pensées mises en commun, elle ne devrait donc pas se dérober aux contrastes, mais plutôt les admettre comme des occasions d’affirmer une mise en perspective composite et nuancée.
Nous avons besoin de tout le matériel disponible pour comprendre l’époque et ses contradictions, pour comprendre les besoins et les meurtrissures de chacun-e, afin de nous donner la faculté de les dépasser ensemble, surtout.