Retraites, fin du monde : même combat ?

Depuis les mégafeux australiens, on a pu entendre çà et là que l’urgence n’était pas la sauvegarde du système de retraites actuel, mais plutôt la lutte contre le changement climatique, avec l’argument fallacieux « sans planète, pas de retraite ». On n’a pas non plus vu une jonction massive des écolos avec le mouvement social en cours, malgré quelques tentatives de textes, et sabotages légers. Ceci est un appel du pied : intensifions.

Si on a marché et grèvé pour le climat, il est absurde de ne pas le faire contre le projet sur les retraites. Les mesures du gouvernement vont avoir un effet néfaste considérable sur le réchauffement climatique.

Travailler plus longtemps c’est produire plus longtemps et donc (souvent) polluer plus longtemps. Comme l’ont écrit Désobéissance écolo Paris, il faut en riposte créer un «  temps libre de masse, créatif et non dévastateur ».

Mais même sans aucune mesure d’âge, le combat contre la réforme des retraites est aussi un combat contre le monde de la finance, incontestablement un des pires ennemis de la protection du climat. Cet article propose de s’attarder sur les pratiques actuelles des financiers vis-à-vis du climat.

Spoiler : la réforme des retraites, c’est laisser le champ libre aux financiers pour investir dans des projets climaticides avec le peu d’argent qui nous reste.

Rappel : pourquoi la réforme du gouvernement va développer les systèmes de retraites privées (dits « par capitalisation »)

Moins, et surtout, combien ?

Le système actuel fonctionne par répartition (les cotisations des actifs financent les pensions des retraités).

Ce que le gouvernement propose en deux mots :

1) Une baisse généralisée des pensions : moins d’argent pour tout le monde par rapport au salaire
Comme l’a mis en lumière le collectif Nos retraites, avec l’objectif de plafonner les ressources totales du système public de retraites à 14 % du PIB.

« Notre système public de retraites représente aujourd’hui 14 % du PIB, pour 20 % de personnes de plus de 65 ans, et [le gouvernement] ne souhaite pas mettre plus d’argent dans nos retraites. Or, sous l’effet de l’augmentation de l’espérance de vie, dans 30 ans les personnes de plus de 65 ans seront 6 millions de plus qu’aujourd’hui, et représenteront 26 % de la population. Plus de retraités qui se partagent une même part du gâteau, cela fait moins de gâteau par retraité, et donc un décrochage de plus en plus fort de nos revenus au moment du départ en retraite. Dit autrement, de cet effet ciseau découlerait une baisse mécanique du montant de nos pensions par rapport à nos salaires. »

2) Une grande incertitude sur les montants de ces pensions : on aurait moins, mais on ne saurait même pas combien

Avec le système par points, personne ne saura exactement combien il ou elle va toucher (si vous voulez vous plonger dans les arguments techniques c’est par ici). Non seulement on se partage une part plus petite du gâteau, on ne saura même pas combien de bouchées on va avoir.

Le réflexe de survie : épargner dans son coin

Confronté·e·s à une baisse certaine, à laquelle s’ajoute une incertitude sur l’ampleur de la baisse, les actifs et actives vont vouloir s’assurer une retraite décente afin de ne pas crever de faim. Iels vont se tourner vers les systèmes de retraites individuels, dits par « capitalisation ». C’est-à-dire que chacun·e épargnera dans son coin. Mais a priori, pas en mettant son argent sous son matelas. Dans son projet de loi, le gouvernement encourage explicitement les assureurs a développer ces systèmes par capitalisation.

Vite dit, le principe d’un système par capitalisation consiste à cotiser auprès d’un organisme privé, directement ou via son employeur. Cet organisme — un organisme financier, banque ou assurance — va investir les sommes cotisées.

L’objectif : les faire fructifier, c’est-à-dire obtenir un retour sur investissement, pour en faire bénéficier la personne cotisante lorsqu’elle prendra sa retraite. Au passage, cet acteur privé prend sa commission.

Des sommes immenses en jeu

Aujourd’hui, avant même la réforme, il y a plus de 130 milliards investis via des systèmes par capitalisation en France. C’est très peu par rapport a l’épargne totale des Français (moins de 1%), comme le déplore BlackRock dans une note, mais c’est beaucoup par rapport aux investissements/désinvestissements nécessaires pour atténuer la progression du changement climatique ou s’adapter à ses impacts (seuls 45 milliards effectivement alloués en 2019, tout en étant loin de ce qu’il faudrait dédier !).

On ne sait pas aujourd’hui l’ampleur des sommes supplémentaires qui vont être cotisées et investies dans des systèmes par capitalisation si la réforme passe, mais on parle de plusieurs dizaines voire centaines de milliards d’euros qui vont finir par alimenter les caisses de jeu de la bancassurance et de ses croupiers. Un indice, notre cher ministre de l’Économie affirmait dans un entretien vouloir, avant la fin du quinquennat Macron, accumuler 300 milliards d’euros investis via ces systèmes.

La question qu’il faut poser est la suivante : où ces sinistres rapaces vont-ils investir ces nouvelles sommes cotisées ? Avec quels objectifs et avec quelles conséquences pour le climat ?

Les financiers qui gèrent les retraites par capitalisation doivent assurer un retour sur investissement conséquent pour être attractifs — un retour plus grand que celui de leurs concurrents évidemment. Quels sont les projets ou les entreprises les plus lucratives ? Ce ne sont pas les plus socialement ou écologiquement responsables — c’est même tout le temps l’inverse.

Il suffit d’examiner les investissements des grandes banques mondiales dans les énergies fossiles, compilées par l’ONG Banktrack : entre 2016 et 2018, un échantillon de seulement 33 banques privées ont abreuvé le secteur des énergies fossiles avec 1700 milliards de dollars. Et en tête du financement du pétrole et de la déforestation, notre dernière copine en date, la gestionnaire d’actifs BlackRock.

Sans vouloir vanter d’alternative (c’est un autre débat) citons juste pour l’ordre de grandeur le total de l’investissement mondial - public et privé - dans les énergies dites « renouvelables » : 332 milliards de dollars en 2018 — et évidemment environ 0 milliard investi dans des projets de décroissance radicale.

La mauvaise foi des investisseurs des fonds de pension et assurances

On ne peut pas faire confiance aux acteurs de la finance pour faire des investissements vertueux, pour la simple raison que ceux-ci ne sont pas assez rentables. Voici un florilège de mauvaise foi pour ceux·elles qui douteraient encore.

Certains de ces fonds de pension se sont récemment fait de la pub en disant prendre des actions pour investir uniquement dans des projets neutres en carbone… d’ici 2050 ! D’ici là, l’aggravation du réchauffement climatique aura peut-être pris des proportions irréversibles.

Les financiers disent faire des efforts, mais une évaluation récente des stratégies d’investissement des grands fonds de pension (qui s’occupent donc spécifiquement des retraites dans le monde) a estimé que :

  • 60 % des grands fonds de pension n’ont aucune stratégie pour la lutte contre le réchauffement climatique ;
  • Moins de 1 % du total des investissements des 100 plus gros fonds de pension est investi dans des projets bas-carbone, et seulement 10 % excluent le charbon — la source d’énergie la plus polluante — de leurs portefeuilles d’investissements.

En 2016, une autre étude réalisée auprès de 712 investisseurs de fonds de pension a révélé au grand jour le fait qu’on ne peut rien attendre de ces organismes : à la question « cesseriez-vous d’investir dans une entreprise dont les activités affectent négativement le changement climatique », seul 1 sur 4 répondait par un « oui » franc (on note au passage que ces investisseurs n’ont que peu de scrupules pour financer des entreprises mouillées dans l’évasion fiscale, les essais cliniques sur les animaux, les ventes d’armes, etc.).

En France, les banques et assurances ont bombé le torse cet été en disant vouloir sortir du charbon. Cela ne suffit pas (pensez pétrole, infrastructures, déforestation…), mais l’insolence c’est que ces paroles restent aujourd’hui a l’état gazeux, ne donnant lieu a que très peu de modifications effectives, comme l’a révélé l’ONG les Amis de la Terre. À ce jour pratiquement aucune grande banque ou assureur français n’a des pratiques suffisantes vis-à-vis du secteur énergétique pour un monde vivable demain.

Cessons de leur faire confiance pour prendre des engagements qui prendront effet dans un monde oscillant entre le brasier et l’inondation. Le combat est trop urgent. Gardons la maîtrise des quelques ressources qui restent.

Le gouvernement veut précariser notre avenir, et en même temps canaliser toujours plus d’argent vers ce qui est nocif : c’est une double peine insupportable. Nous ne croyons pas à la survie du système actuel, issu de 1945, qui va se heurter rapidement à l’impossibilité de croître infiniment sur une planète finie. Mais ce que propose le projet actuel, c’est accélérer encore davantage la fuite en avant vers une financiarisation du monde prédatrice et accumulatrice.

Mettons-y un coup d’arrêt et étendons l’idée de retraite et de grève à la vie entière.

Le combat écologiste dit chercher des moyens de faire jonction avec les combats sociaux — le gouvernement lui offre une occasion or. Les écolos dans la rue, sur les piquets de grève et les actions !

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