Samedi 12 mars, nous étions entre 70 et 80 personnes à manifester au CRA de Vincennes : depuis le 17 mars 2022, une grève de la faim est en cours dans les différents bâtiments. Les prisonniers dénoncent l’enfermement, les mauvais traitements, les peines de prison ferme prononcées après des refus de test et les allers retours prison-CRA qui s’enchaînent sans fin, les expulsions forcées et cachées.
Nous avons déjà relayé plusieurs de leurs témoignages expliquant les raisons de la grève, ici et ici, et plusieurs prisonniers ont participé aux émissions de radio de l’Envolée, écoutables ici et dans l’émission du vendredi 11 mars 2022 (à venir sur le site de l’Envolée) .
A l’intérieur, les flics mettent la pression aux personnes qui font la grève en notant les noms, en tapant dans les portes, en déclenchant l’alarme incendie au milieu de la nuit, etc. Les prisonniers avec qui nous sommes en contact, ceux qui passent à la radio et à qui nous rendons visite sont également particulièrement ciblés, les flics tentant d’individualiser la grève en désignant des gens censés être les « leaders ».
Face à cela, nous avons décidé d’appeler publiquement à une manifestation au CRA pour réaffirmer notre soutien aux prisonniers dans la construction d’un rapport de force avec la police : être nombreux.euses à manifester, c’est dire aux flics que nous sommes au courant de ce qu’ils font à l’intérieur et que les prisonniers ne sont pas seuls.
Nous avons décidé de ne pas déclarer la manifestation car nous savons d’expérience que lorsque c’est le cas la préfecture interdit la manifestation et nous impose un trajet complètement différent, généralement très loin du CRA, là où les prisonniers ne pourront pas nous entendre et où nous serons totalement inoffensifs.ves.
Samedi à 17h nous sommes donc parti.es en cortège vers le CRA, en bloquant la circulation depuis la gare RER de Joinville jusqu’au CRA. On a trouvé ça puissant de pouvoir former un vrai cortège sur tout ce début de manif ! Certaines personnes sont arrivées après le départ et n’ont pas réussi à retrouver la manif : on est désolé.es pour ça, comme c’était pas déclaré on avait prévu de partir assez à l’heure pour éviter de se faire bloquer au RER.
Nous avons ensuite atteint l’arrière du CRA où nous avons pu nous faire entendre des prisonniers des CRA 2A et 2B qui nous répondaient depuis l’intérieur. Les flics du CRA sont sortis mais n’étaient pas assez nombreux pour nous empêcher de continuer notre trajet vers le bâtiment 1. C’était la première fois depuis longtemps qu’on a réussi à aller jusque là, c’était super fort de pouvoir se faire entendre du bâtiment 1 car les gens sont sortis aux fenêtres. Nous avons d’ailleurs pu observer que la pref a installé des caillebotis (grillage très serré) aux fenêtres des chambres, comme en taule, qui nous empêchait de voir les prisonniers depuis la rue, mais on a quand même pu bien communiquer vu la proximité.
On relaie ici ce qu’ils nous ont dit : « Aidez-nous à sortir », « Ils nous traitent comme des chiens » « C’est des bâtards » « On mange pas, on dort pas » « On a faim », « Y en a qui ont leurs enfants dehors » « Liberté ». On a tous.tes la rage d’entendre ça, ça fout le seum que dans ce pays raciste les gens soient enfermés pendant des mois, ça fout le seum de voir les flics du CRA nous faire coucou en souriant quand on sait qu’à l’intérieur ils humilient et tabassent les gens, ça fout la rage de savoir que des gens sont expulsés comme des marchandises, scotchés et sous cachetons.
Dans ces moments là on pense à tous ceux avec qui on est en contact, on pense à Y., à A. et à D. qui sont enfermés depuis maintenant plus de 8 mois dans cette boucle infernale CRA-prison ; on pense à M. qui n’a pas vu sa fille depuis qu’elle est née, il y a 7 mois ; à B. avec qui on était en contact depuis le début de la grève et qui a été expulsé de force juste avant la manif, on aurait aimé que tu sois là ; à S., la sœur d’une personne enfermée depuis des mois qui galère à l’extérieur avec les parloirs et les avocats à payer ; à tous.tes celles et ceux, enfermé.es et leurs proches, qui subissent la violence et le racisme d’État parce qu’ils n’ont pas le bon bout de papier, parce qu’ils ne sont pas blanc.hes, parce qu’ils sont pauvres.
Face à tout ça on se sent souvent impuissant.e, mais on espère qu’en tapant sur les grilles et en criant tous.tes ensemble « liberté » avec les gens à l’intérieur, ça leur a envoyé de la force, et on se dit que ces manifs elles ne sont pas que symboliques.
Voilà ce que nous raconte après un retenu du CRA1 sur ce moment là : « tellement que les policiers étaient nombreux c’est comme si c’était l’enfer ! ils ont bloqué partout mais on applaudissait, on criait, eux ils nous gazaient en nous disant des mots blessants : »rentrez chez vous« , alors que nous on peut pas être là juste pour un bout de papier, on peut pas travailler ! C’est comme si ça nous suivait pour pourrir notre avenir. Après ils ont encore gazé et frappé des gens. Ils ont mis des gens à l’isolement aussi. Mais on est quand même là pour vous soutenir pendant que vous nous soutenez ! »
Certaines personnes ont été envoyées à l’isolement après la manif pour avoir crié et tapé aux grilles. Les personnes à l’intérieur avec qui nous avons discuté après la manif disent que ça a été fort et important d’entendre du soutien de l’extérieur.
Dans les autres bâtiments du CRA ça a bougé aussi, au CRA 2B par exemple des copains enfermés nous ont raconté que tout le monde criait et lançait des slogans. Là-bas aussi ils nous ont dit que c’est important de continuer à manifester pour eux et contre les CRA.
Les jours suivants, les keufs ont continué à faire chier, surtout au CRA1 : fouilles, portables réquisitionnés, coups de pression. Ils veulent que les prisonniers restent isolés, et que personne à l’extérieur soit au courant de la merde qu’ils font à l’intérieur.
Mais revenons à samedi. À partir du moment où on était nombreux·ses à taper sur les grilles et à parler avec les prisonniers (ca faisait déjà une petite heure que la manif avait commencé) les flics ont commencé à débarquer en nombre. La BRAV est arrivée à moto et a commencé à nous repousser assez violemment. Ils ont nassé le cortège et nous ont fait marcher comme ça pendant 10 à 15 minutes avant de nous arrêter sur un trottoir pour nous contrôler en essayant d’identifier les « responsables ». Dommage pour eux encore une fois, il n’y avait pas de chef à qui ils pouvaient s’adresser et la plupart des gens présents avaient malencontreusement oublié de prendre leurs papiers d’identité. En tout cas on se dit qu’on devait être sacrément important.es car ils ont bloqué tout un rond point pour nous et ont appelé des renforts, en tout au moins 4 camions et une cinquantaine de BRAV, sans compter les autres flics.
On est resté.es bloqué.es là environ une heure, le temps qu’ils contrôlent tout le monde ; à ce moment là ils disaient que tout.es celleux qui n’avaient pas de papier allaient être emmené.es au poste pour une vérification d’identité. Face à ces menaces environ 50 manifestant.es ont choisi de dire qu’iels n’avaient pas leurs papiers, certain-e-s déclarant une identité à l’oral, d’autres n’étant pas interrogé-es sur leur identité. Les flics ont fouillé tout le monde pour trouver des papiers, parfois ils ont réussi, mais le plus souvent non. Après avoir fait partir toutes les personnes qui avaient des papiers, les flics ont finalement raccompagné les autres au RER par groupe de 10/15 personnes.
Morale de l’histoire et mise en pratique : ne jamais croire les keufs, et le refus collectif d’identité ou le fait de donner une fausse identité à l’oral, quand on est nombreux.euses, ça fonctionne ! Cela permet aussi aux personnes qui n’ont pas de papier/qui sont recherchées/ connues de la police/ de ne pas se retrouver isolées.
À priori, au moins une quinzaine de personnes qui avaient leurs papiers ou ont donné leur identité, recevront probablement une amende (selon les keufs pour « participation à une manif non déclarée » ou « participation à une manif interdite » ou « délit d’attroupement ») : on va s’organiser pour les contester et/ou les payer collectivement, si tu reçois une amende écris nous à anticra@riseup.net
Cet appel s’adresse aussi aux personnes qui sont arrivées après le départ et se sont faites contrôler en essayant de nous rejoindre. On se dit qu’on aurait dû mieux communiquer entre nous au début de la manif et au moment de la nasse sur l’attitude collective face au contrôle d’identité et que ça a été un peu brouillon. On a débriefé avec pas mal de personnes après, mais si tu as participé à la manif et veux nous faire un retour ou en discuter, n’hésite pas.
En tout cas pour nous cette manif était une réussite, ça faisait longtemps qu’on avait pas fait le tour quasi complet du CRA. C’était puissant et on trouve qu’on a bien bougé ensemble quand les flics nous mettaient la pression. Ça donne de la force pour la suite et pour continuer à organiser des moments publics comme ça, et ça nous fait nous sentir un peu moins impuissant.es face à toute cette merde. On en profite pour rappeler que l’AG contre les centres de rétention est ouvertes à tous.tes, c’est tous les mercredis soirs à 19h, si tu veux y passer envoie un mail à anticra@riseup.net