En réaction à la diversité nouvelle des tactiques (offensives et défensives), la police a à ce point perfectionné ses techniques de nasses, que chaque nouvelle manifestation risque un peu plus de n’être pour la Préfecture qu’un terrain d’entraînement ou un carrousel (cf 23 juin 2016). Sans remettre en question la légitimité a priori de la pratique du black block, il faut bien constater que sa généralisation au sein du cortège de tête n’a pas bénéficié au potentiel débordant de ce dernier.
Les raisons de cette généralisation sont multiples : volonté d’anonymat par principe ou nécessité pratique, de solidarité avec celleux prenant le plus de risques, ou de participer à une esthétique offensive, etc. Mais nous sommes quelques un.e.s à penser que le port de l’habit noir n’a pas vocation à monopoliser l’espace du cortège de tête. Sans quoi on risque de devenir aussi mortifère que le cortège syndical nous précédant, en nous perdant dans la reproduction d’un romantisme émeutier tactiquement dépassé, laissant nos pratiques se figer dans des formes que la police prend soin de dévitaliser (au sens figuré comme au sens propre).
D’autre initiatives ont pourtant émergé : du carnaval ingouvernable contre la mascarade électorale, à la kermesse du deuxième tour à la Villette, en passant par le mouvement d’occupation de salles dans les universités. Sans parler des batukadas et chants, des pancartes et des tags, que l’on s’efforcera et qu’on vous invite à réactiver, en se réappropriant des couleurs bariolées, des allures clownesques, les concerts de casseroles et autres joyeusetés ; nous pourrions ainsi nous rendre à nouveau rejoignables - notamment par tout.e.s les fatigué.e.s des sonos façon CGT (coucou le front social), dans le but de brouiller les lignes dans les cortèges trop clairement définies entre cortège de tête et tête du cortège (jusque parfois fournir des manifs prêtes-à-nasser, comme au 1er mai 2017). Cela permettrait également de couper l’herbe sous le pied à la mythologie médiatique des éléments extérieurs et marginaux de la manifestation, fétichisation de la violence qui ne légitime que mieux l’usage de la répression qui se ressent dans nos chairs.
Ceci n’est pas plus un appel à cesser de cibler les vitrines et leurs familles (quoique cela engraisse toujours leurs assureurs) qu’à espérer s’éviter la répression par une posture non-violente : rien n’empêche (et il nous semble même plutôt recommandé), de se protéger, se masquer, de porter un cuir derrière ses habits fushia et deux jeans sous un pantalon violet, et de cacher du maalox et autres masques anti-pollution dans son chapeau, que l’on pourra distribuer à l’envi à tout.e.s les personnes fuyant le cortège syndical mais ne se retrouvant pas forcément dans les pratiques associées au port du kway noir. Il ne s’agit pas de « remplacer » le black block par un autre ensemble de pratiques. Il nous faut retrouver l’art de la composition entre une variété de formes d’action qui s’était esquissé au printemps 2016.
C’est bien une ambiance qu’il nous semble nécessaire de changer, pour retrouver en manif celleux que le sentiment d’aller systématiquement au casse-pipe a fait.e fuir. N’oublions pas que le mouvement contre la loi travail, malgré tout ce qu’il nous a apporté, s’est soldé par un échec, la mise en place de cette réforme de l’esclavage, et le déploiement de sa violence sur tout.e.s les damné.e.s de la terre. Cette rentrée des casses se présente, à notre sens, en ces termes : saurons-nous, jeunes et moins jeunes autonomes du cortège de tête, dynamiser le mouvement social, faire proliférer les lignes de partage au point de les rendre indiscernables au regard policier, retrouver des tonalités festives et imprévisibles, de sorte à faire reculer le pouvoir de l’état zombie et sa peste néolibérale ?
Si oui, elle démontrera qu’elle est une force capable de faire de lutter contre leur vieux monde pourri. Sinon, jusqu’à la prochaine fois, elle sera réduite à avoir le beau rôle dans le spectacle.
En bref, on propose à celleux qui se retrouvent dans ce texte :
- De venir avec de quoi se protéger mais à veiller à ce que 5 minutes après le début de manif on ne soit pas tout.e.s de noir vêtu.e.s.
- D’apporter de quoi se soigner et aider celleux autour de nous
- De jouer avec des attitudes « bon enfant » et festives
- Le tout dans l’optique d’éviter que les portions les plus radicales de la manifestation ne soient séparées du cortège principal par les flics
- Et de maintenir une certaine hospitalité envers tout.e.s celleux qui seraient tenté.e.s de nous rejoindre sans maîtriser les pratiques du black block
Des participant.e.s du cortège de tête
Emma Goldman
« En un sens, la question révolutionnaire est désormais une question musicale »
Tiqqun