Rencontre avec Youcef Seddik, journaliste syrien

Transcription de la conférence de Youcef Séddik
Directeur de l’agence de presse AMC (Aleppo Media Center)
Rencontre proposé par le collectif Les amis d’Alep en partenariat avec le restaurant le Syriana.
À Paris le 18 novembre 2015.

Contexte :
En mars 2011, Youcef Seddik étudie la littérature à Damas.
Après avoir été poursuivi par le régime syrien pour sa participation aux premières manifestations, il se réfugie dans sa ville natale à Alep.
Après la libération de certains quartiers d’Alep par l’Armée Syrienne Libre, il assure la venue de journalistes étrangers en endossant le rôle de guide et de traducteur.
Il participe ensuite à la création du centre de presse d’Alep (AMC) qui fournit des infos aux centres de presse internationales.
Il en est le directeur depuis 2013.
Youcef Seddik est aussi président du syndicat des journalistes qui compte à ce jour 200 adhérents.

Alep au nord-ouest et Palmyre au centre

Introduction de Youcef Séddik :
Des centaines de milliers d’habitants restent toujours dans la ville. Ils essaient de résister pour que leur révolution ne disparaisse pas malgré toutes les destructions et les bombardements qu’ils subissent. Probablement les habitants d’Alep sont ceux qui pensent le plus aux Français parce qu’ils ont eux-mêmes vécu ce que traversent les Français en ce moment. Dans la ville d’Alep il y a des gens qui ont la volonté de construire un nouveau pays sur les ruines que l’on vient de voir dans la vidéo.

Beaucoup de jeunes essaient de construire de nouvelles organisations et associations de la société civile pour constituer une sorte de petit gouvernement en Syrie. Malgré toutes les destructions, les ouvriers travaillent jour et nuit pour garder la ville propre et en fonction.
Les ouvriers réparent tous les jours ce qui est détruit par les bombardements.

Dans la ville d’Alep, des enfants continuent d’aller à l’école même si c’est dangereux car les écoles ont étés bombardées plusieurs fois, mais elles sont toujours là. Ça doit vous paraître impensable mais c’est la réalité. Comme vous l’avez entendu dans la vidéo, environ cent mille enfants fréquentent les écoles actuellement. Bien sûr cent mille c’est un nombre faible pour une ville comme Alep, mais cela veux dire que les autres élèves ont fui d’Alep et d’autres sont déportés en Europe.

Je ne dirai pas que nous avons à reconstruire toutes les institutions à Alep et dans le nord de la Syrie, mais des efforts considérables sont déployés pour atteindre cet objectif.
Nous recherchons la coopération avec tous les pays du monde et à profiter de leur expérience d’organisation afin de réaliser cet objectif le plus rapidement possible. À condition que cette coopération se poursuive et que les promesses qui nous ont étés faites par les gouvernements Américains et Français soient effectivement tenues.

Je suis contraint de parler d’autres chose, mais qui est lié a cette question. C’est la question politique et des positions internationales vis-à-vis de la Syrie. Surtout après les attaques qui ont visé Paris il y a quelques jours.

J’entends qu’il y a des projets d’alliance entre la France et la Russie pour combattre le terrorisme de l’organisation Daesh. Ce qui veut dire que la France va changer radicalement de position vis-à-vis du régime syrien, et c’était justement l’objectif de Daesh, c’est ce qu’ils souhaitaient, faire changer la position de la France.
De cette façon la France fait ce que les terroristes voulaient, elle devient un allié du régime syrien malgré les crimes qu’a commis ce régime contre son peuple et contre le monde. Cela détourne l’attention des crimes commis par Bashar el Assad vers les crimes commis par Daesh.

Je ne vais pas m’étaler plus mais c’est la situation que nous vivons aujourd’hui. Dans la ville d’Alep et dans le nord de la Syrie nous avons une société civile forte et nous essayons de construire une alternative aux institutions d’État qui ont disparu avec le départ de l’armée syrienne.

Je m’occupe des dizaines de milliers de déportés qui augmentent en particulier avec les bombardements russes. Et de façon à ce que le monde sache que la Syrie ce n’est pas simplement Bashar el Assad et Daesh.
Merci à vous.

Questions du public à Youcef Seddik :

Daesh est aux portes d’Alep, mais dans cette ville il y a des organisations qui kidnappent et emprisonnent des activistes. Qui les protège ?
Y.S : Ce ne sont pas seulement nous les activistes qui sommes kidnappés en Syrie et particulièrement à Alep. Ceux qui protègent les civils et les activistes ce sont les groupes de l’armée Libre Syrienne. Ce n’est pas une protection directe et malgré cette guerre il y a quand même une forme de stabilité. Bien qu’il y ait eu des cas d’enlèvements, il y a une stabilité générale et nous pouvons nous déplacer comme des citoyens normaux. Je me déplace dans la campagne et le centre d’Alep normalement en passant aux check point. Je ne leur dis pas que je suis journaliste, je me présente comme un simple citoyen et je n’ai pas de problème.

Quelles sont les activités culturelles à Alep ?
Y.S : la ville a été libérée il y a trois ans et quelques mois. Et pendant cette période il y a eu une production culturelle et artistique à cette période, de nombreuses pièces de théâtre et de films et d’autres activités.
Et dans la dernière période ces productions ont diminué pour deux raisons : D’abord parce que beaucoup de militants ont immigrés et à cause des bombardements qui rendent difficile ce genre d’activités, mais cela continue malgré tout.

Est-ce que les frappes de la coalition contre Daesh sont bénéfiques pour les démocrates ?
Y.S : Pas du tout. La plupart des frappes aériennes ont un impact très faible et le « comique » c’est que les porte-parole des Affaires étrangères des USA parlent de l’exécution d’une personne ici ou là. Mais il y a des dizaines de milliers de combattants de Daesh donc ça n’a pas d’impact.

Les seuls qui peuvent combattre Daesh ce sont les révolutionnaires de Syrie parce qu’eux savent comment s’y prendre avec les combattants de Daesh sur le plan idéologique et sur le terrain. Le combat contre Daesh se fait sur plusieurs niveaux. Dont le plan militaire, mais la bataille principale est idéologique et médiatique et c’est celle là qui doit être soutenue. De façon à faire cesser l’afflux de jeunes ignorants et leur engagement dans Daesh.

Il faut faire cesser le financement de Daesh notamment via le pétrole. D’ailleurs une grosse partie du pétrole de Daesh est achetée par le régime syrien. Ce dernier soutien Daesh d’une façon intelligente. Et les Français, les Européens et les Américain l’ignorent et tombent dans le panneau.
L’opposition démocrate locale combat Daesh en permanence. À la fin 2013 nous avons expulsé Daesh en dehors de la ville et de la campagne du nord et de l’ouest.

Le régime syrien soutient Daesh de différentes façons. Par exemple il y a des combats fictifs contre Daesh dans plusieurs régions. Le régime syrien se retire sans réellement combattre et laisse ses réserves de munitions à Daesh. C’est ce qu’il s’est passé à Palmyre, où le gouvernement syrien a laissé là-bas sa deuxième plus grosse réserve d’armes et de munitions du pays à Daesh. Et de la même façon, Daesh soutient Bashar El Assad. Il y a deux mois, Daesh a attaqué l’opposition dans la campagne du nord d’Alep et a pris trois positions importantes qui étaient jusque-là tenues par les opposants révolutionnaires au régime de Bashar. Et elle a rendu deux des ces positions à Bashar sans combat et c’est aussi Daesh qui soutient le régime de Bashar dans le nord d’Alep.

Vous avez parlé toute à l’heure d’une société civile très organisée présente à Alep et dans le nord de la Syrie. J’aimerais savoir comment ces gens arrivent à s’organiser, à communiquer au vu des bombardements ?
Y.S : Je n’ai pas dit que c’était parfaitement organisé, mais nous travaillons et nous agissons pour améliorer la situation. Les bombardements on en a pris l’habitude. Tous les jours il y a des bombardements qui tombent près de nos maisons.
En ce qui concerne la communication nous nous déplaçons dans Alep et la campagne. On utilise le réseau internet de Turquie par des moyens de communication sans fil et nous avons maintenant internet dans tout le nord de la Syrie.

On parle d’Alep comme une ville libérée, mais Alep n’est pas libérée, seule une petite zone de la ville l’est et c’est dans cette zone que vous (les opposants) arrivez à travailler et à agir. Quelles sont vos relations avec l’autre partie d’Alep qui comprend la majeure partie des gens ?
Et combien y a-t-il de gens dans la zone libérée de la ville ?

Y.S : Je pensais que les gens étaient au courant de cette information, donc je m’excuse de ne pas l’avoir précisé.
Alep est une grande ville qui comptait 5 millions d’habitants avant. Depuis 2012 la ville est divisée en deux. Environ 40% de la ville est sous le régime de Bashar et l’autre partie sous le contrôle des révolutionnaires qui gèrent aussi 90% des habitants de la campagne d’Alep. Mais depuis son arrivée, Daesh a conquis une grande partie de la campagne.

C’est ce qui a permis au gouvernement de récupérer certains secteurs nord de la campagne le mois dernier (octobre 2015) et avec l’aide des frappes aériennes russes, il a aussi récupéré certains villages de la campagne sud d’Alep. Le gouvernement de Bashar a par ailleurs le soutien des milices communautaristes Chiites d’Iran, du Liban et de l’Irak qui combattent à ses cotés. Les bombardements et les attaques au sol de ces milices ont causées l’exode de cent mille personnes. Ces dernières sont maintenant dans la campagne ouest et nord d’Alep.
Beaucoup d’entre eux sont sans logement, sans abris. Des tentes ont étés dressées en urgence mais c’est totalement insuffisant.

Youcef Séddik s’est présenté comme membre du syndicat des journalistes.
Je voudrai savoir s’il y a d’autres corporations qui s’organisent également en syndicat et si ces syndicalistes nourrissent en quelque sorte le débat politique dans les zones libérées et si ces syndicalistes entretiennent des relations avec d’autres syndicats extérieurs à la Syrie ?

Y.S : La question est très intéressante.
Il y a beaucoup de syndicats, le plus ancien qui est très actif est celui des avocats. Il y a également des unions de médecins et d’ingénieurs, des économistes - je ne parle pas des commerçants mais de ceux qui font des études d’économie.

Depuis un an et demi nous avons pour projet de créer l’union des journalistes d’Alep et ce syndicat a affronté beaucoup de difficultés avant de pouvoir naître. Cela fait trois ans qu’on essaie de le créer et depuis le congrès de lancement en 2013, Daesh a enlevé un grand nombre des membres du syndicat, dont Louai Abo Aljoud et d’autres personnes encore.

Après plusieurs mois nous avons persisté et nous avons réussi.
Le 20 juillet 2014, jour de la deuxième commémoration de la libération d’Alep, nous avons eu les premières élections du syndicat des journalistes d’Alep et j’ai été élu président pour six mois. Ensuite un autre président élu pour six mois a pris le relais et maintenant il y a un troisième président lui aussi élu pour six mois.
Nous avons maintenant un programme très ambitieux de développement du travail de journaliste à Alep et un des journalistes qui participe au projet est avec nous ce soir.

D’où vient l’entente entre le gouvernement de Bashar El Assad et Daesh ?
Y.S : Ça demande des explications assez longues.
Il y a deux ans Daesh n’existait pas. Le gouvernement de Bashar était le seul criminel en Syrie. Jusqu’à présent il a tué 500.000 Syriens et expulsé dix millions de personnes de leurs maisons.
Daesh a tué plusieurs milliers de personnes depuis son apparition et c’est la seule organisation criminelle dans le monde qui se vante de ses crimes.
Alors que les vrais criminels sont ceux qui sont en costume, toujours propres sur eux.

En 2011, Bashar El Assad a libéré les djihadistes qui étaient dans les prisons et ce sont aujourd’hui les dirigeants de Daesh. Le régime syrien a donc crée le terrorisme à trois niveau :
Depuis 2003, date de l’invasion de l’Irak par l’armée américaine, en favorisant le départ des djihadistes en Irak au nom du combat contre les Américains. Le gouvernement américain a alors menacé Bashar qui a cédé et leur a livré une partie de ses djihadistes comme force de coopération contre l’Irak.

Ensuite, lorsque la révolution syrienne débuta, Bashar a libéré le reste des moudjahidines qui étaient emprisonnés pour contrer la révolution. Les tortures et les mauvais traitements qu’ils ont subis en prison les ont rendus extrêmement haineux vis-à-vis du régime d’Assad et ont créé chez eux une volonté de vengeance importante. Ils sont sortis en en voulant au monde entier. C’est une partie de la contribution de Bashar à Daesh, en plus de l’aide financière qu’il leur offre en achetant leur pétrole et en livrant à Daesh des zones de combat ou se trouve des armes et des munitions.
Il y a d’autres éléments qui mériteraient des reportages et des enquêtes beaucoup plus précises.

Fin des questions réponses.

Note

Aleppo Media Center : http://amc-sy.net/#prettyPhoto
Conférence de Youcef Seddik : https://vimeo.com/147891534

Mots-clefs : Syrie | médias libres
Localisation : Paris 18e

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