Un certain nombre de lycées ont débuté la journée sur des blocages. En plusieurs endroits, la police est venue débloquer sans vergogne et par la force brute, les policiers se souciant peu de cogner sur des mineurs. Les universités, réussissant mal à bloquer, sont néanmoins entrées dans la danse elles aussi. Tolbiac, qui depuis le début de la mobilisation constitue avec celles de Saint-Denis et Nanterre l’une des universités les plus impliquées de la région parisienne, a été bloquée dès 8h. L’idée étant de donner au plus grand nombre la possibilité de se rendre en manifestation. Un premier rencard de manif était d’ailleurs posé dès 11h à Place d’Italie, pour la manifestation lycéenne et étudiante indépendante.
Un début de manif vivante et offensive
A 11h donc, environ 2000 étudiant-e-s et lycéen-ne-s se sont élancé-e-s sur l’avenue des Gobelins. Très rapidement, les Gendarmes Mobiles ont tenté d’entraver la marche de la manifestation au début du Boulevard de Port Royal. En vain, car les gaz lacrymogènes et les coups de matraques n’ont pas réussi à arrêter les manifestant-e-s, qui ont contraint les gendarmes à reculer. Banderoles renforcées et pluie de bouteilles ont remis les policiers à leur place : il n’est pas question de se laisser dicter la marche à suivre.
Sur le boulevard de Port-Royal et jusqu’à Montparnasse, le cortège a retrouvé sa consistance momentanément perdue au niveau de la place Léon Hamon. Quelques éléments de mobilier urbain, qui incarnent la manière dont les gestionnaires de la ville et les publicitaires choisissent d’aménager notre existence, ont été légèrement abîmés (JC. Decaux et la Mairie de Paris s’en remettront facilement), et des altercations ont eu lieu avec des policiers en civil qui essayaient avec insolence d’interpeller des manifestant-e-s au milieu de la foule.
Quelques personnes, notamment des lycéens, ont été interpellées le long du boulevard du Montparnasse, au niveau de l’hôpital du Val-de-Grâce et à l’arrivée à Montparnasse.
Prise de tête au début de la manif syndicale
Il était peu avant 14 heures, quand les étudiant-e-s ont tenté de prendre la tête du cortège, ce qui avait été décidé dans plusieurs AG du mouvement. Illes ont donc commencé à passer devant les gros ballons des syndicats, qui stationnaient sur le côté et ne semblaient pas voir d’un œil hostile cette « prise de tête » par les étudiant-e-s. Mais au niveau de la rue d’Alençon, les têtes de bois du SO de la CGT Montreuil en avaient visiblement décidé autrement.
Une altercation entre des manifestant-e-s et le service d’ordre des syndicats a éclaté, très rapidement suivie d’une intervention policière d’agents en civil qui étaient déjà présents, dissimulés dans la foule. Sans brassards ni signes distinctifs, ils ont commencé à arroser la foule de gaz et de coups de matraques, avant de se replier derrière les lignes des compagnies d’intervention en uniforme, en emmenant avec eux deux manifestants interpellés parmi la foule en mouvement. Autant dire que personne n’aurait su distinguer au début de l’altercation si ces hommes faisaient parmi d’un service d’ordre ou des forces de l’ordre. C’est dire combien la différence est subtile…
C’est (entre autres) pour ma gueule
C’est à ce moment que commence ma mésaventure. Dans le récit qui suit, c’est volontairement que je n’apporterai aucun détail sur le sort des personnes arrêtées en même temps que moi. Cela ne signifie pas que leur situation ne mérite aucune attention.
Attrapé parmi la foule, par trois agents en civil arrivés dans mon dos, je me suis retrouvé très rapidement projeté au sol, puis roué de coups alors que j’appelais à l’aide, avant d’être ramené derrière les lignes de la CI et maintenu au sol sans menottes. Quelques minutes plus tard, j’ai rejoint un autre prisonnier dans la rue d’Alençon, avant qu’on me passe les menottes sur l’avenue du Maine et qu’on nous amène à un fourgon de police garé au croisement du boulevard du Montparnasse et de la rue Vaugirard. Au passage, l’état major de la DOPC garé sur l’intersection semble très amusé par notre arrestation. Un autre interpellé, lycéen, nous rejoint menotté dans le véhicule, direction le commissariat du 14e arrondissement.
La caméra de Doc du Réel était présente sur les lieux et montre la finesse de l’arrestation (et l’absence total de signe distinctif, hormis les matraques) :
Placement en garde-à-vue
A 14 heures, on nous notifie notre placement en garde-à-vue, pour des faits de « violences sur personne dépositaire de l’autorité publique ». Les deux agents interpellateurs remettent à l’OPJ leur « fiche de mise à disposition », dans laquelle on m’accuse d’avoir mis des coups de pieds aux policiers. Mais les deux agents, eux, disent ne pas avoir été violentés et ne portent pas plainte, ne sachant même pas s’il existe un agent victime des coups que je suis supposé avoir donné. L’OPJ les regarde dubitatif et leur lance : « s’il n’y a pas de victime, ce sera classé sans suite ». Je me dis que ça ne durera pas longtemps.
Je désigne une avocate, mais refuse de voir un médecin. Je ne veux pas donner prise à un prolongement de garde-à-vue en leur donnant la possibilité de me promener dans Paris et de repousser les auditions.
Dans l’après-midi, je passe une première audition sur ma « grande identité » (à 16h45). Au-delà de l’état civil, l’OPJ veut tout savoir sur ma vie : identité des parents, adresse, téléphone, profession, niveau d’études, moyens de subsistance, etc. Par principe et parce que certaines informations ne servent pas à m’identifier, je ne donne que les informations sur mon état civil. Ne rien donner du tout est aussi possible, mais je décide pour des raisons qui m’appartiennent de ne pas jouer cette carte-là.
Plus tard dans l’après-midi, on me ressort de la cellule pour me prendre mes empreintes digitales et génétiques. Je refuse, on me notifie une supplétive de garde-à-vue (à 17h). C’est un moyen facile de poursuivre une personne en justice, y compris si elle est relaxée des faits pour lesquels elle a été arrêtée initialement. Je prends donc le risque de passer 48 heures en garde-à-vue, mais je crois encore à cet instant que les faits de violences seront abandonnés dans la soirée et qu’on passera l’éponge sur les refus de signalétique. Au-delà du calcul stratégique, je suis opposé au fichage, donc la question ne se pose pas vraiment.
Tou-te-s des menteur-euse-s !
Vers 18 heures, des douleurs insupportables se déclenchent dans ma tête, qui a subi la semaine précédente un traumatisme crânien : suite à un violent coup de matraque, j’ai trois agrafes plantées derrière la nuque. Je demande à voir un docteur. Après avoir insisté lourdement auprès des gardiens, on m’indique qu’une réquisition a été envoyée (à 19h45) aux UMJ pour que j’aille voir un médecin.
S’ensuivent quinze longues heures où on m’oublie dans ma cellule. Depuis le début de l’après-midi, j’attends mon avocate. On m’a dit qu’elle viendra « plus tard ». Croyant qu’il s’agit d’un délai de deux ou trois heures tout au plus, j’attends sa venue pour me faire auditionner. Personne ne me dit qu’en réalité elle ne viendra pas et qu’elle a dit (dès 16h15) aux OPJ de me donner la possibilité d’être auditionné en son absence.
Tout au long de la soirée, j’interpelle les gardiens qui passent et repassent pour chercher et ramener les nombreuses personnes placées en garde-à-vue. Je leur dis que je veux parler à un OPJ, ils me répondent qu’ils passent le message. En réalité, ils ne transmettent absolument rien aux OPJ. Je commence à comprendre que tous les policiers de ce commissariat mentent.
L’un des gardiens va même jusqu’à provoquer les gardés-à-vue. Quand je monte le ton, il commence par me dire d’aller me faire foutre, puis revient à la charge en me faisant un doigt d’honneur derrière la vitre. Quand je lui dit qu’il est fou, il saisit ses testicules et me provoque avec virilisme, avant d’ouvrir la porte de la cellule et de me lancer « Vas-y frappe moi ! Frappe-moi ! ». Je lui réponds qu’il est ridicule et que je n’ai absolument pas l’intention de le frapper. Je lui dis de retourner à sa place. Il finit par insinuer que je l’ai traité d’enfoiré et de negro. Je ne rentre pas dans son jeu, je comprends qu’il cherche l’outrage. Trop facile de lui arrondir ses fins de mois : je me tais. Plus tard, il joue le même jeu avec un jeune de la cellule d’à-côté, qui finit par se faire frapper à coup de matraque par deux collègues du fou-furieux...
Le Parquet reprend la main
La nuit passe. Enfin, peu après 10h, je m’entretiens enfin avec mon avocate. C’est confirmé, tous les policiers de ce commissariat mentent. Au cours de l’audition qui suit, l’OPJ apparaît victorieuse : « Vous ne nous aviez pas dit que vous êtes sous contrôle judiciaire ! » Je lui répond que ça ne dit absolument rien de ma culpabilité et que les policiers, le 17 devant Tolbiac comme la veille à Montparnasse, ont attrapé des manifestant-e-s au hasard parmi celles et ceux qui étaient à proximité. Elle me regarde de haut, certainement persuadée d’être une bonne enquêtrice.
Je retourne en cellule. Je suis pris entre inquiétude et espoir de sortir en fin de matinée. Finalement, vers midi les gardiens me sortent de ma cellule pour m’amener aux UMJ. Je m’énerve, je leur dit que je suis mort hier soir des suites de mes douleurs, que ce matin ça ne me sert plus à rien de voir un médecin. Peu importe, ils ont pour ordre de m’emmener. Je comprends que ma garde-à-vue n’est pas terminée.
Renouvellement de garde-à-vue
Après un passage aux UMJ de l’Hôtel-Dieu, où le médecin m’accorde un jour d’ITT et les infirmières m’enlèvent les agrafes accrochées à mon crâne, je me retrouve devant l’OPJ qui me notifie le renouvellement de ma garde-à-vue. Je m’énerve, je lui demande les raisons de ce renouvellement alors que la veille il n’y avait rien dans le dossier. Elle me répond « un témoin dit que vous avez mis un coup de talon ». Quelle mauvaise blague !
L’après-midi, je revois mon avocate et je prépare déjà ma défense. Je fais tout ce qui est en mon pouvoir pour éviter la détention provisoire. En fin d’après-midi, je finis par donner mes empreintes, à contre-cœur mais avec une idée précise : décharger mon dossier. La supplétive pour refus de signalétique saute. Je suis persuadé que le reste sautera aussi au tribunal : le dossier est bidon.
Déferrement et comparution devant la juge d’instruction
Ce n’est que le samedi 26 que je suis déferré au tribunal. Vers 13 heures, j’arrive dans les cellules glauques du dépôt. Personne ne m’informe, je suis persuadé que je vais passer en comparution immédiate. A 19 heures, toujours rien. Je n’ai pas vu les enquêtrices sociales, ni mon avocate, ni le procureur. Je commence à me poser des questions, je crois qu’on m’a oublié. Les gendarmes me disent que les comparutions peuvent durer jusqu’à 22 heures. Quelque chose ne tourne pas rond, je commence à perdre mes nerfs, je pleure dans ma cellule. Par le carreau de la porte, je vois tous les détenus revenir des salles d’audience, libérés ou placés sous mandat de dépôt, en attente de leur transfert dans la cellule 003 juste en face de la mienne.
Plus tard encore, un gendarme vient enfin me sortir de ce trou puant. Il me passe les menottes et me mène silencieusement dans les couloirs souterrains du tribunal. Le trajet dure une plombe, à droite, puis à gauche, encore à gauche, puis à droite. Je me rends compte qu’on a dépassé le couloir vers les chambres correctionnelles. Je demande au gendarme où on va. « Vous allez voir le juge d’instruction ». Le choc ! Je panique, je ne m’y attendais absolument pas.
En haut d’un petit escalier en bois poussiéreux, on passe une grille avant d’arriver dans un couloir au parquet lustré. Au bout, je vois mon avocate. Elle a l’air affligée. Ma tête ne doit pas être belle à voir. On s’entretient deux minutes, elle me donne une banane et des gâteaux, tout en m’apprenant que je suis mis en examen. C’est allé beaucoup trop loin.
On entre bientôt dans le bureau de la juge d’instruction. L’accueil est glacial. Elle m’auditionne sur les faits, rapidement, puis mon avocate présente mes garanties de représentation pour un éventuel contrôle judiciaire.
Après deux minutes d’interruption d’entretien, la juge requiert la détention le temps de l’instruction, qui peut durer jusqu’à un an. Je me vois déjà en prison jusqu’à la fin de l’année.
Libération conditionnelle
Mais peu après minuit, la JLD me sauve la mise. Elle prononce mon placement sous contrôle judiciaire, avec pour seule obligation l’interdiction de participer à toute « manifestation publique de quelque nature que ce soit ». Je respire, mon avocate me sourit. Malgré l’absurdité de la mesure, c’est un énorme soulagement.
Après un bref retour au dépôt, où je récupère ma fouille, je sors du tribunal. Dans la nuit et sous la pluie, quelques proches sont là pour m’attendre. Ça me fait un bien fou de les voir. Ce soir, après une bonne douche pour évacuer l’odeur de la garde-à-vue, je dors dans mon lit.
Malheureusement, rien n’est terminé. Procès le 9 mai pour l’arrestation du 17, deux contrôles judiciaires et une instruction qui peut durer des mois, avec tout ce que ça comporte de surveillance et de privation de liberté…
Les ami-e-s, faites gaffe à vous, la répression rôde !
Toute ma solidarité avec les autres inculpé-e-s et mis-es en examen !