Par curiosité, nous nous sommes rendues sur les lieux un peu avant midi. Les militant·e·s de XR s’étaient déjà fait expulser du parvis de l’Assemblée, une grosse partie était nassée sur le pont de la Concorde, tandis que plusieurs petits groupes tentaient encore de bloquer la circulation, assis·e·s au sol. Il·elle·s furent délogé·e·s sans ménagement, les un·e·s après les autres par les CRS, et ajouté·e·s à la nasse sur le pont.
Mais ne s’arrêtant pas en si bon chemin, les CRS continuèrent sur leur lancée et encerclèrent les passant·e·s qui regardaient la scène, touristes en pleurs compris·e·s, et les forcèrent à rejoindre la nasse à leur tour. Ce petit manège dura pendant tout l’après-midi, les groupes de curieux·ses qui s’approchaient furent systématiquement encerclés et nassés sans sommations.
Forcées donc par les flics à participer à l’action, autant jouer le jeu et voir d’un peu plus près qui était sur place et comment ils s’organisaient. Les quelques centaines de personnes présentes étaient surtout des militant·e·s de XR et quelques Gilets jaunes. L’occupation devant l’Assemblée nationale ayant tourné court, une assemblée générale fut organisée pour discuter de la suite des événements. À la base à l’entrée du pont, près des camionnettes de CRS, elle fut décalée au milieu du pont, non pas pour ne pas que les flics écoutent, mais parce que ça rendrait mieux pour les photos.
L’assemblée générale
Plusieurs voix s’élevèrent pour protester contre l’abandon la veille par XR de l’occupation de la place du Châtelet, il fut répondu que comme des personnes extérieures à XR avaient rejoint le blocage et n’adhéraient pas strictement au consensus d’action non violent, des barricades ayant apparemment été construites, XR ne pouvait pas cautionner par sa présence ces agissements. Et de toute façon, ils avaient besoin du matériel et des militant·e·s pour les actions d’aujourd’hui (matériel qui fut bloqué dès le début du blocage le matin, et les militant·e·s nassé·e·s).
Il fut annoncé que comme la nasse avait commencé à 10h48, la police devrait libérer tout le monde à 14h48, la loi prévoyant depuis l’état d’urgence une période de privation de liberté de 4h. Comme si la police allait respecter la loi. En attendant, plusieurs militant·e·s proposèrent des actions jusqu’à la libération : présentation de XR pour les nouveaux·elles venu·e·s, formations à la désobéissance civile et à la non-violence, prise de photos pour les réseaux sociaux de militant·e·s au sol formant le logo de XR avec leurs corps, construction d’un coin toilettes… On apprit également que trois autres points de blocage XR, a priori pas nassés, étaient menés dans les environs. Tout le monde se dispersa sur le pont, formant des petits groupes selon les thématiques choisies par chacun·e.
La convergence en action
Un groupe se constitua pour envisager une convergence avec des Gilets jaunes pour se rendre dans un aéroport parisien dans la soirée et y mener une action. Plusieurs organisateur·rice·s de XR (ou en tout cas qui se comportaient comme tel) tentèrent de court-circuiter la discussion, mais il·elle·s furent éconduit·e·s par les dizaines de personnes qui participaient. Et ce fut l’occasion pour nous de découvrir que déjà, comme dans toute organisation, les militant·e·s semblaient vouloir s’émanciper de leur encadrement et gérer par eux-mêmes leurs actions. Ils soulignèrent que l’on discutait à longueur de temps de convergence, et qu’il était temps maintenant de la mettre en pratique : comme les Gilets jaunes les avaient naturellement rejoints sur la place du Châtelet, il sembla naturel de les rejoindre à leur tour pour cette action.
Ils se posèrent énormément de questions : allaient-ils mener une action de blocage économique, en perturbant les flux, ou se diriger plutôt vers une action pédagogique, pour sensibiliser les voyageur·euse·s et par la même occasion peut-être les faire signer la pétition pour le référendum sur la privatisation d’ADP ? Il fut décidé que ce serait chacun selon ses moyens, les deux actions n’étant pas opposées. Fallait-il garder le secret et communiquer les détails sur des messageries chiffrées ? Comme de toute façon des flics écoutaient certainement, il fut décidé de choisir un lieu et une heure précise, de les diffuser largement et de s’y retrouver, et de mener l’action. Comment réagir face à des personnes qui pourraient devenir violentes, empêchées dans leur liberté de circulation ? La stricte non-violence commençait là à montrer ses limites : le point ne fut pas tranché clairement.
Police partout
Le groupe se dispersa une fois les détails fixés. Près du cordon de flics côté Assemblée nationale, des bousculades eurent lieu entre les CRS et plusieurs militant·e·s assis·e·s par terre. Un groupe de personnes commença à scander « pas de justice, pas de paix ! ». À côté de nous, un peace keeper (« gardien de la paix », des militant·e·s de XR chargé·e·s de veiller au respect du consensus d’action non violent) lança, désespéré : « Mais non, faut pas dire ça… », et un collègue de lui répondre, le mépris lui coulant des lèvres : « Non mais ça, c’est des Gilets jaunes de la Drôme ».
Vers 14h, les flics annoncèrent qu’ils allaient laisser sortir de la nasse quatre personnes toutes les dix minutes, deux à chaque extrémité du pont. Le but était clair : empêcher les militant·e·s de se regrouper et de mener ou se rendre en masse à d’autres actions. Les dernier·ère·s militant·e·s purent quitter la nasse vers 18h, soit quasiment le double du temps légal de privation de liberté.
Finalement, bien que nous ne comptions pas rester aussi longtemps, ce fut plutôt une bonne surprise de constater que de nombreux·ses militant·e·s ne se reposaient pas sur l’encadrement de XR et n’hésitaient pas à s’investir d’eux·elles-mêmes dans des actions plus radicales et moins axées sur la communication médiatique, et se posaient de vraies questions politiques sur les portées de ces actions. Une fois de plus, les bases pourraient déborder leurs organisations.