Cheminots, postiers et Air France en grève, facs bloquées, hôpitaux et EHPADs mobilisés, résistance contre l’expulsion de la ZAD... Il semble que certains secteurs de la société se mobilisent contre le monde qu’Emmanuel Macron et ses sbires nous imposent à coup de tatanes. Nombreux sont ceux qui réclament ou appellent à une « convergence des luttes », à la « connexion des foyers de lutte » : en gros que tout ça aille à peu près dans le même sens. Dans le même sens pour quoi faire ? Eh bien, selon les sources il s’agirait « d’abattre Macron », de créer « un grand mouvement tous ensemble », « de faire plier le gouvernement »... Un autre Mai 68 ? La révolution aux lendemains qui chantent peut-être ?
Gageons que ces intentions louables devraient pouvoir se réaliser pleinement dans un jeu de simulation type simcity (à quand simrévolution ?). Dans la réalité cela pourrait être un peu plus compliqué.
Nous ne sommes pas représentatifs du mouvement du monde
D’abord, il semble que les théories prophétiques, parfois proche de la pensée magique, aient peur de se confronter à une triste réalité : Beaucoup de gens s’en fichent. Je parle de ceux et celles qui se faufilent tristement dans les couloirs du métro sans se poser de questions, ceux qui trouvent plus important d’enregistrer leur émission télé préférée que de se poser une quelconque question d’ordre sociale. Il y a aussi les autres, qui ont peur de tout : de rater leur train, de perdre leur job, de devoir partager leur bifteck avec des hordes de migrants, des hipsters et des islamistes. Enfin, il y a les cons, les réacs, les méchants.
Assumer la contradiction du reste de la « société »
Eh bien, tout ces gens font partie d’une même globalité sociétale. Si nous ne pouvons nous entendre avec tout le monde et qu’il existe des ennemis objectifs, on ne pourra s’épargner d’aller vers les autres. Il faudra convaincre, se coltiner des arguments insensés, des gens antipathiques. Car respecter l’engagement spontané des gens, ne veut pas dire imaginer que tout le monde lit Paris-luttes.info. Alors, la base c’est écrire des tracts et les distribuer, se poster à des endroits visibles pour en discuter avec les gens, occuper tout le territoire francilien avec nos actions (ne pas se limiter à Belleville ou Montreuil). Car si nous ne sommes pas visibles, si nous n’allons pas à la rencontre du reste de la population, comment espérer élargir la contestation ou avoir une base de soutien ?
Attaquer les médias dominants
Contrairement à certaines idées reçues, internet n’a fait qu’accélérer la main mise du discours dominant sur la population. S’il devient facile de faire circuler les images des bavures policières ou la publication d’articles discordant, la majorité de la population est réduite à ingurgiter BFMTV et TF1, que cela soit à la télé ou en streaming sur leur smartphone. Si la création et le soutien des médias alternatifs est très important, nous ne pourrons éviter d’attaquer frontalement les médias dominants. Les adresses de ces lieux de pouvoir sont connues, de même que les noms des « grands journalistes » et des pseudos « spécialistes ». Occupons ces lieux de pouvoir et empêchons de dormir ces chiens de garde du pouvoir !
Viser les lieux de pouvoir
A propos des lieux de pouvoir justement, peut-être faudrait-il arrêter de manifester dans des lieux comme Belleville, Ménilmontant qui sont aussi absurdes que le parcours syndical République/Bastille/Nation. Quel intérêt à cramer les poubelles en bas de chez nous ? Quel intérêt à faire mine d’être plus radical que les voisins là où on va boire des coups ? Quel aspects positifs ont été apportés par les dernières manifestations organisées dans ces coins là ? Si nous devons occuper la rue, visons les lieux de pouvoir ! Les lieux de pouvoir se sont les sièges de grandes sociétés et banques, les ministères, les mairies, les sièges de partis et de syndicats. Ce sont ces adresses qui devraient avoir l’habitude de voir défiler nos manifestations, quelles soient déposées ou sauvages. Apprenons les par cœur, faisons les tourner, désignons explicitement ces lieux en AG ou en réunions conspiratives.
Bloquons, sabotons mais pas n’importe quoi
Les lieux de pouvoirs ce sont aussi les lieux à bloquer, les lieux à saboter. En effet, l’intérêt à bloquer sporadiquement la circulation du quartier latin ou du boulevard Ménilmontant est bien limité. Ce type d’action révèle souvent plus de notre impuissance que de notre détermination. Bloquons les plateformes logistiques près des aéroports, bloquons les raffineries et les centrales nucléaires, bloquons l’approvisionnement des centres de pouvoir et des bases militaires. Bien sûr que c’est bien plus compliqué et dangereux de s’attaquer directement à ces objectifs, et pour cause, cela remet en cause le fondement même du pouvoir capitaliste. Ne restons pas figés sur les blocages de gare parce que les cheminots sont en lutte ou au moins, visons les trains de marchandises et les convois de déchets nucléaires !
Non au pouvoir des spécialistes
D’ailleurs, peut-être est-il temps d’arrêter de se mentir. Nos belles manifestations émeutières n’intéressent que peu de monde. Le romantisme insurectionnaliste est devenu une présupposition de la pensée radicale parisienne et il faut le remettre en cause. Non pas par ce qu’il faudrait abandonner la tête du cortège et revenir dans la déprime du cortège syndical mais par ce qu’on ne peut abandonner ces moments aux « spécialistes ». Sortons des manifestations lapins de garenne, où les habitants se retrouvent parfois désarçonnés devant les quelques dizaines de cagoulés qui courent à toute vitesse dans les rues de Paris sans laisser signe de ce qu’ils veulent ou font.
Nous ne sommes pas tous des yamakasis
Sortons également de la seule volonté de s’affronter avec la police. Non pas que ceux-ci ne méritent amplement les coups qu’ils pourraient ponctuellement recevoir. Mais nous ne pourrons pas, en l’état actuel, être à égalité réelle avec les « forces de l’ordre ». Et ceci qu’on prenne des cours de karaté ou de krav-maga, qu’on saute deux fois plus haut qu’eux ou qu’on soit passé maître dans l’art de la dissimulation. L’État aura toujours des ressources militaires supérieures aux yamakasis que le millieu militant a produit dernièrement. Soyons inclusif dans nos manifestations. Qu’elles soient ouvertes et qu’elles soient claires sur leurs positions. Comment est-ce possible que certains badauds ne sachent parfois pas déterminer si nous sommes des manifestants fascistes ou antifascistes ? Tout simplement par ce qu’il est parfois difficile voire impossible pour des non-initiés d’interpréter les revendications d’un groupe sportif et cagoulé, sans slogan (ou au sens impénétrable pour le commun des mortels), banderoles ou tracts.
Prenons de la place dans les pratiques
Pourquoi est-ce que nous nous retrouvons régulièrement piégés dans certaines manières de faire la manifestation ? Peut-être que ce n’est pas à cause de la pratique que certains petits groupes choisissent mais au silence d’une bonne majorité qui ne fait que suivre mollement ou rentrer chez elle. Il est temps de prendre plus souvent la parole à ces moments là, de prendre des chemins différents de ce qu’on pourrait nous obliger à prendre, de refuser l’autorité des plus énervés si cela s’avère nécessaire. Les comportements autoritaires dépendent parfois plus de la soumission de certains que de l’imposition des autres. Et il est possible de prendre d’autres chemins sans pour autant se désolidariser des copains et copines qui décident d’actions directes plus énervées.
Restons anti-autoritaires
Les comportements autoritaires sont pléthores dans le millieu radical parisien. Et ils ne sont pas l’apanage d’un seul groupe mais nous minent un peu partout. Le pouvoir aime à jouer sur nos dissensions et Paris.luttes.info a bien raison de ne pas publier les « embrouilles du millieu ». Les engueulades à la Zad autour de la route des chicanes, largement instrumentalisées par la préfète locale, ont joué en notre défaveur à tous. S’il faudra bien tirer les conséquences de certaines prises de décisions aussi discutables que le démantèlement des lieux de vies et des barricades sur cette route, concluons que ces rapports de pouvoir n’ont apporté que la division et la faiblesse dans notre camp. Rester anti-autoritaire dans notre organisation c’est également garantir notre fragile cohésion. Cela vaut dans nos facs occupées, nos AGs, nos grèves, nos lieux autogérés ou même dans nos groupes d’ami(e)s. Prenons la parole, diffusons là, n’obéissons à personne, restons collectifs.
La Zad, capitale des pratiques de lutte
Si la Zad est devenu si emblématique aujourd’hui c’est qu’elle n’est pas qu’un microcosme de militants de la cause écologique. Ce n’est pas non plus uniquement grâce à l’opiniatreté de ces habitants qu’elle existe encore aujourd’hui. Non, si la Zone à défendre existe encore et qu’elle survivra à cette opération César 2, c’est qu’elle est aussi un lieu de pratiques et d’expériences qu’il serait bien trop long à énumérer ici. Si celles-ci sont liées à un territoire précis elles sont transposables partout ailleurs. Sauvez la Zad, c’est évidemment protéger le lieu, mais c’est aussi préserver les pratiques, le savoir-faire qui y a été appris. Le slogan « Zad partout », ce n’est donc pas seulement planter des poireaux à chaque coin de rue ou lutter contre les grands projets inutiles, c’est aussi user de cette expérience d’organisation concrète, d’entraide, d’action directe, de lutte et de joie collective partout où nous sommes. Il est encore temps de nous inspirer de celle-ci.
Un anarcho-autonome de plus