Pour celleux qui bougent (en 2023) : rétrospective sur la genèse du cortège de tête

| Mili

La mobilisation contre la réforme des retraites constitue le plus grand mouvement social en France depuis des années. Pourtant, à hauteur de pavé, l’ambiance dans les rues paraît relativement morose, l’énergie manque et l’encadrement policier étouffe. Beaucoup regrettent 2016 et ses suites, soit l’apparition de nouvelles manières de manifester et de déborder le rituel syndical, ce qu’il est de coutume d’appeler le Cortège de Tête. Dans le texte qui suit, d’anciens lycéens participants du MILI (Mouvement Inter Luttes Indépendant) reviennent sur cette période et la genèse du fameux Cortège de Tête. Ils viennent nous rappeler que pour que s’inventent de nouvelles formes à même de créer des brèches et d’ouvrir des possibles, il faut parfois quelques « conditions objectives » mais surtout et toujours, de l’audace.

Jeudi prochain aura lieu la 5e journée de lutte organisée par les syndicats contre la réforme des retraites. La cinquième, déjà. Ces dernières semaines, des groupes aux prétentions révolutionnaires, constatant leurs difficultés à prendre pied dans les manifestations, mais aussi un manque d’ambition commun, ont commencé à écrire diverses analyses sur "le mouvement", parfois colorées de nostalgie et d’autocritique. Parmi celles-ci, on pouvait lire sur Lundi Matin, un appel à assurer la « transmission de la séquence de lutte de 2016 aux nouvelles générations ». C’est, en quelque sorte, ce que le texte qui suit vise : voir comment un récit situé du dépassement opéré en 2016 peut éclairer la situation présente. On y parlera donc de "2016". Ou plutôt, du mouvement contre La loi Travail depuis le point de vue du MILI (Mouvement Inter Luttes Indépendant. Comme la suite du texte le révèle, le MILI était à la fois une « bande » et un espace d’organisation entre lycéens parisiens et jeunes étudiants). Afin de montrer le rôle qu’ont eu certaines bandes dans cette séquence. Il s’agit de montrer l’envers d’un mouvement qui existe encore aujourd’hui dans l’imaginaire collectif, que ce soit à travers de vieilles images de riot porn, ou dans certaines formes qui persistent aujourd’hui, parfois sur le mode du folklore, en particulier le Cortège de Tête. Ces résidus de 2016 peuvent pousser à la nostalgie ou suggérer un « temps béni des manifs à Paris », faisant oublier par là que toujours, le « zbeul ça se mérite ». C’est aussi l’occasion de rappeler qu’en 2016 on a hésité, flippé et qu’on a cru à de nombreuses reprises être dans une impasse.

2010 à 2016 : l’ennui

Pour comprendre en quoi 2016 fut une rupture dans l’histoire de la contestation des quinze dernières années, il faut resituer ce mouvement dans son contexte. En dehors de la ZAD et d’une poignée d’évènements, les premières années de la décennie 2010 étaient il faut bien le dire, tout à fait déprimantes : pas de mouvements d’ampleur, la mobilisation des retraites (déjà), avait marqué le retour aux formes traditionnelles de mobilisations. La question de la violence politique semblait anachronique et réservée à des bandes de lutins-marteaux fanatiques. En dehors de quelques dates, le moindre tag ou bris de vitre déclenchait l’ire des "bons" manifestants, au comportement au moins aussi problématique que celui du SO ou des flics, tandis que la petitesse et la mollesse du milieu radical facilitait sa surveillance. Il n’était d’ailleurs pas rare de se faire insulter de « flic infiltré » et démasquer par des pacifistes. C’était dans l’ordre des choses. Personne n’osait donc imaginer la possibilité d’émergence de quelque chose comme ce qui sera appelé "Cortège de Tête", et c’est bien sagement que les radicaux défilaient en queue de manif’, derrière la CNT et la FA, dans l’attente d’une éventuelle "sauvage", horizon suprême du radicool 2000 parisien. On passera sur le contexte marqué par les attentats : des milliers de gens applaudissant place de la République les flics et l’état d’urgence (et par là, les assignations à résidence et les interdictions de manifs, comme celle de la COP 21 en 2015). On trouvait quand même le moyen de rigoler un peu (big up Laffont), il y avait aussi l’horizon de la ZAD, mais lointain. Bref, une époque de merde.

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Localisation : Paris

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