Contexte
Le G8 Gênes est le premier sommet européen organisé par les premières puissances industrielles. Il fait suite à plusieurs sommets ayant suscité une forte mobilisation antiglobalisation : « bataille de Seattle » lors du sommet de l’Organisation mondiale du commerce (29-30 novembre 1999, États-Unis), manifestations anticapitalistes lors du sommet du Fonds monétaire international et de la Banque mondiale à Prague (27 septembre 2000, République tchèque), manifestations contre les politiques néolibérales européennes lors du sommet de l’Union européenne à Gothenburg (14-16 juin 2001, Suède).
Le contexte politique italien est favorable à une intense répression. L’Italie est gouvernée par une coalition autoritaire de droite réunissant l’Alleanza Nazionale (issue du parti néo-fasciste Movimento Sociale Italiano) et la Lega Nord (parti régionaliste d’extrême droite). L’homme d’affaires Silvio Berlusconi est au pouvoir.
Dans les semaines précédant le sommet du G8 Gênes, le pouvoir italien assure une campagne intense de harcèlement et d’intimidation à l’encontre des militant·e·s antiglobalisation : perquisitions, arrestations, campagne médiatique de stigmatisation systématique. Il est question d’une coalition antiglobalisation/djihadistes déterminée à exercer la plus grande violence à l’encontre de la ville de Gênes, ses habitant·e·s et ses représentant·e·s. A minima, la ville serait intégralement mise à sac par les anarchistes constitués en Black Bloc. Dans ce contexte, on affirme que le mouvement antiglobalisation doit se voir imposer par le haut et par la force le respect des principes démocratiques.
Dans le même temps, les préparatifs du sommet instaurent un régime d’exception : (1) le centre-ville (lieu du sommet) est transformé en « zone rouge » bouclée par des barricades militaires, interdite aux non-résidents·e·s et privée de tout commerce ; (2) la ville est déclarée zone d’exclusion aérienne (dispositif appliqué en contexte de guerre pour empêcher les bombardements) et des missiles antiaériens sont déployés ; (3) la liberté de circulation est suspendue et le contrôle aux frontières rétabli (pour empêcher les militant.es anti-globalisation de rejoindre la ville de Gênes) ; (4) des checkpoints policiers sont installés dans et autour de la ville de Gênes (pour contrôle d’identité) ; (5) des tireurs d’élite sont positionnés sur les toits des immeubles. De nombreux·euses habitant·e·s quittent la ville. Le contre-sommet du G8 Gênes se déroulera dans une ville en état de siège militaro-policier.
Manifestations anti-G8
Malgré le dispositif militaro-policier, une coalition antiglobalisation large et hétérogène se retrouve à Gênes. Le jeudi 19 juillet 2001, Jour des migrant·e·s, des dizaines de milliers de personnes manifestent pour l’ouverture des frontières et l’égalité pour tou·te·s. Le vendredi 20 juillet 2001, le mouvement antiglobalisation manifeste dans une grande diversité des tactiques. Plusieurs cortèges tentent d’approcher la « zone rouge », dont le cortège Tute Bianche (désobéissance civile non violente) et un Black Bloc de plusieurs centaines de personnes.
La réponse étatique est une émeute policière. La carabinieri (police militaire italienne) investit la ville et attaque l’ensemble des cortèges. Forte de son expérience dans la suppression de l’opposition politique durant la dictature fasciste de Mussolini (1922-1943), la carabinieri installe rapidement une situation de terreur : (1) cortèges gazés, acculés, bloqués, bastonnés ; (2) manifestant·e·s pourchassé·e·s, trainé·e·s à terre et passé·e·s à tabac ; (3) tirs à balle réelle, attaques avec des véhicules militaires. Des centaines de personnes sont grièvement blessées (par exemple : fractures multiples, plaies ouvertes). Une part importante de la population génoise demeurée sur place apporte un soutien aux manifestant·e·s, notamment en distribuant des bouteilles d’eau, des fruits et en ouvrant les portes d’immeuble.
À environ trois kilomètres de la « zone rouge » un véhicule de la carabinieri s’engage sur une place (Piazza Alimonda) où un petit nombre de manifestant·e·s, dont Carlo Giuliani, fait face à la flicaille. Des carabiniers se trouvent à l’arrière du véhicule, l’un d’eux en brise la vitre arrière et un pistolet est pointé en direction de Carlo. Le copain reçoit une balle au visage, il s’effondre. Le véhicule prend le temps de manœuvrer pour rouler à deux reprises sur son corps, puis quitte les lieux. Le choc est immense, entre profonde tristesse et rage.
Le lendemain, samedi 21 juillet 2001, a lieu la plus importante manifestation du contre-sommet pour l’effectif (entre 200 000 et 300 000 personnes). La nuit même, des forces spéciales de police attaquent l’école Diaz qui héberge 93 personnes (opposant·e·s au G8 et journalistes indépendant·e·s). Après avoir verrouillé l’école, les policiers se livrent à des actes d’humiliation, de torture et de barbarie, pendant plusieurs heures. 60 personnes seront finalement évacuées en civière, 3 personnes ont été battues jusqu’au coma. Plusieurs instances internationales désigneront cette attaque policière comme la plus grave atteinte aux droits dans un pays démocratique depuis la Seconde Guerre mondiale.
L’assassin carabinier de Carlo se nomme Mario Placanica. Toutes les charges contre ce salopard de meurtrier ont été levées par le juge Daloiso, avec la conclusion que la balle n’était pas destinée à Carlo (un tir en l’air « dévié par une pierre ») et que Placanica avait agi en légitime défense. Cependant, l’examen médico-légal réalisé par le professeur Marco Salvi atteste que Carlo a été victime d’un « tir direct ».
Des copain·e·s ont rebaptisé la place où Carlo a été assassiné « Piazza Carlo Giuliani » et ont érigé un mémorial fleuri avec photographies et écrits. Carlo avait 23 ans, il était poète, copain anarchiste. Nous pensons à lui, à ses parents, ses ami·e·s.
Ni oubli, ni pardon
Anarchist Black Cross (Paris/IDF)