On vous en parlait il y a quelques mois, 4 personnes ont été arrêtées entre janvier et avril 2023 suite à l’émission de mandats de recherche à leur rencontre. Il leur est reproché d’avoir participé à un carnaval contre toutes les expulsions, organisé à la fin de la trêve hivernale 2022, à Montreuil.
Carnaval au cours duquel, entres autres dégradations, la façade d’une agence immobilière s’est prise un extincteur de peinture, et de nombreuses autres ont été couvertes de tags. Ces personnes sont sorties de garde-à-vue avec un procès pour groupement en vue de commettre des violences, dissimulation du visage sans motif apparent, dégradations en réunion, refus de signalétique, refus de donner son code de déverrouillage de téléphone.
Une première personne a été interpellée le 8 janvier 2023, clairement attendue pas loin de chez elle par deux keufs du commissariat de Montreuil. Une autre, en sortant de chez elle un matin, par des flics planqués à une terrasse de bar. Une troisième a été interpellée en mars, elle aussi en sortant de chez elle. Lors de la garde-à-vue de cette troisième personne, une personne s’est rendue au comico de Bobigny pour lui apporter son passeport. Elle sera alors interpellée à son tour pour le même mandat de recherche et restera 24h en GAV.
L’enquête comporte des éléments que l’on pense intéressants à diffuser.
Revenons au 2 avril 2022. À la fin du carnaval, une personne est interpellée par les keufs en plein milieu de la foule. Une enquête de flagrance [1] est ouverte à ce moment-là. L’enquête de flagrance est close le 6 avril.
15 jours plus tard, le 22 avril 2022, le commissariat de Montreuil ouvre une enquête préliminaire pour les mêmes faits : absolument aucun acte d’enquête ne sera mené, mais les keufs demandent à la mairie de Montreuil ses images de vidéosurveillance.
Le 15 juin 2022, les policier.es du commissariat de Montreuil transmettent leur dossier au GLAT (groupe de lutte anti-terroriste, le nom sonne bien mais c’est pas pour autant qu’iels sont compétent.es). Sur ce PV de transmission, un condé a écrit à la main « transmission des photos des mis.es en cause aux RT [renseignements territoriaux] qui se proposent de les identifier ». C’est quand l’enquête est transmise au GLAT qu’elle va avancer. Les keufs du GLAT, qui travaillent au commissariat de Bobigny, commencent par écrire un PV de « contexte » (un PV dans lequel les keufs détaillent le contexte dans lequel un délit a été commis), dans lequel iels résument et analysent leur histoire du milieu squat montreuillois :
« La commune de Montreuil connaît dans ce contexte, depuis le début de l’année 2021, une recrudescence de manifestations violentes, dégradations et destructions en lien avec la mouvance contestataire radicale implantée sur son territoire. La commune occupant un rôle territorial particulier servant à la fois de lieu d’habitation pour la mouvance au sein de squats ou de colocations militantes, de lieu d’échange dans les points de rendez-vous de la mouvance mais également d’espace de propagande par le fait avec des attaques effectuées contre différentes enseignes commerciales implantées sur la commune » blabla blablabla bla bla
Les keufs exploitent ensuite la vidéosurveillance de la ville de Montreuil et visionnent le parcours du carnaval dans son intégralité en soulignant l’activité d’une dizaine d’individus. Iels suivent alors les mouvements de ces personnes, ce qui est facilité parce que tout le monde est habillé n’importe comment, c’est un carnaval. Plus tard dans la manif, les keufs essaient de comprendre comment les gens se déchangent et prennent des captures d’écran des visages non-masqués. S’ensuit un super blabla sur le black bloc, l’idée étant pour les keufs de montrer que ce carnaval ressemble à un black bloc et que ses participant.es sont bien dans un groupement en vue de commettre des violences. Leur analyse n’ayant aucun intérêt en dehors de son aspect humoristique, on en reproduit ici quelques extraits :
Il est à noter que les actions de type « black bloc » sont d’ordinaire pratiquées par des individus choisissant d’opter pour une tenue entièrement sombre en vue de se fondre dans une foule, le contexte carnavalesque (avec changement de vêtements en cours de défilé par l’utilisation de dressings portatifs, avec la présence de nombreux masques et couvre-chefs fantaisistes – ou moins – permettant la dissimulation de l’intégralité du visage) facilite ici l’anonymat des auteurs d’infraction.
Notons que les déguisements des participants ne sont pas des déguisements traditionnels obéissant à des codes de festivité de carnavals locaux ou à des costumes traditionnels. Les tenues des défilants « déguisés » sont principalement composées de vêtements de récupération choisis pour leurs couleurs criardes ou leurs motifs bigarrés (léopard, panthère). Si l’attention portée au faste de l’apparat semble réduite, la compréhension de la notion de déguisement a néanmoins été attentivement prise en compte concernant la dissimulation du visage des défilants. Bien vu.
Vient ensuite un PV magique, dans lequel le GLAT dit utiliser les photographies présentes au TAJ et leur « connaissance de la mouvance contestataire radicale et squat francilienne et plus particulièrement des individus la composant évoluant sur la commune de Montreuil ». Dans ce PV, les condés associent les photos de 4 personnes déchangées à la fin du carnaval, récupérées sur les images de vidéosurveillance, avec 4 identités. Pour deux de ces personnes, les keufs utilisent des photos prises lors d’un précédent passage au commissariat et ajoutées au TAJ. Iels ne précisent pas si le rapprochement entre les photos du carnaval et celles du TAJ s’est fait grâce à leurs logiciels de reconnaissance faciale ou si iels ont utilisé leur « connaissance de la mouvance contestataire blablabla ». Pour une autre personne, les condés comparent les photos prises pendant le carnaval avec des photos prises lors d’un rassemblement de soutien, devant le commissariat de Vincennes, à des personnes arrêtées pendant l’ouverture d’un squat. Pour la dernière personne, elle est comparée à une photo d’elle prise devant son domicile (un squat), un jour random (photo qui met pas trop en valeur d’ailleurs).
Dans la foulée, les condés envoient des réquisitions à la PNIJ (la plateforme nationale des interceptions judiciaires, un outil qui leur permet d’automatiser leurs réquisitions liées à la téléphonie), pour demander les numéros de téléphone des personnes que les keufs ont identifiées. Ça marche dans trois cas sur quatre, pour l’une des personnes, iels trouvent le numéro d’un homonyme (les boloss).
Ces actes d’enquête ont lieu entre le moment où le GLAT récupère l’enquête, le 15 juin, et le 15 juillet.
Un peu plus tard, fin août, début septembre, les condés contactent aussi les magasins (banques, agences immobilières) visés par le carnaval pour leur demander si iels veulent porter plainte. Une bonne partie d’entre elleux – bénef – ne donnera pas de suite.
Le 9 novembre, les condés font un avis magistrat pour demander l’émission d’un avis de recherche pour les 4 personnes précédemment identifiées.
On pense que c’est important de noter que le GLAT s’est saisi de plusieurs affaires concernant la « mouvance contestataire radicale et squat » de Montreuil. Lors d’une des gardes-à-vue pour le carnaval, une des personnes s’est retrouvée inculpée dans une autre enquête, pour lequel elle aura un procès lors de la même audience. Cette autre enquête concerne des faits de dégradations en réunion à Montreuil datant du 29 septembre 2021 sur une banque, un cabinet d’architecte et sur EGIS, une entreprise qui participe à la constructions de prisons. Cette autre enquête est elle aussi menée par le GLAT. Par ailleurs, le GLAT laissant traîner en bordel leurs dossiers sur leurs bureaux, on sait aussi qu’il s’est chargé de mener une enquête concernant des dégradations sur le local du PCF de Montreuil lors d’une manif sauvage pour fêter le début de la trêve hivernale en octobre 2022.
Les 4 personnes interpellées auront un procès en mars 2024 au tribunal de Bobigny. Force à elleux !