« La démocratie, comme le capitalisme d’ailleurs est devenue l’horizon indépassable de notre époque ; tout discours qui tendrait à la remettre en cause est disqualifié d’avance : on ne veut tout simplement pas l’entendre. La démocratie, pourtant, a surtout fait jusqu’à présent la preuve de son échec. Le monde qu’elle domine est toujours un monde de soumission, de privation et de pauvreté. Le droit de vote est censé assumer à lui seul l’expression de la volonté populaire : mais croit-on encore que quoi que ce soit puisse changer grâce à des élections ? »
Léon de Mattis
DÉMOCRATIE : une définition anarchiste
La démocratie est une des formes de la société capitaliste et bourgeoise. La base de la démocratie est le maintien des deux classes opposées de la société moderne : celle du travail et celle du capital, et leur collaboration sur le fondement de la propriété capitaliste privée. L’expression de cette collaboration est le Parlement et le Gouvernement national représentatif.
Formellement, la Démocratie proclame la liberté de la parole, de la presse, des associations, ainsi que l’égalité de tous devant la Loi. En réalité, toutes ces libertés ont un caractère très relatif : elles sont tolérées tant qu’elles ne contredisent pas les intérêts de la classe dominante : la bourgeoisie.
La Démocratie maintient intact le principe de la propriété capitaliste privée. Par là même, elle laisse à la bourgeoisie le droit de tenir entre ses mains toute la presse, l’enseignement, la science, l’art, ce qui, en fait, rend la bourgeoisie maîtresse absolue du pays.
Ayant le monopole dans la vie économique, la bourgeoisie peut établir son pouvoir illimité aussi dans le domaine politique. En effet, le Parlement et le Gouvernement représentatif ne sont, dans les démocraties, que les organes exécutifs de la bourgeoisie.
Par conséquent, la démocratie n’est que l’un des aspects de la dictature bourgeoise, mêlée sous des formules trompeuses de libertés politiques et de garanties démocratiques fictives.
Définition extraite de l’Encyclopédie anarchiste, 1934.
DÉMOCRATIE : une définition mordicante
ETYMOL. La dêmokratia à Athènes régissait une communauté de 70 000 citoyens libres [et mâles], petits et grands propriétaires que déchiraient des luttes féroces mais qui exerçaient une domination implacable sur 500 000 esclaves, une proportion qui n’a guère varié au fil des millénaires. Le terme revient en usage aux XVIIe et XVIIIe siècles dans le vocabulaire des théoriciens des Lumières qui l’opposaient à « autocratie » et à « aristocratie ».
HIST. A l’époque de la Révolution bourgeoise, le mot représentait l’aspiration des nouvelles classes possédantes à accéder au pouvoir politique avec l’appui du « peuple ». Quitte, une fois la victoire acquise, à réprimer dans le sang, et au nom du consentement général, les pauvres qui ne se satisfaisaient pas de la simple liquidation des archaïsmes féodaux et dont les turbulences menaçaient les nouvelles normes juridiques et sociales. Au fur et à mesure que le salariat s’est étendu à toute la société, le mouvement ouvrier a repris à son compte l’exigence démocratique. La régulation démocratique, appliquée aux conflits d’intérêts comme aux antagonismes de classes, a facilité le développement des forces productives et permis d’achever la soumission de zones entières de la planète à la logique économique. Les habitudes démocratiques et égalitaires du mouvement ouvrier ne lui ont plus suffi pour surmonter la complexité des rapports de force ; érigées en dogme dans les pays industrialisés, elles ont bien souvent isolé les minorités agissantes et paralysé les projets de dépassement dans les moments insurrectionnels ou dans les phases de déliquescence de la bourgeoisie.
GEOGR. Le système démocratique se répand au fur et à mesure que les formes moins subtiles de domination montrent leur infériorité dans la production de marchandises. De Bogota à Séoul, des masses d’hommes se sont faits tuer pour que triomphe l’esprit démocratique sous la forme exprimée par un candidat heureux aux élections polonaises : « La seule démocratie, c’est celle de l’argent ». Dans le pays phare de la démocratie, les USA, il faut rouler sur l’or pour représenter les pauvres. Cinquante pour cent de la population ne vote d’ailleurs pas. Le modèle américain triomphe dans les pays de l’Est où, d’ores et déjà, le pourcentage d’abstention est très élevé.
SENS ACTUEL. Sous la dictature de l’économie, le terme désigne un système où les consommateurs plébiscitent des marchandises tandis que les électeurs se font vendre les candidats à la représentation politique. « La démocratie est le voile qui rend invisible le rapport capitaliste dans ce qu’il a de plus abject » (A. Bonvi).
SYN. Raie publique, démocrature, Disneyland, meilleur des mondes, royaume des aveugles.
ANT. Communauté humaine, horde, phalanstère.
ANALOG. ETAT DEMOCRATIQUE : Plutôt que de l’insignifiant verdict des urnes, la démocratie représentative tire sa légitimité de l’incapacité de l’homo economicus à influer sur sa propre existence et ses rapports sociaux. L’État démocratique a pour rôle de réduire à l’impuissance tous ceux qui sont tentés par les transgressions des ordres de l’économie, en diluant leurs exigences dans le triomphe général de la servitude volontaire – en les châtiant durement si besoin. A noter que le poids des lobbies, les lourdeurs bureaucratiques et le pouvoir des spécialistes sont autant de facteurs structurels qui rendent d’autant plus inopérants les principes angéliques du dogme démocratique.
TOTALITARISME DEMOCRATIQUE : Tout le bluff du pouvoir démocratique consiste à justifier son universalisme conquérant par l’éventail de libertés formelles qu’il garantit juridiquement. Il est vrai qu’il peut se targuer d’avoir ébranlé les despotismes orientaux et d’avoir écrasé ou amené à résipiscence les déviations dictatoriales du capitalisme – tous exploits inlassablement ressassés par ses thuriféraires. Le dogme démocratique fonctionne, dans leur bouche, sur le mode binaire qui caractérise l’univers mental totalitaire : ceux qui ne sont pas « pour la démocratie » sont forcément « pour le totalitarisme » et leurs activités sont « terroristes ». Dans la société démocratique, l’uniformité culturelle que véhiculent les médias engendre une hébétude névrotique de la masse des spectateurs. On peut acheter des centaines de journaux qui tous disent la même chose ; on peut y assister à des joutes acharnées entre politiciens et entre entrepreneurs qui tous défendent des programmes ou vendent des marchandises interchangeables. En réalité, tout y est permis mais rien n’y est possible, hors des règles truquées du marché.
UTOPIE DEMOCRATIQUE : Le fin mot de l’histoire et son mot de la fin. Pour les utopistes démocrates, la démocratie est aussi « naturelle » que l’économie qui en impose la nécessité et se confond avec elle, les hommes cessant d’être des sujets de leur histoire et constituant une communauté planétaire d’êtres-marchandises ; l’un d’entre eux, F. Furet, a pu ainsi écrire que « la loi démocratique n’ayant rien au-dessus d’elle, ne comporte aucun tribunal d’Appel (…) Le pouvoir démocratique élimine la notion même de droit de résistance ». Le droit d’asile servait aux démocraties à faire la leçon aux autres régimes. Mais celui qui a contrevenu aux lois d’une démocratie ne trouvera bientôt plus asile nulle part. décrété « délinquant » ou « terroriste », on lui fera vérifier qu’au-delà de la démocratie, il n’y a plus rien, que la prison ou la mort.
Quelques PROVERBES démocratiques : « Liberté [pouvoir d’achat] Égalité [entre marchandises] Fraternité [au sein de ces étranges et fastidieuses communautés que composent les employés, les usagés, les embouteillés, les vacants sciés, etc.] » ou encore « IBM® c’est tout » et autres « Coca-Cola® c’est ça ».
Usage PÉJORATIF « Va donc, eh démocrate ! » (retourne brouter en attendant les consignes du maître) « Pauvre démocrate » (gogo d’entre les gogos).