Paris 8 : Pas d’échec possible au sortir de 6 mois d’occupation

Nous partageons ici le texte du père d’un soutien impliqué dans l’occupation des exilé·e·s du bâtiment A de Paris 8.

Je me permets d’attirer votre attention sur un point qui me parait grave et qui m’a choqué par dessus tout…

Je ne peux me résoudre à voir ces larmes et le danger que représente pour eux tous et chacun d’entre eux, soutien, étudiant, exilé, un soi-disant échec. …

Plus que pour nous les anciens, qui y sommes plus roués… ne retenir qu’un échec serait catastrophique, comme de s’aveugler d’une réussite. Ne faisons pas le jeu du pouvoir en étant perdant-perdant (inverse de gagnant -gagnant) et craignons pour les êtres… et l’avenir de la lutte…

Échec structurel, organisationnel, d’une utopie irrationnelle, instrumentalisée, récupérée ou irresponsable etc… peut-être, et il nous faudra froidement analyser, découdre, débriefer ces erreurs-là pour ne pas recommencer et pour être à même de continuer les luttes efficacement, et éviter d’autres sacrifices et sacrifiés, mais certainement pas un échec pour l’humanité, pour leur humanité à eux, celle dans laquelle ils doivent puiser les ressorts de leur vie et de la lutte à venir.

Non, leurs larmes, leurs sentiments d’abandon, d’avoir abandonné ceux qu’ils ont aimé, d’avoir cru pouvoir faire quelque chose, et d’avoir dû se résigner, non ce n’est pas beau. C’est l’expression de la laideur de cette nature sociale qui nous conforme et nous laisse verser dans cette ornière de l’échec !

Je crains pour eux tous l’échec. Pour ces soutiens dont les larmes sont la victoire des “méchants” si elles ne deviennent pas, après la reconnaissance de la peine, un signe de victoire. Les néo-libéraux avec leurs écoles de commerce de merde sont eux très forts pour faire une réussite économique médiatique d’une catastrophe environnementale perpétrée par une start-up obnubilée par le profit immédiat de la Réussite au mérite.

Je crains pour certains qui pourraient faire de ce sentiment d’échec un nouveau manque, sur lequel leur génération se bâtitt trop, quand elle se refuse à rajouter à la ruine du monde, Une crainte qui va jusqu’à m’inquiéter de gestes de désespérance, de dépression pour les plus fragiles, ou tout au moins d’abdication de leur foi en l’avenir. Ce manque de foi qui en jette certains dans les extrêmes et autres obscurantismes ou radicalité violente. Je n’ai pas besoin de crucifiés, pour croire à leur quête.

Je ne peux certes que craindre pour l’avenir de leurs amis parqués, discriminés voir réexpédiés, mais si un seul d’entre eux est sauvé, c’est toute l’humanité qui…

Ce doit être une victoire, celle des exilés qui par leurs pas au travers des frontières labourent notre terre, la régénèrent parfois de leur corps, de leur chair, de leur foi en un ailleurs maintenant, quand ils n’auraient pas d’autre choix que de se laisser tomber sur place. Ces exilés qui font éclater notre petite Europe mesquine, repliée, apeurée, qui la mettent face à ses contradictions, face à ses responsabilités, à sa crise d’inhumanité…

Je crains aussi pour eux exilés, qui pourraient reprocher un échec et nourrir la haine, sur leur longue route qui en est pavée. Puissent de ces quelques moments, en garder une petite lumière au coeur, se souvenir de ces quelques mains tendues, de ces sourires qui pour citer Brassens, ont « réchauffé le coeur »…

L’échec serait le pire pour leurs amis soutiens et étudiants au-delà de ces quelques coups mesquins de matraque et de gaz, devant lesquels ils ont très raisonnablement plié jusqu’à l’humiliation, pour éviter le pire qui n’aurait pas manqué de s’abattre sur les exilés. Plus raisonnables que les instances présidentielles irresponsables en tout cas…

Nombreux parmi eux pleurent en sortant et les quelques rires et sourires de certains CRS sont insupportables, mais c’est pire si on leur laisse la victoire en acceptant un échec.

Quand ils ne considèrent que ce qu’on leur a pris et pas ce qu’ils ont donné, de courage, de responsabilité, de vie et j’en passe.

Le pire est ce sentiment d’avoir abandonné leurs copains, de n’avoir rien pu faire, d’avoir été Impuissants quand leur acte six mois durant est l’expression de toute la puissance d’une humanité qui se crée, qui se dresse et qui ne peut se croire impuissante, résignée, battue quand elle transparait si forte, si sincère, si belle à travers leurs larmes.

Ils sortent choqués, en pleurs, déçus et c’est la victoire de la trahison, du mensonge, de l’injustice à laquelle ils ont le sentiment amer d’avoir participé.

Et pourtant c’est eux les justes, les résistants, les victorieux, les responsables face à l’irresponsabilité qui nous gouverne

Responsables jusqu’à préférer assumer un échec plutôt que de voir la violence se retourner contre ceux qu’ils voulaient protéger, aider, aimer, choyer.

Il en faudrait plus comme ça m’a t-on dit

Mais c’est une victoire quand un seul d’entre eux dressé debout face au « non monde » des néolibéraux suffit à la vie pour perdurer, se propager.
Un seul crapaud fou parti à l’envers des autres sauve toute l’espèce.
D’autres, en un temps où leur propre sacrifice n’avait pas aussi été détourné du service de la vie par la résignation, d’autres auraient dit qu’ils étaient le sel de la terre, de celui qui fait lever la pâte, de celui qui donne goût à l’univers entier.

Mots-clefs : sans-papiers | université
Localisation : Saint-Denis

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