« On étouffe ! On étouffe ! » Accusé de l’incendie de la Rotonde, Valentin B. écrit depuis la prison de La Santé

Valentin B. est accusé d’avoir incendié La Rotonde, ce restaurant où le président Emmanuel Macron est venu fêter son accession au second tour de l’élection présidentielle. Incarcéré à la prison de la Santé, nous publions ici sa première lettre publique. Texte initialement paru sur Lundi Matin.

Selon les sondeurs, encore une ou deux enquêtes d’opinion et Emmanuel Macron deviendra le président le plus impopulaire de la Ve République. Nul besoin d’être un fin observateur, ni même d’attendre d’autres sondages, pour pouvoir affirmer que l’actuel chef de l’État s’impose chaque jour comme le plus détesté. Si personne n’aimait Hollande, celui-ci n’était guère aussi haï que celui qui fut son ministre. Loin de la posture bravache qu’il adopte devant ses proches (« qu’ils viennent me chercher », « Ils me tueront peut-être d’une balle, mais jamais d’autre chose ») il s’en était parait-il ému quand en décembre 2018, à la faveur d’un déplacement au Puy-en-Velay, il avait été hué et le cortège présidentiel poursuivi. Un épisode qui a dû lui revenir en mémoire quand en janvier dernier il fut exfiltré d’une représentation théâtrale dans le 10e arrondissement (c’était le mouvement social qui cette fois toquait à la porte).

Selon le journal Le Parisien, c’est pourtant un autre événement qui a marqué le couple présidentiel ce soir-là : l’incendie partiel de La Rotonde, brasserie du 105, bd de Montparnasse. Si l’on cherche les symboles qui accompagnèrent la prise de pouvoir du manager Macron, il faut se plonger en mai 2017. On a alors en tête peut-être la longue marche dans la cour du Louvre, mais certainement aussi cette petite sauterie deux semaines plus tôt, qui rassembla ses soutiens et fidèles, c’était à La Rotonde, son Fouquet’s à lui.

Le 16 mars 2019, lors d’un des plus mémorables samedis jaunes, les GJ, prisonniers des Champs Élysées, incendièrent le Fouquet’s - comme pour dire qu’ils n’étaient pas obsessionnels, et que d’autres que EM méritaient leur détestation. Le pouvoir entendit l’avertissement, et le 1er mai suivant, alors que la grande manifestation syndicale devait arpenter le quartier Montparnasse, la fameuse brasserie fut protégée par une bonne centaine de policiers antiémeutes. « On » avait compris que sur la liste des brasseries peu appréciées, elle était plutôt bien placée.

Finalement, ce n’est pas une manifestation qui provoqua sa dégradation symbolique, mais un acte nocturne. À sa suite, la machine à fantasmes policiers s’est certainement mise en branle : « on » imagina l’œuvre de fameux (mais toujours introuvables) groupuscules toujours déjà radicalisés, ultra-jaune ou gauche. Comme toujours depuis le début du mouvement des GJ cette hypothèse s’est avérée trop vulgaire. C’est le propre d’une situation préinsurrectionnelle : lorsque le mécontentement est tellement large, partagé et diffus que chacun depuis là où il est fomente sa propre manière de harceler le pouvoir.

Un suspect a été arrêté quelques semaines après l’incendie du bar à huitres. Nous ne connaissions pas Valentin B. Ce que nous avons appris c’est qu’il était acteur, que sa vie tournait autour du théâtre et qu’elle s’est retrouvée prise dans le mouvement des GJ. On souhaite bon courage aux experts pour le « qualifier » de ceci ou de cela. Nous commencerons, de notre côté, par lui laisser la parole. Voici donc la lettre qu’il nous a fait parvenir depuis sa cellule.

On étouffe ! On étouffe !
Laissez-nous respirer, laissez-nous être, laissez-nous vivre ! Libres ! Dignes ! Debouts !

Quand la douleur se heurte au mépris et au cynisme. Quand l’autoritarisme prend le masque de la démocratie, alors, oui, il peut monter le coup de colère, elle peut venir l’envie d’effacer, même pour un instant, ce sourire serein et moqueur du visage de cette élite autoproclamée qui détruit tout et de griffer le masque de tyran qui les inspire.

Ils crachent sur le peuple et piétinent nos droits dans le silence feutré des salons de velours rouge.

À ces « élites », que désormais seules la violence d’État et les propagandes éditoriales/publicitaires protègent, pour tous ceux qui souffrent par votre faute, je veux dire ceci :

Sachez que nous ne baisserons pas les yeux, nous n’aurons pas honte devant vos injonctions aux condamnations morales et que nous continuerons de rêver, que nous continuerons de lutter, car notre cause est belle, car notre cause est juste, car nous portons en nous l’invincible espoir d’un monde meilleur, où brille la lumière de la liberté.

Tous ceux qui « condamnent la violence » sans jamais en interroger les causes, ces éditorialistes, ces petites moralistes d’État, tous ceux qui obéissent au clergé médiatique et s’offusquent entre gens de bonne compagnie traitent l’action symbolique d’« attaque contre la démocratie ». « Mais où va-t-on ? », « Mais ce n’est pas comme ça que l’on exprime sa colère en démocratie ». Démocratie. Démocratie ?
Mais laquelle ?
Nous sommes au contraire un cri d’amour pour la démocratie, qui ne demande qu’à naître. Enfin ! Car la démocratie est aujourd’hui confisquée par une petite mafia qui se distribue tous les pouvoirs et manipule les consciences.
Oui, un cri de révolte lancé à la face de ceux qui se pensent au-dessus des lois, au-dessus des gens, prisonniers qu’ils sont de leur petit monde de compromissions et de corruption.
Un cri. Un cri pour tenter de les réveiller.
Enfin !

Puisse la fumée noire qui monte des rues de Paris, le samedi, le jour et parfois la nuit, leur remonter jusqu’aux narines et peut-être leur rappeler que partout dans ce pays des gens souffrent en silence et ne parviennent plus à vivre.

Puisse le feu de la colère qu’ils ont allumée eux-mêmes éblouir leurs yeux aveugles, si possible, et purifier leur âme corrompue… et pourquoi pas leur rappeler que l’on ne répond pas à la colère légitime d’un peuple par la violence et la mutilation de masse en toute impunité.
Ah oui ! Voilà les véritables attaques contre la démocratie. Sanglantes !
Qui sera jugé pour ces crimes de sang ?
Et par quelle justice ?
Où se cachent le(s) responsable(s) ?
Où faut-il venir le(s) chercher ?
Non, non, quand la violence disproportionnée et illégitime est utilisée systématiquement pour écraser le peuple souverain, il ne faut pas s’étonner que le ton de la résistance se durcisse un peu, non ?
État, « élites », je veux dire encore un mot, quand même.
Si notre violence est toujours proportionnée, symbolique, mesurée, la vôtre est criminelle : c’est bien notre sang que vous avez sur les mains ! Et aucune assurance ne remboursera le prix du sang versé. Dans ce combat, des gens honnêtes et droits engagent leur vie pour la dignité de toutes les autres. Et vous ? Que faites-vous ?
Vous qui condamnez la main qui jette l’allumette, drapés que vous êtes dans votre petite morale bon marché, ignorants que vous êtes de l’histoire des luttes et des révolutions, vous qui vous tenez pour toujours du côté des maîtres, des esclavagistes, des tyrans, des petits marquis poudrés, vous qui vous indignez de la perte provisoire de l’un de vos repères à huitres, vous restez muets, et aveugles – et lâches ! – devant la misère, la violence sociale et la répression sanglante que votre monde inflige à des gens vertueux, courageux, qui se battent pour la liberté et pour le droit de tous à vivre dignement. Oui, juste dignement ! Ne serait-ce pas la solution pour que cessent toutes violences ? Dignement.

Nous sommes un cri. Un cri dans la nuit. Un cri d’amour, un cri pour la vie. Un cri vibrant d’espérance.

Un cri : nous ne sommes plus à genoux devant vous. Nous vous voyons. Nous n’avons plus peur.

À tous ceux qui se battent pour leurs droits, qui souffrent dans leur chair, mais qui se tiennent debout, qui paient cher leur soif de justice, je dis : merci. Nous sommes le futur.

Valentin

Texte initialement paru sur Lundi Matin.

Localisation : Paris 6e

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