Notre antifascisme

Remettre les pendules à l’heure et le monopole institutionnel de la lutte en cause. Sortir de la mythologie réformiste et renouer avec la perspective de l’abolition de l’État.

« Dans la domination réelle totale, il n’y a plus aucun endroit où l’ouvrier puisse entamer sa propre vie, parce que ce qu’il y a partout, c’est la vie du capital. »

Renato Curcio & Alberto Franceschini, Gouttes de soleil dans la cité des spectres, 1983

I. Reconnaître nos lacunes

Le texte qui suit ne cherche pas nécessairement à produire une définition théorique de l’antifascisme révolutionnaire. À ce sujet, nous nous contenterons de dire que la lutte antifasciste, au même titre que les autres, n’a rien de révolutionnaire si elle se contente de rester sectorielle : un antifascisme révolutionnaire doit embrasser la totalité de la vie, c’est-à-dire combattre partout et en tout temps la barbarisation des rapports humains dans l’économie capitaliste. Les personnes visées par nos critiques se reconnaîtront et seront reconnues.

Un antifascisme révolutionnaire reconnaît dans l’État la matérialisation politique du pouvoir économique, l’institutionnalisation de sa logique d’exploitation et d’accumulation du capital. L’État, quelle que soit sa forme, est le garant collectif de la société de classe. Le fascisme n’est jamais autre chose que le prolongement de la forme politique du capital par d’autres moyens en temps de crise. La crise est un moment de déclin de l’hégémonie de la bourgeoisie et de son appareil d’État, qui voit les catégories de base de la société capitaliste se radicaliser. L’extrême-droitisation du champ médiatique traduit cette radicalisation, qui se présente à nous dans les délires sur l’immigration et les frontières, le « laxisme » de la justice et la « délinquance », le « communautarisme » et l’islam, la souffrance des policiers et la présomption d’innocence des dominants, l’émancipation par le travail et la fainéantise des chômeurs, etc. Cette radicalisation accompagne le durcissement de l’exploitation, du tri aux frontières, de la répression policière quotidienne, etc.

Tous ces phénomènes pointent le caractère lacunaire de l’antifascisme cantonné à la lutte contre l’expression des groupes fascistes : la lutte antifasciste n’est véritablement féconde que dans le prolongement de la critique de l’économie politique. C’est là qu’elle permet d’anticiper la menace, de la confronter sur le terrain sur lequel elle s’avance, de déconstruire les mensonges sur lesquels elle s’appuie et d’identifier le fascisme tel qu’il est : le « visage dévoilé » d’un système nécessitant déjà d’importantes doses de massacres et d’injustices, fonctionnant bien avant la volonté subjective de nuire et de dominer de quelques autocrates ou généraux ; bien avant que les logiques économiques mutilantes ne deviennent incontrôlables et obligent à recourir aux forces d’exception du système pour garantir sa sauvegarde.

Évidemment, le travail d’information sur les groupes fascistes, de harcèlement sur leurs militants et d’autodéfense face à leurs violences, est légitime et indispensable. Mais ce travail ne doit pas nous dédouaner du reste. L’agitation culturelle, l’intervention dans les luttes sociales et la participation aux initiatives d’auto-organisation sur nos lieux de vie et de travail, font partie intégrante du combat antifasciste. Les délaisser au profit unique de la violence de rue, c’est ouvrir la porte aux comportements claniques et aux logiques de bandes armées ; c’est neutraliser les perspectives du mouvement antifasciste en l’enfermant dans un combat d’arrière-garde et dans des logiques à la limite du féodal ; c’est, enfin, saper notre capacité collective à identifier concrètement les catégories de base de l’État-nation moderne structurantes, et avec elle notre capacité de réaction face à leur radicalisation.

Ces travers nous enferment dans des protestations domestiquées et sans lendemain, auprès d’acteurs politiques choisis par l’État et son dialogue social. Notre positionnement vis-à-vis de ces acteurs politiques est sans doute le dernier marqueur significatif permettant d’évaluer, en surface du moins, le degré de radicalité – ou a contrario de bêtise politique – des militantes et des militants se revendiquant de l’antifascisme. Mais la radicalité, c’est-à-dire la volonté de prendre le mal à la racine et de fonder sa pratique sur une critique totalisante de l’état actuel des choses, n’est pas toujours sincère. Elle ne peut pas non plus se mesurer à la radicalité de la violence assumée dans la rue face aux fascistes. Du reste, on trouve toujours des groupes antifascistes pour « tenir la rue » d’une main et interpeller la Préfecture de l’autre. Notre première tâche devrait être de rompre avec cette conception de l’antifascisme – et donc avec les groupes qui s’en réclament.

Seulement, les groupes autour desquels le mouvement antifasciste se polarise depuis plusieurs années ont eu tendance à cacher la merde sous le tapis et à instaurer un statu quo nocif aux dynamiques qui leur échappaient. Le problème de la représentation et de la spécialisation, tel qu’il est posé aujourd’hui dans le mouvement antifasciste, doit être résolu. La lutte hégémonique que se livrent les tenants de l’antifascisme dit « autonome » et de l’antifascisme que nous dirons « para-syndical » ne mènera à rien sinon à la multiplication des tensions, des accrochages et des règlements de comptes. La rupture doit être politique avant d’être « militaire », et doit permettre de rendre leur voix à toutes les forces antifascistes dépossédées de leur capacité d’expression par le statu quo qui mine le mouvement. Alors nous pourrons choisir notre camp ; un camp qui ne soit pas celui d’un supérieur hiérarchique en compétition avec son voisin, mais bien le camp de toutes celles et ceux qui le composent.

Note

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