Ni Ukrainien, ni Russe ! Développons notre propre camp !

Pour apporter des éléments de compréhension du conflit complexe qui se déroule dans le sud-est de l’Ukraine, voici une analyse fouillée et détaillée publiée par le site et journal « Guerre de classe », mettant en lumière des faits peu connus de désertions, de mutineries, de sabotages, de grèves, de rébellions et de blocages de routes contre la guerre et la conscription militaire.

Le président ukrainien, Petro Porochenko, invité central du sommet de l’Otan qui s’est ouvert ce jeudi 4 septembre à Newport au Royaume-Uni, peut bien annoncer l’intervention d’un cessez-le-feu vendredi dans l’est séparatiste de l’Ukraine [1], le peuple ne l’a pas attendu : en Ukraine comme ailleurs, ce n’est pas dans les salons qu’on obtiendra satisfaction !

Lorsque nous avons écrit il y a un quelques mois dans notre texte « Préparatifs de guerre entre l’Ukraine et la Russie – Show ou réalité ? » que les conditions d’une nouvelle guerre mûrissaient en Ukraine, beaucoup de camarades ont exprimé des doutes ou même des désaccords avec une telle affirmation catégorique. Maintenant nous pouvons affirmer que le conflit en Ukraine a clairement permuté de la phase « froide » à la phase « chaude » et que ce à quoi nous assistons actuellement dans l’est du pays, c’est la guerre sous toutes ses définitions. De Lougansk à la frontière avec la Russie jusque Marioupol sur la côte de la mer Noire, ce sont deux forces militaires qui se mesurent dans des affrontements quotidiens en essayant d’étendre la zone sous leur contrôle, ils se battent au sol ainsi que dans les airs, à la campagne ainsi que dans les centres industriels, l’artillerie fait pleuvoir des obus sur des villages, l’aviation bombarde des villes (sous le prétexte que leurs ennemis utilisent les habitants comme boucliers humains), des hommes, des femmes, des enfants meurent sous les bombes et les missiles... En quatre mois de conflit armé, plus de 2.000 civils et militaires sont morts et 6.000 autres ont été blessés ; 117.000 prolétaires ont été déplacés dans le pays et 730.000 autres ont trouvé refuge en Russie. Au moment de boucler cet article, les cadavres jonchent les rues de Donetsk, pris dans l’étau de l’offensive gouvernementale.

Dans le même texte, nous avons aussi écrit que la seule réponse du prolétariat à la guerre, c’est d’organiser et de développer le défaitisme révolutionnaire, c’est-à-dire de refuser dans la pratique de rejoindre l’un ou l’autre camp [2], mais au contraire d’établir des liens entre prolétaires des deux côtés du conflit à travers la lutte contre les deux bourgeoisies. Et même sur ce terrain, les choses se sont développées (...)
Des expressions du refus pratique des massacres guerriers apparaissent toujours plus fréquemment et les deux camps du conflit ont de grandes difficultés pour recruter de nouveaux effectifs pour leur massacre mutuel. Des milliers de soldats de l’armée ukrainienne, que le gouvernement a envoyé dans les soi-disant opérations antiterroristes dans l’est du pays, ont déserté ou changé de camp avec tout leur matériel, y compris des tanks et des véhicules blindés. A titre d’exemple, la 25e brigade aéroportée ukrainienne (troupe d’élite par excellence), dont les hommes sont accusés « d’avoir fait preuve de lâcheté » lors des combats à Kramatorsk, sera dissoute sur instruction présidentielle le 17 avril après avoir fait part de son refus de « combattre d’autres Ukrainiens ». [3] Tout récemment, ce sont 400 soldats d’une même unité qui ont déserté et se sont réfugiés du côté russe de la frontière après s’être retrouvés sous un feu nourri et sans munitions.

D’autres mutineries ou refus de partir au front similaires sont signalés : un millier de soldats d’unités de la région de Volhynia, les soldats du 3e bataillon de la 51e brigade, le 2e bataillon de la 51e brigade, mais aussi à Poltava, à Mykolayiv [4]... On recense en outre de nombreuses manifestations et actions contre la conscription sont signalées, en particulier des blocages de routes par les proches, les familles, et les villageois. [5]. Ainsi, des mères, des femmes et des parents de soldats de la 51e brigade ont bloqué les routes dans la région de Volhinya pour protester contre la poursuite du déploiement de l’unité dans le Donbass [6].

Après l’entrée en vigueur du décret présidentiel de Porochenko à propos de la troisième vague de mobilisation dans les forces militaires le 24 juillet, dont la conséquence est l’envoi de davantage de milliers de prolétaires au front, des troubles ont éclaté dans différents endroits en Ukraine de l’ouest avec une force accrue : dans le village de Voloka, toute la population a résisté à la conscription de 50 hommes. « Ils ont commencé, qu’ils résolvent eux-mêmes (leurs problèmes). Nous mourrons mais nous ne donnerons pas nos enfants. Ils doivent le comprendre et ne pas venir ici avec leurs ordres de mobilisation », déclarent un vieux manifestant [7]. (...) Lors d’une manifestation anti-guerre en face d’un bureau de recrutement à Novoselytsa, des protestataires ont molesté un membre du conseil municipal qui essayait de leur parler.Des habitants de plusieurs villages de la région d’Ivano-Frankivsk sont entrés de force dans les bureaux de l’administration militaire locale le 22 juillet et ont allumé un feu de joie avec les ordres de mobilisation et d’autres documents concernant la mobilisation. (...) Dans différent villages, les gens ont massivement brûlé leurs documents de conscription distribués par la poste.A Moukatchevo, en Transcarpathie, la situation s’est aggravée à tel point que le commandement militaire local qui s’inquiétait de la continuation des protestations a, pour l’instant, suspendu la mobilisation et a promis qu’aucun des habitants du coin ne sera envoyé au front dans un futur proche [8]

Ainsi la rébellion contre l’État et la conscription militaire ne s’étend pas seulement aux premiers concernés, les personnes qui doivent partir au front, mais également aux proches des conscrits. Les femmes ont ainsi une place importante dans le mouvement antiguerre [9]. Les mineurs du Sud-Est du pays ont également lancé un vaste mouvement de grève.

A Krasnodon, dans la région de Lougansk, les mineurs ont organisé en mai une grève générale et ils ont pris le contrôle de la ville. Ils ont ouvertement refusé de se joindre tant au camp des séparatistes « anti-Maïdan » à Lougansk que le camp des oligarques du Maïdan à Kiev, et ils ont plutôt exigé l’augmentation de leurs salaires ainsi que l’arrêt de l’embauche de main-d’œuvre pour la mine par des agences privées. Les mineurs de six mines dans le bassin du Donbass ont déclenché une grève à la fin du mois de mai pour demander la fin de l’opération anti-terroriste dans l’est du pays et le retrait des troupes.(...) Selon les grévistes, la guerre représente un danger pour l’existence même des mines et provoque le chômage. « Le lundi 26 mai, lorsque l’armée ukrainienne a commencé le bombardement des villes, les mineurs ne sont tout simplement pas retournés au boulot, parce que le ’facteur externe’ des hostilités, ayant lieu presque au pas de leur porte, a sérieusement augmenté le risque d’accidents du travail dans leur entreprise. Par exemple, si jamais une bombe avait frappé la sous-station électrique, les mineurs auraient été pris au piège sous terre, ce qui aurait inévitablement signifié pour eux la mort. » [10]

La grève (...) s’est étendue comme une réaction en chaîne à d’autres fosses de Donetsk (Skochinskiy, Abakumov, « Trudovskaya », etc.), mais aussi à des mines d’autres villes, en particulier Ougledar (« Yuzhnodonbasskaya n°3 »). Dans les mines dont le propriétaire est Rinat Achmetov, l’homme le plus riche d’Ukraine [11], les travailleurs ont été forcés de continuer à (...) descendre dans la fosse, malgré le bombardement du voisinage proche. A l’initiative des mineurs de la mine Oktiabrski également (et à nouveau sans aucun soutien de la République Populaire de Donetsk), une manifestation anti-guerre de plusieurs milliers de participants. [12] a été organisée le 28 mai.

Lire l’intégralité de l’article en ligne.

Note

Voir aussi cet article « mémoire » sur l’Ukraine libertaire ainsi que la vidéo proposée par le site du monde (qu’on en partage ou non la conclusion).

Notes

[1Mise à jour 08/09 : ce cessez-le feu reste fragile, on signale encore des affrontements et des bombardements, en particulier autour de Marioupol.

[2Voir aussi Démystifier Euromaidan, un article relayé précédemment sur PLI.

[3Voir : http://www.thedailybeast.com/articles/2014/04/17/the-ukrainian-army-is-crumbling-before-putin.html . Ce texte est basé sur des informations puisées à différentes sources (que nous citons en notes), des blogs militants comme des média officiels. Cette courte description des événements en Ukraine nous a demandé des heures d’un travail prudent, de collecte d’informations, de lecture de textes, de vision de vidéos, de comparaison de différentes données, etc. Nous voudrions souligner deux choses : primo, le fait que les événements que nous décrivons ici ne furent pas couverts par France Télévision ou Euronews ne signifie pas qu’ils n’ont pas eu lieu, que nous les ayons inventés (diverses sources gauchistes mais aussi les média ukrainiens et russes les ont décrits). Secundo, il est clair que les informations que nous avons obtenues d’Ukraine sont chaotiques, incomplètes et parfois contradictoires. Cependant, cela ne signifie pas que nous devrions abandonner notre tentative de saisir ce qui se passe là-bas. Nous sommes persuadés que nous devons opposer aux informations sélectives de l’État la position critique et radicale du mouvement anticapitaliste ; nous devons développer et partager les informations et les analyses qui comprennent le monde à travers le prisme de la perspective de le révolutionner.

[8Voir : http://www.aitrus.info/node/3875/ via http://libcom.org/forums/news/protests-ukraine-02122013?page=11#comment-541714. D’autres mobilisations militantes contre la guerre ont encore eu lieu dans la région de Zaporojie le 4 août ainsi que devant le parlement à Kiev le lendemain, voir : http://www.youtube.com/embed/G2qm3_c2O-8 et http://www.youtube.com/embed/fiRqdLi6fk0 via http://ukraineantifascistsolidarity.wordpress.com/2014/08/06/protests-against-the-war-in-zaporizhia-and-kyiv/

[11Rinat Achmetov possède un immense empire industriel contrôlant économiquement presque toute la partie orientale du pays. Il est le président de System Capital Management (SCM). En avril 2014, sa fortune était estimée à 11.6 milliards de dollars. En 2006–2007 et 2007–2012, Akhmetov était élu au parlement ukrainien (Verkhovna Rada) pour le Parti des Régions. Il a également été souvent accusé d’implications dans des affaires de crime organisé. Voir : http://en.wikipedia.org/wiki/Rinat_Akhmetov

[12Le 18 juin, plusieurs milliers de mineurs ont à nouveau manifesté dans le centre de Donetsk pour la fin immédiate des opérations militaires. En outre, un des commandants séparatistes, Igor Girkin, s’est récemment plaint en public de ce que les populations locales prennent les armes de son arsenal, mais au lieu de se mettre au service des milices séparatistes, ils les ramènent chez eux pour protéger leurs familles et leurs villages contre les deux camps du conflit. Voir : http://observerukraine.net/2014/05/27/petro-poroshenko-the-chocalate-king-walks-onto-a-sticky-wicket/

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