Depuis la fin des années 1960, nos terres, nos cours d’eau, nos eaux côtières, et nos corps sont empoisonnés aux pesticides, parmi les plus dangereux et les plus polluants, dont le chlordécone et ce, au nom du profit. Nos vies ont été sacrifiées, par les grands planteurs, sous l’égide de l’État français sur l’hôtel des monocultures coloniales que sont celles de la banane, de la canne à sucre, de l’ananas, dont les productions sont des:nées à satisfaire les besoins de la France et de l’Europe.
La dangerosité du chlordécone pour la santé humaine et pour l’environnement, du fait de son caractère persistant et rémanent était connue depuis 1968, date à laquelle la Commission d’Étude de l’Emploi des Toxiques en Agriculture s’est opposée à son usage du fait de « sa grande persistance et de sa toxicité ». Malgré les alertes plurielles formulées par la communauté scientifique, l’État a autorisé l’utilisation de cette molécule en Martinique et en Guadeloupe, de 1972 à 1993.
Les Grands planteurs ont contraint les ouvrier.e.s agricoles, dont des femmes enceintes, à manipuler une litanie de pesticides, dont le chlordécone, sans aucune protection, malgré leurs luttes et alertes répétées. Lors de la grève des 1974 dans les bananeraies, les travailleurs exigeaient la suppression des produits toxiques. Il leur a été répondu par des tirs de balles réelles.
L’enquête de terrain menée par le COAADEP auprès des ouvrier.e.s agricoles et de leurs familles, a révélé qu’ils et elles sont presque tous et toutes atteint.e.s de lourdes pathologies (cancers de la prostate, des os, de l’utérus, du sein, des poumons, de la thyroïde, généralisé, de leucémie, de cécité, de déchaussement des dents, de polyarthrite rhumatoïde, etc).
Les premières victimes du scandale, non pas seulement du chlordécone, mais des pesticides, que sont les ouvrier.e.s agricoles et leurs ayants- droit, sont les grand.e.s oublié.e.s des plans de santé publique relatifs au chlordécone. Nos populations et territoires dits « ultra-marins » ne sont perçus qu’au travers d’un prisme utilitariste et colonial tant par les gouvernements successifs que par la classe dominante dont font partie les Grands planteurs. Cette perception étant celle-la même ayant permis au scandale du chlordécone d’advenir, à ses conséquences de se poursuivre et aux grands planteurs de continuer l’usage irraisonné de pesticides.
Lors du Comité interministériel des Outre-mer, tenu en juillet 2023, l’ancienne Première Ministre déclarait que « les Outre-mer sont une chance inespérée pour la France », l’inverse n’est manifestement pas vrai. Plus de 90% des Martiniquais.es et des guadeloupéen.ne.s sont empoisonné.e.s par le chlordécone, et, en l’absence d’un grand plan de dépollution, ce triste état de fait se poursuivra pour des siècles encore selon les prévisions des scientifiques.
En l’espace de 14 ans, quatre « Plans chlordécone » ont été annoncés. Ils se sont révélés stériles et inadaptés face à l’immensité du désastre environnemental, sanitaire, social et économique que connaît notre pays. Aucune des mesures n’a sérieusement répondu aux besoins des victimes, pourtant clairement formulées par le maillage associatif, la société civile et les élus locaux.
Il y a un an, 17 ans après le dépôt d’une plainte pour crime d’empoisonnement au chlordécone, la justice française rendait une ordonnance de non-lieu, en raison d’une prétendue prescription des faits poursuivis. Nous refusons que l’État français, juge et partie dans ce dossier, s’arroge le droit de s’absoudre et d’absoudre les Grands planteurs des crimes coloniaux subis par les ouvriers et ouvrières agricoles. Il ne peut pas exister de prescription lorsque des enfants naissent avec du chlordécone dans le sang chaque jour en Martinique et en Guadeloupe, ni lorsque nos terres sont contaminés pour 700 ans.
Il incombe aux responsables politiques d’entendre la vérité des ouvriers et des ouvrières agricoles, celles qui contraint à reconnaître qu’il ne s’agit pas uniquement d’un scandale sanitaire, mais bien de crimes contre l’humanité, perpétrés à l’encontre des peuples Martiniquais et Guadeloupéen.
L’expérience nous prouve que nous ne pouvons attendre, ni du Gouvernement une volonté de « sortir, par le haut, de ce scandale », ni de la justice française qu’elle condamne les responsables à réparer leurs crimes.
Il est donc plus que jamais nécessaire de soutenir le travail initié par les parlementaires Martiniquais pour qu’une Loi Programme soit soumise au vote de la représentation nationale française afin que les politiques publiques attentistes et stériles laissent place à :
- La réparation des préjudices physique, moral, et d’anxiété subis par l’ensemble des populations Martiniquaises et Guadeloupéennes ;
- La reconnaissance et à l’indemnisation de TOUTES les maladies professionnelles résultant de la contamination au chlordécone et au « cocktail » de pesticides, par la population et particulièrement par les ouvrier.e.s agricoles et leurs enfants ;
- Des financements conséquents pour assurer le fonctionnement du Centre régional de pathologies professionnelles et environnementales de Martinique.
Nous ne tolérons pas que les grands planteurs responsables de l’empoisonnement (qui ont eu l’audace de se constituer partie civile !) reçoivent des fonds publics au titre de « l’indemnisation des préjudices subis » alors que les principales victimes sont totalement laissées pour compte. Les grands planteurs de banane sont à l’origine de la fabrication, de la commercialisation du chlordécone dont ils ont imposé l’épandage aux ouvrier.e.s agricoles. Ils doivent être contraints d’assumer leur part de responsabilité.
Nous ne tolérons pas la flagrante différence de traitement existant entre les victimes des scandales sanitaires qui ont touché la France (Amiante, sang contaminé, etc.) et les victimes de l’empoisonnement en Martinique et en Guadeloupe. Cette discrimination est inacceptable !
Nous ne tolérons pas que l’empoisonnement continue, et que la contamination passée au chlordécone nous affecte pendant des siècles durant.
Comme l’a révélé le COAADEP, aujourd’hui encore, les ouvrier.e.s sont soumis aux pesticides contenus dans l’eau de lavage des bananes dans les hangars
(essentiellement dans le Nord Atlantique et dans le centre de la Martinique). Une eau prélevée directement dans les rivières qui, comme l’a révélé l’Observatoire de l’eau de Martinique en 2021, contient 44 pesticides, parfois à des taux très élevés.
Plus généralement, l’usage massif de pesticides autres que le chlordécone se poursuit parce qu’il est indissociable du modèle productiviste et de la monoculture imposés en agriculture. La réparation du crime d’empoisonnement passe par un modèle alternatif de développement et surtout par le respect non négociable de notre humanité.
Le Collectif des ouvrier.e.s agricoles et de leurs ayants-droit empoisonné.e.s par les pesticides
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