Lettre à Théo

J’ai eu besoin d’écrire cette lettre par ce que ça m’a pas mal remué et comme à chaque fois que j’entends que quelqu’un a été gravement blessé par la police je me demande ce que la personne va vivre. Je ressens déjà les tourments qui approchent. Et à chaque fois je me dis, moi je m’en suis sortie, je suis sure qu’il y en a encore beaucoup qui galèrent avec ça, pas forcement une souffrance extreme peut être juste passagère, qui harcele.
Bref j’ai écrit pour me libérer de ce poids (de ne pas être là, ne pas être presente pour l’autre, par ce que le moindre signe de soutien réconforte). Je me souviens que quand tout ça m’est arrivé je comprenais rien, j’avais honte d’avouer que tous mes troubles étaient liés à cette agression... Que l’acte d’un flic ait eu autant d’impact sur moi.

Théo,
Je ne sais rien de ton histoire, de ta vie ni qui tu es vraiment. Mais je sais qu’aujourd’hui ta vie est en train de changer terriblement. L’agression que tu viens de vivre par un flic est un évènement qui va inévitablement prendre une telle place dans ta vie qu’elle est impossible à ignorer. Tu vis surement les pires moments de ta vie et ce n’est pas par sadisme que je te le dis mais par expérience. Mais je sais aussi une chose, tu es encore vivant.

Tu es vivant alors ne te laisse pas achever. Si la colère t’envahit déjà et que l’injustice te fouette avec dédain et tu sais d’avance que ces flics ne payeront jamais réellement les conséquences de leur acte. Dans la rue ta colère a été relayée par des milliers d’autres personnes qui ont vécu l’humiliation ou qui pourraient la vivre. Cependant personne d’autre que toi n’affronte la violence et la souffrance qui t’est infligée.

Il y a bien un avant et un après. Ta vie et tes projets sont en stand by jusqu’à nouvel ordre et tu dois prendre ce temps pour toi car c’est bien toi qui as le plus gros du travail à assumer. En premier lieu ta santé physique, en second ta santé mentale. Cette agression a peut être désorganisé ton esprit et d’étranges phénomènes vont se produire : des crises (d’angoisses, de pleurs, de parano, d’identité,...), des troubles (du langage, de la mémoire, de l’orientation,...) et la perte d’envies, de rêves, etc. Tout cela est normal lorsqu’on a vécu un choc aussi brutal et inattendu, n’aie pas peur de toi-même.

Peut-être dans ton entourage certains seront blessants ou manqueront de tact à un moment où tu mérites un soutien unanime. Mais tu as besoin des personnes qui t’entourent pour te reposer, te laisser porter un moment. Car tes forces sont faibles, tu es désorienté, incapable de faire des choix et d’assumer quelconque responsabilité. Ton entourage a un rôle important à jouer : te rassurer, t’apaiser, t’entourer et te faire rire.

La rage, la haine, la peur et la colère sont peut être d’ores et déjà ton royaume. La colère nous transforme, on ne se reconnaît plus et elle nous domine si vite. Abandonne-là dès que tu peux car tu as désormais besoin de te reconstruire dans la dignité, la colère n’est que destruction.
La peur d’un coup devient un masque, elle trouble ta vue, elle t’enfonce en toi-même. Un concept peut-être nouveau pour toi, la peur va provoquer des réactions que tu ne t’imaginais pas à des moments où tu ne t’y attends pas. Reprends confiance, certes tu es surement plus qu’allergique à ces fameuses « forces de l’ordre » et leur présence exacerbée te mettra dans un profond malaise, mais ne te laisse pas terroriser, résiste comme tu peux et quand tu ne peux pas, évite-les.

Avec la médiatisation de l’affaire une énorme étiquette va te gratter sans arrêt, tu es désormais « le mec d’Aulnay qui s’est fait enfoncer une matraque dans l’cul » (excuse moi d’être si crue mais il est possible que certains parlent de toi ainsi). Très lourd à porter et en même temps tu as besoin de reconnaissance pour retrouver ta dignité. La reconnaissance en tant que victime est loin d’être évidente et à ton niveau premièrement. Qui d’autre qu’une victime sait ce que tu vis ? Ce sera un long chemin pour toi que d’abandonner la honte, tu dois retrouver Theo sans mettre de côté ce que tu aura traversé, cela fait partie de ton histoire maintenant.

Tu fais partie de la longue liste des victimes de la police. N’attends rien de la justice, des politiciens ou des médias pour te rendre ta dignité et il ne faut évidement pas imaginer voir les flics s’excuser un jour. Tu es le seul à pouvoir te réparer avec l’aide de personnes bienveillantes.
On qualifie ces actes d’inhumains. Mais aussi raciste et bete soit-il, derrière son uniforme un flic reste un humain après tout. Comment cet être humain en est venu à commettre des actes aussi cruels ? Je crois que l’État confie des armes et un statut d’autorité à des personnes dont le profil psychologique est plus que douteux. Des réactions d’enfants frustrés avec des armes de guerre. C’est dès leur plus courants gestes d’humiliation que l’on peut apercevoir le potentiel d’agressivité de ces personnes choisies par l’État pour faire régner l’ordre. Et tout le monde cautionne leurs agissements par ce « qu’on ne pourrait pas vivre sans la police ».

Je souffre avec toi et je peux t’assurer qu’il y a une issue. Prends soin de toi Théo, trouve le soutien dont tu as besoin pour retrouver une vie digne.

Solidairement, E.

Localisation : Aulnay-sous-Bois

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