Légitime défense et éthique du vol

Reformulation de la violence et du vol. Début de réflexion sur notre réapropriation du langage.
Usage de la raison et raison de l’usage.

« On ne regrette jamais ce qu’on n’a jamais eu. Le chagrin ne vient qu’après le plaisir et toujours, à la connaissance du malheur, se joint le souvenir de quelque joie passée. La nature de l’homme est d’être libre et de vouloir l’être, mais il prend facilement un autre pli lorsque l’éducation le lui donne. Disons donc que, si toutes choses deviennent naturelles à l’homme lorsqu’il s’y habitue, seul reste dans sa nature celui qui ne désire que les choses simples et non altérées. Ainsi la première raison de la servitude volontaire, c’est l’habitude. »

LA BOÉTIE, Discours de la servitude volontaire

Je me servirais d’une citation empruntée à une amie pour définir ce nous que j’utilise :

« Je me souviens aussi ce que c’est d’être en colère, cela n’a rien à voir avec le fait de communiquer quelque chose, de demander quoi, qui, pourquoi, où, cela est plus, c’est plus comme le fait d’être vraiment occupé, d’être occupé d’avancer à l’intérieur de soi c’est à dire dans la boue.
Être en colère c’est comme refaire une foule à commencer par le fait qu’elle a les pieds dans la fange. Il faut s’imaginer ce que c’est qu’une foule jetant dans la boue les miroirs, les vêtements et les portraits d’une génération entière, sans témoins, sans même attendre une réaction particulière.
Même si au départ il y a bien eu cette idée, cette idée de nous pour que la colère commence à prendre.
J’ai commencé par la première personne du singulier, mais pour dire ce que j’avais à dire j’ai du commencer à dire nous et à chercher à savoir comment c’est de dire nous. Comment c’est d’être en colère. »

Le ils lui est pluriel, il accuse et sépare, il montre du doigt ceux qui nous affaiblissent, ceux qui gardent l’excédent et ne le redistribuent pas, ceux sans estime pour notre nous, à la condescendance des puissants dont le pouvoir fait vaciller la raison.

Notre responsabilité est de répondre par légitime défense, cette légitime défense n’est pas celle établie politiquement, officiellement, mais celle de la raison.

La jubilation de la justice violente en réponse graduée. Ne pas tendre l’autre joue mais rendre le coup, le rendre avec joie. Anéantir celui qui a voulu nous rendre incapable et obéissant. Trouver la faille et le réduire à néant, réponse graduée toujours. Notre responsabilité est de répondre par légitime défense, cette légitime défense n’est pas celle établie politiquement, officiellement, mais celle de la raison. La raison, ce mouvement critique face à ce qui nous arrive, savoir le comprendre et y répondre. Il y a peut-être aussi un faire sans raison comme réaction immédiate, mais c’est une raison antérieure, celle qui nous forme aux combats plausibles, celle que nous avons construite au fil des brimades et des coups reçus. Des coups que nos classes dirigeantes revendiquent comme légaux, et quand ce ne sont pas des coups ce sont des affronts. Ils disent de nos manifestations, de nos signes de mains au sens propre, qu’elles sont émaillées par des débordements, mais l’émail vient agrémenter, vernir ce tronc commun et si l’on déborde c’est que nous n’avons pas de limite. Ils nous disent violents et passent sous silence la violence que l’on subit.

Ce qui s’institutionnalise meurt, rien ne doit être pérenne.

Nous ne nous plaignons pas et nous ne sommes pas indignés car on ne se plaint jamais à la bonne personne et l’indignation s’arrête dans un soupir impuissant. Nous sommes révoltés et énervés, révoltés parce que nous tournons le dos au pouvoir qui nous insulte et énervés parce qu’affaiblis par leurs manœuvres insidieuses. Par palier, petit à petit, ça pénètre comme une pluie battante jusqu’aux os, ils pensent que nous oublions leurs offenses parce que d’autres viennent occuper l’espace médiatique, mais nous nous souvenons de tout et engageons nos actes en raison. Nos actes ne sont qu’une réponse encore en deçà de ce que nous subissons, ils sont encore symboliques et sont affaiblis par des dispositifs étatiques et affectifs. Le politique nous oblige et nous détermine à agir en délai. Alors en dépit de la violence que l’on subit, on délaye notre souffrance dans un pas encore assez. Pas encore assez d’aliénation il nous reste le RSA, pas encore assez d’humiliation ils ont dit que ça n’allait pas durer, pas encore assez de privations il nous reste encore de quoi manger, pas encore assez de morts ils ne parlent que des blessés.

Nous n’avons que faire de la morale, si avec raison nous pensons l’usage.

On s’habitue, on laisse s’installer leurs règles qui les unes s’ajoutant aux autres deviennent invivables. Au début c’est comme un petit caillou dans la chaussure dont on s’accommode mais nous voilà pieds nus, sentant les aspérités d’un sol qui ne nous appartient plus. Ce qui s’institutionnalise meurt, rien ne doit être pérenne. Nous ne devons produire que du provisoirement efficace afin que personne ne puisse s’installer, mais revienne constamment interroger ce qui arrive. Nous ne voulons pas habiter mais séjourner, être de passage pour ne pas être propriétaire et de fait rester mobile et attentif. Nous ne possédons que ce que nous usons le temps de l’usage. L’éthique est notre manière d’user. Nous n’avons que faire de la morale, si avec raison nous pensons l’usage.

Si l’institutionnalisation est la fixation d’un usage et sa répétition, l’éthique du vol est la remise en mouvement de l’usage par la raison.

Pour entendre cette question de l’usage et de l’éthique parlons du vol. Que devient le vol en dehors de la morale qui le désigne comme mauvais ? Une éthique du vol serait penser ce qui est soustrait à l’usage. Pour résumer, le vol n’existe que parce qu’il y a propriété et la police existe originellement pour protéger cette propriété. Cela pose la question de la légitimité de la propriété. Nous disions n’est propriété que ce qui est usé, mais si cet usage cesse, la propriété doit être cédée et remise au commun. Il est donc légitime de récupérer ce qui n’est plus en usage si par inadvertance certains en continuent la garde. L’éthique du vol est de récupérer avec raison ce qui est soustrait à l’usage commun. Récupérer mais pour un temps, le temps d’un nouvel usage, puis l’abandonner pour un autre. Voler de la nourriture à satiété, voler ce qui stagne sur les comptes bancaires et dans les maisons, occuper le vacant, récupérer les territoires ghettoïsés pour l’entre-soi et les rendre au commun. Si l’institutionnalisation est la fixation d’un usage et sa répétition, l’éthique du vol est la remise en mouvement de l’usage par la raison.

Si il y a un combat à mener contre la novlangue actuelle, l’affaiblissement du langage, l’utilisation systématique du schématisme et du communiqué. Il y a aussi à rendre nos mots effectifs et que nos actes s’accordent à leur nouvel emploi. Réinventons notre sémantique, redonnons de l’épaisseur aux mots que l’état et les médias vident de sens. Ils ont remplacé la lutte des classes par le dialogue social, montrons leur que nos luttes sont toujours aussi vives et que nous ne voulons plus participer à leur soliloque condescendant.

Ce qu’ils appellent violence nous l’appelons légitime défense, ce qu’ils appellent vol nous l’appelons recouvrement.

Note

Je est ici nous parce qu’il est cette foule en puissance, un nous qui dit l’ensemble de ceux qui se reconnaissent dans la lutte, dans le combat contre l’humiliation que l’on subit de la part des possesseurs, des agioteurs, des soustracteurs de bien, des détenteurs du pouvoir et de leur chien de garde. C’est un nous qui cherche des compagnons pour l’organisation d’un contre-pouvoir.

Mots-clefs : vol

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