Le Grand Paris et les JO promettent le fort d’Aubervilliers à la gentrification et la spéculation.

Au Fort d’Aubervilliers, une piscine d’entraînement Olympique, une gare, et des milliers de logements vont conduire à la destruction de jardins ouvriers, à l’expulsion de 500 personnes d’un foyer d’hébergement d’urgence et à une densification/bétonisation gigantesque. A la place, on aurait pu imaginer agrandir les jardins ouvriers, créer un parc dans une ville qui en est dépourvue, et pérenniser des structures d’accueil. La concertation est une blague, et les habitant.e.s commencent à s’organiser.

Le Fort d’Aubervilliers, aux frontières avec Pantin et La Courneuve, date de 1846. Il a d’abord été occupé par l’armée, puis a été racheté par une agence foncière de l’État en 1973 (aujourd’hui Grand Paris Aménagement, GPA). Depuis, mis à part une caserne de gendarmes et leurs habitations, il est resté en friche, malgré les nombreux projets (hôpital, vélodrome). Depuis 10 ans, un projet d’aménagement a démarré. Le futur métro (Ligne 15, 2030) et les jeux olympiques (2024, s’ils ont lieu) accélèrent les velléités de bétonisation et aiguisent l’appétit des promoteur.rice.s.

10000 m2 de jardins ouvriers sacrifiés par un complexe aquatique démesuré

En 1949, à gauche, les jardins sont présents tout autour du Fort. Aujourd’hui, au centre, seule une moitié des jardins subsiste. A droite, le futur projet, les jardins sont détruits autour de la piscine/gare, et le centre du fort est totalement construit.

Le Fort et ses remparts sont entourés pour moitié par des jardins ouvriers, constitués en associations depuis bientôt 100 ans. Sur des dizaines d’hectares, habitant.e.s du quartier et d’ailleurs, retraité.e.s souvent, cultivent leurs légumes pour se nourrir, socialisent et profitent de ce rare espace de verdure, entre route nationale et grands ensembles. Ces jardins jouent en été un rôle d’îlot de fraîcheur pour l’ensemble du quartier. Pour en profiter, on fait acte de candidature auprès de l’association, et on attend qu’une parcelle se libère.

La piscine olympique, pour laquelle Aubervilliers était candidate, sera finalement construite à Saint-Denis. Mais la ville a tout de même obtenu -une partie- du financement pour une piscine olympique « d’entraînement ». Celle-ci devrait être construite sur le gigantesque parking à la sortie du métro. Comme il y a peu de piscines dans le secteur, le besoin fait plutôt consensus. Mais le projet retenu compte, en plus du bassin olympique, un bassin de 25 mètres, un bassin ’ludique’ avec toboggans, ainsi qu’un centre de fitness, un spa finlandais et un « solarium minéral ». L’ouvrage ne tient donc pas sur le parking, il leur faut s’étendre, ce qui doit conduire à la destruction de 10000 m2 de jardins [1].

Les maires d’Aubervilliers (ancienne et actuelle) tiennent un double discours, rassurant en façade, mais en réalité au diapason des aménageur.se.s. Pour tenir la promesse officielle de « préservation des jardins », il est proposé une « compensation », qui consiste à déboiser une autre partie du fort pour y déplacer des jardins. En termes d’espaces verts globaux, la perte serait la même, et pour les jardinier.e.s dont la terre est travaillée depuis 100 ans, ce n’est pas exactement la même chose s’il faut arracher 150 arbres et tout recommencer ailleurs. Sans compter les espèces protégées.
Prévue pour 2030, la gare du Grand Paris Express doit aussi être construite sur le parking et poursuivra la destruction des jardins. Il est prévu de faire un building avec des commerces et des bureaux sur plusieurs étages (jusqu’à 9) [2].

Pourtant, il serait tout à fait possible de mettre une piscine (et une gare) sur le site sans détruire de jardins. Les dimensions de la piscine olympique de Barcelone seraient compatibles. Il suffirait sinon de mettre le solarium sur le toit pour sauver les jardins. Exigeons un projet aux dimensions plus écologiques, plus sobres. Économisons sur une partie des bassins, le solarium minéral et le centre de fitness, qui ne correspondent pas aux besoins des habitant.e.s. D’autant que plus c’est grand, plus c’est cher à entretenir. Les frais d’exploitation du bâtiment à payer au promoteur (SPIE Batignolles) seront de 1,7 M euros (par an) en plus des frais de fonctionnement, le tout à la charge de la municipalité. Tout ça n’est actuellement pas budgété [3] ! Au final, soit le budget sera plombé par ce projet pharaonique, soit l’entrée sera tellement chère que la plupart des habitant.e.s d’Aubervilliers ne pourront pas y aller.

Bétonisation, gentrification et expulsion en marche

Anciennes tours d’habitation de la caserne de gendarmerie, qui abritent aujourd’hui un centre d’hébergement d’urgence, en lien avec le 115. Photo tirée du site : https://www.journal-laterrasse.fr/la-treve-piece-dactualite-n15-concue-par-olivier-coulon-jablonka-sima-khatami-et-alice-carre/

Mais le duo piscine-gare n’est qu’un produit d’appel. Deux milles logements neufs doivent aussi être construits dans l’enceinte du Fort [4]. En comptant 3 personnes en moyenne par logement, ça représenterait 6000 habitant.e.s en plus, soit 7 % de la population actuelle de la ville, qui arriveraient du jour au lendemain. Répartis sur les 36 hectares du site, cela correspondrait à une densité de population de 17000 hab/km2, largement au dessus de la densité actuelle (15000 hab/km2), pourtant déjà en forte hausse (+12 % depuis 2012). Aubervilliers deviendrait ainsi la ville la plus dense de la petite couronne (presque aussi dense que Paris - 20000 hab/km2), mais aussi la plus pauvre en espaces verts, avec seulement 1.2 m2/hab (12 fois moins que Paris) [5]. Les objectifs officiels de la région sont de 10 m2/hab [6]... Il y aurait ainsi plus de 90000 personnes en ville avec à peine un seul square de taille décente. Le projet comprend 30% de logements sociaux (contre 45% sur l’ensemble de la ville [7]) dont la nature exacte (et donc les loyers) n’est pas connue. Le reste sera du parc privé, et fera inévitablement augmenter les prix dans l’ensemble du quartier.

Pour réussir cette opération immobilière, GPA a aussi prévu de virer les cinq cent personnes du centre d’hébergement d’urgence géré par le Secours Catholique et Adoma situé dans les anciennes tours des gendarmes [8]. Pourtant, rien n’a encore été communiqué sur le devenir de cette zone. Les travaux ne commenceront donc pas avant plusieurs années mais les résident.e.s devront être partis pour le printemps 2021. Aucune solution de relogement ne leur a pour l’instant été proposée. Il s’agit bien de dégager les précaires, pour construire du neuf, rassurer les classes moyennes et tirer les prix vers le haut. Les solutions d’accueil manquent dans le département, pour les jeunes mineur.e.s isolé.e.s notamment, les exilé.e.s en général, et pour toutes celles et ceux qui sont en grande difficulté économique.

Ce qu’on pourrait y faire :

Sur ces 36 hectares, pourtant, il y aurait bien d’autres choses à faire et il faudrait une véritable assemblée de quartier pour y réfléchir. Mais en attendant, voilà quelques idées. Tout d’abord, la végétation. Puisqu’Aubervilliers est dense et dépourvue d’espace verts, la priorité serait de faire un parc, tout simplement. Un parc ouvert sur la ville (non grillagé), qui permette de circuler entre Pantin et Aubervilliers, de se poser entre potes ou en famille, de courir ailleurs que sur une route départementale. Et si le virus de la construction était trop fort, alors ce sont des espaces collectifs qu’on pourrait imaginer : éducatifs, politiques, culturels, sociaux.

Il faudrait pour cela partir des demandes du quartier et d’une concertation réelle, ou le préalable n’est pas « on va construire 2000 logements, s’il reste 20 m2, on vous met une balançoire ou un arbre ? ». Par exemple : la N2 le long du fort est un lieu où la mécanique sauvage se pratique depuis longtemps. Un lieu ou ceux qui n’ont pas d’alternatives parviennent à dégager un revenu. Le Fort hébergeait auparavant une casse automobile. Il y a donc une histoire autour de la mécanique. Alors que la nouvelle équipe municipale communique sans arrêt sur la répression des mécaniciens, pourquoi ne pas créer plutôt un garage solidaire autogéré ? GPA loue actuellement des espaces à quelques associations. Elles sont informées pour ce qui est de la phase transitoire, mais aucune d’entre elles n’a de visibilité au-delà. Ouvrir encore plus largement l’espace du Fort aux associations de la ville, voilà encore une alternative, chouïa plus ambitieuse.
Concernant le centre d’hébergement d’urgence, pourquoi ne pas pérenniser une structure d’accueil sur les lieux ? Enfin, il y a de nombreux immeubles insalubres sur la ville, notamment sur la N2. La priorité est de les rénover.

Pas de JO ni d’éco-quartier sur nos territoires

Ces JO s’appellent Paris 2024, mais ils auront pourtant bien lieu en Seine-Saint-Denis. L’aménagement urbain qui les accompagne amène gentrification, travaux, densification, perte d’espace verts et pollution.
L’Aire des Vents à La Courneuve doit devenir un éphémère village médiatique, au prix de la disparition d’espaces verts (70000 m2) et d’espèces protégées. L’échangeur de l’A86 à carrefour Pleyel doit être construit au-dessus d’une école pour faciliter la circulation des touristes. Un foyer d’hébergement à Saint-Denis doit -lui aussi- être expulsé pour faire le village des athlètes. A chaque fois, les JO servent d’excuse pour virer les plus précaires, bétonner et enrichir des promoteur.rice.s. Et les élu.e.s sont complices. La gentrification leur offre une perspective budgétaire, car les classes moyennes qui arriveraient paient plus d’impôts. Plaine Commune s’est rendu compte du problème, et pour faire bonne figure, demande l’encadrement des loyers. Ce sont pourtant bien eux.elles qui ont signé les PLU (plan local d’urbanisme) qui autorisent ces nouvelles constructions/destructions, c’est le cas notamment pour les jardins ouvriers du fort.
Tout ça est une aberration écologique : on annonce un éco-quartier et des JO « verts », mais le vert est réduit à la portion congrue ; c’est un prétexte, du greenwashing au service des promoteurs, aménageurs, politiques. La population a certainement besoin d’équipements publics, mais pas de ces JO. Ceux de Tokyo ont été annulés en 2020 et le seront peut-être à nouveau en 2021. Les coûts de ce report (des milliards) se répercuteront sur les Jeux 2024 [9]. Et donc sur la Seine-Saint-Denis ?

Luttons pour gagner

A Notre-Dame-des-Landes, à Gonesse, à Roybon, les combats ont permis l’abandon des projets inutiles. Au Fort, un collectif de défense des Jardins regroupant des jardiniers et des habitant.e.s existe depuis quelques mois. Des rassemblements et une campagne d’information ont été organisés. Les Jardins sont la priorité car les travaux de la piscine sont annoncés pour le mois de mars 2021. Il a besoin de s’élargir, car la suite du projet est tout aussi dangereuse.
Il faut exiger l’abandon du projet actuel, l’abandon des constructions de logements, la création d’un parc et l’extension des jardins, une solution pérenne sur site pour le centre d’hébergement d’urgence. Il faut réfléchir à l’installation d’un garage solidaire et d’espaces d’expérimentation politiques et culturels.
Pour se battre, toutes les options sont sur la table : assemblée de quartier, occupation, référendum local, recours juridiques. Notre nombre et notre détermination seront fondamentaux pour les mettre en œuvre.


Rejoindre, s’informer :

Mobilisation :
- 17 novembre : manifestation contre les JO et la ré-intoxication du monde : https://www.facebook.com/Les-JO-pour-Paris-les-d%C3%A9g%C3%A2ts-pour-la-Seine-Saint-Denis-101466725120127

Localisation : Aubervilliers

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