Le pouvoir politique cède, une nouvelle fois, à la tentation de répondre au malaise professionnel, lié à la sur-incarcération, par un accroissement des prérogatives répressives de l’institution.
La prison est régie par toute une série d’interdits dont la transgression peut entraîner le déploiement de mesures coercitives. La sanction ultime : un placement en quartier disciplinaire (QD), communément appelé « mitard ». Les fautes sont classées par ordre de gravité : les plus importantes, dites de premier degré, peuvent appeler jusqu’à trente jours de QD. Celles de deuxième et troisième degré, respectivement à quatorze et sept jours.
Le décret du 13 février, qui entrera en vigueur le 15 mars, durcit les règles et accroît les possibilités d’enfermement au QD et la durée du séjour en allongeant la liste des fautes du premier degré. De nouvelles infractions sont créées : la rébellion violente, l’accès à des zones interdites, l’apologie du terrorisme, mais aussi la prise de son ou d’images non autorisées au sein de la prison, ou leur diffusion.
Reflet de la crispation de l’institution vis-à-vis de tout ce qui lui échappe, la prise d’une photo ou d’une vidéo en dehors de son contrôle est ainsi mise sur le même plan qu’une évasion.
Les injures, menaces et propos outrageants à l’encontre d’un personnel, d’un intervenant ou d’une autorité administrative ou judiciaire sont quant à elles élevées au premier degré, rejoignant les agressions physiques.
De même, la participation à une action collective de nature à perturber l’ordre de l’établissement – une qualification qui, dans les faits, permet de sanctionner les mutineries mais aussi la simple signature d’une pétition évoquant un dysfonctionnement interne – devient une faute de premier degré.
De la même manière, diverses fautes du troisième degré passent au deuxième. Tel le refus d’obtempérer immédiatement aux injonctions du personnel ou le fait de tenir un propos outrageant à l’égard d’un personnel, d’un intervenant ou d’une autorité judiciaire ou administrative dans une lettre adressée à un tiers. Une nouvelle faute du troisième degré est également créée : négliger de prendre soin d’un objet mis à disposition par l’administration expose désormais à une semaine de QD.
Autre révélateur de la logique à l’œuvre qui vise à accroître la quasi-toute puissance de l’administration vis-à-vis des personnes dont elle a la garde : le déclassement d’un détenu, c’est-à-dire de la décision de le priver de son emploi ou de sa formation, sera désormais possible pour toute faute commise en détention, même si celle-ci est sans lien avec l’activité. Plus cynique encore : une sanction de « travail d’intérêt collectif » pouvant aller jusqu’à 40 heures peut aussi être prononcée. Les détenus pourront désormais être contraints d’effectuer gratuitement des travaux de nettoyage, d’entretien ou de remise en états des cellules et des locaux communs. Des travaux pour lesquels ils sont normalement payés par l’administration, par ailleurs régulièrement condamnée pour ne pas respecter les taux minimum de rémunération. Un consentement préalable est certes requis – toutefois, face à l’éventualité d’une sanction plus forte, nul doute qu’il sera aisément acquis.
Despotisme ordinaire vs. respect des droits de l’homme
L’orientation prise par le gouvernement est d’autant plus condamnable que la procédure permettant à l’administration de (se) rendre justice est largement contestable, et contestée. Singeant le procès pénal, elle s’en éloigne sensiblement en termes de garanties, ce que la Commission nationale consultative des droits de l’homme (CNCDH) n’a de cesse de le rappeler. En effet, elle méconnaît les règles du procès équitable, de l’indépendance et de l’impartialité de l’instance disciplinaire, le chef d’établissement concentrant tous les pouvoirs (poursuite, « enquête », sanction et même levée de la sanction).
Elle ne respecte pas le principe de légalité, les fautes étant définies en des formules trop extensives pour exclure l’arbitraire. Et les sanctions, quant à elles, sont disproportionnées par rapport aux faits imputables.
Quelle que soit la nature de la faute commise, isoler quelqu’un dans une cellule privée de tout équipement si ce n’est des WC non cloisonnés à proximité d’une tablette pour les repas et d’un lit bétonné, avec pour seule activité une heure de promenade dans une cour entièrement grillagée, et ce pour une durée pouvant aller jusqu’à 30 jours, est inacceptable.
Pour le comité européen pour la prévention de la torture et des peines ou traitements inhumains et dégradants (CPT), « le principe de proportionnalité exige » que le placement au QD ne soit utilisé qu’en « cas exceptionnels », « en tout dernier recours, et pour la période la plus brève possible » – ce qui ne saurait « excéder 14 jours ».
Enfin, compte tenu des « dangers inhérents à cette sanction » (suicides, automutilation, effondrement psychique, etc.), l’instance européenne incite surtout à en bannir l’usage, et de privilégier la médiation au rapport de force.
Les travaux de recherche témoignent des effets contre-productifs de cette méthode uniquement répressive : acteurs sociaux, les détenus réagissent à la manière dont ils sont traités. Renforcer la répression au détriment de l’équité, du respect des droits fondamentaux et de la qualité des relations ne peut qu’amplifier ce que l’on entend prévenir. Et à l’inverse, rappelle le CPT, « promouvoir des relations constructives entre prisonniers et personnel permet d’atténuer la tension et, partant, de réduire sensiblement la probabilité d’incidents ».
Mais le gouvernement, pour tenter de faire face à une colère syndicale, a fait le choix d’instrumentaliser le régime disciplinaire, foulant aux pieds les préconisations des instances de protection des droits de l’homme. Pansement sur une jambe de bois, ce décret enferre encore l’administration pénitentiaire dans une logique fondée essentiellement sur la répression et la coercition, éloignant toujours plus la possibilité d’un apaisement du climat en détention.