DÉFERLER
La manifestation parisienne du 19 janvier a réuni plus de 400 000 personnes. Cette première bataille de la guerre pour les retraites était un succès quantitatif. Celles et ceux qui avaient fait l’autruche pendant la révolte des gilets jaunes, effrayés par leur soulèvement désordonné ou retranchés dans leurs luttes sectorielles, étaient enfin réunis dans la rue. Et pour cause : chacun·e de nous est concerné·e.
Si notre nombre était impressionnant, notre densité nous rendait vulnérable. Une salve de grenades lacrymogènes sur la place de la République, noire de monde, aurait provoqué un mouvement de foule tragique. La police l’avait bien compris, et s’y était préparée en ouvrant un itinéraire alternatif, parallèle, pour désengorger le parcours officiel et permettre aux manifestant·es de défiler.
DÉBORDER
Plus qu’une manifestation, c’était un débordement dans l’espace et dans le temps : à 20h, des cortèges continuaient d’affluer sur la place de la Nation. Le dispositif policier a dû s’assouplir dans l’urgence : distendu, régulièrement dépassé, il n’a parfois tenu que par sa violence. Sur le boulevard Beaumarchais d’abord, puis sur l’avenue Daumesnil la nuit tombée. Faute d’une conflictualité la hauteur de la situation, le dispositif policier n’a pas craqué.
On touche là au problème fondamental de la mobilisation du 19 janvier, succès quantitatif mais échec qualitatif. Après tant de mobilisations syndicales timorées et de rendez-vous manqués entre la gauche et la rue, nous avons laissé l’affluence nous surprendre. Il y avait quelque chose de gilet jaune dans les rues perpendiculaires et le jeu de transvasement entre cortèges dont elles étaient le théâtre. Mais nous sommes resté·es sages. Pourquoi notre colère n’a-t-elle pas explosé ? Pourquoi le débordement a-t-il manifesté, et pas débordé ?
FRAPPER
Nous nous sommes regardé·es, nous nous sommes attendu·es, et nous sommes passé·es à côté de l’occasion. Mais nous ne ferons pas deux fois la même erreur. Si nous devions nous retrouver aussi nombreuses et nombreux, le 31 janvier, à déferler dans les rues de Paris et à déborder du parcours officiel, nous aurions alors une chance historique de faire plier Macron – sur les retraites d’abord, et peut-être au-delà. Pour cela, nous devrions :
Passer d’un cortège à l’autre pour harceler et désorganiser le dispositif policier. Bloquer et barricader les rues arrachées aux forces de l’ordre ou concédées pour désengorger la manifestation. Forcer les commerces ouverts à baisser le rideau en solidarité avec les grévistes, en invitant les salarié·es à débrayer et à rejoindre le cortège. Débarrasser les supermarchés de leur champagne et les boutiques chics de leurs produits de luxe pour les distribuer dans la rue. Nous détourner du trajet établi et dériver - vers l’Ouest, le périph, une gare, un centre commercial, un hôtel de luxe, une mairie... Bref, transformer chaque parcours parallèle en une nouvelle ligne de front, épuiser l’ennemi partout et tout le temps. La nuit, tous les chats sont gris. Foutons un joyeux bordel !
PENSER EN STRATÈGE, AGIR EN BARBARE
APRÈS PARIS LE MONDE ENTIER