La révolution, pour ou contre ?

Certain.e.s, il y a quelques années ont formulé la question de leur action ainsi : "Que faire de l’idée révolutionnaire quand la situation ne l’est pas ?". Assez justement, leur réponse, à travers leur implantation dans un quartier, a été de participer à construire l’autonomie. Aujourd’hui, la conjoncture n’est plus exactement la même, le ciel semble être un peu plus nerveux. Alors, il est peut être temps de reformuler l’énoncé : “Comment rouvrir l’hypothèse révolutionnaire quand la situation l’est à nouveau ?”

Pendant ces dernières semaines de nombreux.ses militant.e.s ont tourné.e.s. autour de la question d’une agitation perçue comme exogène, les Gilets Jaunes. “Quelque chose se passe mais ca vient pas de nous. Est-on pour ou contre ?” Profond casse-tête. Pourquoi un tel décalage entre ces militant.e.s et la situation ?

D’abord, on parle de “beaufs qui ne veulent pas de la taxe”.. Puis, on commence à raisonner le refus par une désapprobation des actes racistes, sexistes, homophobes. Par la suite, le refus presque instinctif s’est modifié en hésitation. On s’est rendu compte que ces acteurs et ces actes pouvaient ne pas être représentatifs de l’intégralité des Gilets Jaunes, car bien entendu les Gilets Jaunes sont quelque chose d’hétéroclite.

La semaine du 17, malgré les actions directes, les blocages économiques importants et les manifestations sauvages, une réticence demeure puisque, si révolte il y a, une partie n’est toujours pas favorable à aller manifester avec “tous ces fachos”. Une autre par contre, avance au contraire que leur présence est nécessaire pour de ne pas leur laisser le terrain. Dans tous les cas, il faut réfléchir. Pendant deux semaines, prudence, analyses, quasi-absence de plan d’actions. Par contre, une continuité inaltérable des luttes, celles de d’habitude. Comme si les Gilets Jaunes bloquaient les routes ... au Québec.

Certain.e.s suggèrent qu’au-delà du mépris de classe, la raison profonde est que, lors du moment décisif, les militant.e.s rejettent le changement, général comme personnel. Sous-entendant que ce refus est presque intrinsèque à la condition militante. Y-aurait-il une dérive conservatrice du militantisme ? S’il y a une tendance militante à obscurcir la potentialité d’un changement impromptu, c’est la peur de l’imprévu, le non-familier, le non-connu qui expliquerait le décalage avec le surgissement d’une nouvelle situation.

Une chose est certaine, il y a un manque soit de disposition, soit de goût à la spontanéité. En cause, les habitudes militantes. Celles-ci ont empêché de voir dans ce début inédit d’agitation, non seulement la rage légitime des Gilets Jaunes, mais aussi la possibilité d’un soulèvement populaire qui déborde les contours et l’intensité d’un “mouvement social”.

Ces médias qu’on ne cesse de critiquer lorsqu’ils s’attaquent à nos mouvements auraient-ils subitement gagné en crédibilité aux yeux de ces militant.e.s ? Dès qu’il y a une agression raciste ou homophobe, les médias se jettent dessus. Pourtant, quand une ancienne sous-préfecture est occupée à St Nazaire est renommé “maison du peuple” ou quand on vire des fachos à Rouen et qu’on s’organise avec des syndicalistes pour amplifier les blocages économiques… No news.

Samedi, le 24 novembre, plus de militant.e.s ont été sur les Champs-Élysées. Dès le lendemain de cette journée émeutière, on constate une plus grande acceptation des Gilets Jaunes. Les images des Champs-Élysées, en plus de quelques appels de collectifs importants ont fait que beaucoup ne pouvaient plus rester sur leurs recul. Quelque chose, entre le fétichisme de l’insurrection et une véritable prise de conscience, a abouti à faire ressentir cette non-participation comme une honte.

Quand les militant.e.s ont commencé à se chauffer, il était enfin temps de se demander “que faire ?” Aller en manifestation... et après ? Quelle pénurie d’imagination alors que partout, elle est à la fête.
Au lieu de la voir comme un risque - de se sentir inutile et minoritaire - la participation aujourd’hui pourrait être justement le moment qui pousse les coutumes à se diluer dans l’expérimentation, et a priori ca serait plutôt une bonne nouvelle.

Nous pouvons entendre que deux, trois semaines de “retard” est plutôt la durée d’une prudence justifiable. Nous répondrons que, si l’on a pu dire à un moment que c’était un mouvement fasciste, c’est précisément parce que ces derniers, comme l’a démontré la parade du Bastion Social à Lyon le 17 novembre, n’avaient pas ce retard.
Nous pouvons aussi répondre que pour se faire un avis, le terrain reste indispensable. De toute façon, ce n’est pas le retard qui est perturbant mais plutôt les raisons qui l’ont rendu inévitable.

Ce manque de réactivité est la preuve d’une réflexion stratégique qui ne permet pas d’agir lors de l’éclatement d’une situation que l’on n’a pas, soi-même, mise en scène. Ou alors, d’un manque de réflexion stratégique tout court.

A ceux et celles qui ont refusé et dénigré les premières secousses des gilets jaunes, il faut poser sincèrement une question : comment imaginent ils.elles le déclenchement d’une situation révolutionnaire ? Par l’action décisive d’une organisation ? Autour d’un sujet unique et homogène ? Ou alors s’ils n’imaginent pas de changement de rythme, comment entendent ils réellement avancer dans leur cause ? Grâce à une temporalité hermétique aux autres qui l’entourent ?

De notre côté, nous n’entendons pas discuter de si nous assistons ou pas à une situation révolutionnaire. Par contre, il est bien possible que la majorité des révoltes à venir (et une bonne partie de celles passées) ressemblent à ce que nous voyons se dérouler depuis 3 semaines en France métropolitaine et à la Réunion. Surtout, nous pensons qu’il est souhaitable qu’elles se déroulent de cette façon.

Sans qu’elle soit déclenchée par un parti ou une organisation politique. Sans qu’un quelconque chef, représentant ou même leader ne réussissent à s’en faire porte-parole, toutes les tentatives étant dénoncées de toute part.

Si les premiers blocages ont été lancés à l’appel d’un petit nombre d’individus, - certains peu recommandables - et autour d’une revendication spécifique - l’annulation d’une taxe sur les carburants - leurs dépassement a été quasiment immédiat. Depuis, l’agitation s’est étendue comme une traînée de poudre et s’est matérialisée, localement, de manière simultanée ; mais aussi nationalement, avec des moments de convergences. Ainsi, on a vu fleurir une immense variété de gestes de désobéissance : péages gratuits, refus de déposer des manifestations, blocages économiques ; et d’actions directes : occupation de sous-préfecture, assaut au tracteur de lieux étatiques, cambriolages de maisons de députés, pillages de grandes surfaces... la liste est longue.

Au lieu des places, ce sont aujourd’hui les rond-point qui constituent la base physique de la mobilisation. Ils sont le signe d’un déplacement de l’organisation vers les périphéries.
A l’heure actuelle, sur de nombreux blocages, autour des braséros, les bancs de palettes commencent peu à peu à se transformer en cabanes…

Un soulèvement, qui exige, comme bien d’autres avant lui, la dignité. Mieux, quand on entend ou l’on discute avec ces hommes et ces femmes qui tiennent les blocages depuis plus de 10 jours dans le froid et la pluie, on entend que cette dignité, ils.elles commencent à la retrouver dans la lutte, dans l’affrontement avec celui qui, pour l’heure, est désigné comme le principal coupable, monsieur Macron.

Pourtant, comment ne pas être alerté par les nombreux actes rebutants (une femme qui se fait arracher son voile ou des migrants agressés à Calais) et qui ne vont pas forcément s’arrêter là ? Comment ne pas être dérangé par les applaudissement face aux policiers ? Ou encore le nombre de drapeaux français ? On ne se sentira mieux que lorsqu’à celui-ci s’ajoutera l’algérien, le breton, le kabyle, celui de la révolution syrienne, du mouvement zapatiste au côté de ceux rouges, noirs et LGBT. Parce que l’on pense que les identités ne vont pas disparaître du jour au lendemain.

Ça parait d’une grande banalité de rappeler que oui, dans les moments de révolte, des choses bien moches, inquiétantes, arrivent. Celles-ci reflètent l’air de l’époque, expression et expiation d’idées et de passions tristes.

La chute de Macron ou même d’un Régime n’est pas synonyme de la chute de l’État, du capitalisme et des oppressions de toutes sortes. Et encore moins de l’avènement d’un monde juste et égalitaire. Ce qui pourrait se passer n’est ni l’un ni l’autre. Personne ne croit plus au grand soir. Par contre, celle-ci serait une étape importante à inscrire dans un processus révolutionnaire au temps long.

Dès lors, dans ce moment d’intensité, ce n’est pas possible d’adopter la même attitude que lorsque l’on s’attache à construire patiemment. La question nous semble être : comment participer à cet élan de révolte qui souhaite la destitution du président en contribuant à la progression de ce à quoi l’on tient ? Sans essayer de prendre le pouvoir dans celui-ci, (c’est dans tous les cas peu plausible), tout en contrecarrant les tentatives de nos ennemis.

Pour déjouer leurs entreprises, il faudra une grande dose de finesse collective et situationnelle. Et ceci n’est pas une question abstraite mais ce qui se jouera à tous les niveaux, à l’échelle nationale comme régionale, dans le discours transmis comme sur chaque rond-point.

Pour cela, essayer d’activer tout ce que l’on a essayé de construire ces dernières années en terme de liens, d’idées ou d’outils sera nécessaire.

Les amitiés, les alliances, les rencontres... c’est le moment pour se voir et discuter, non pas sur ce qu’il se passe, mais de ce que l’on peut y faire ensemble.

En plus de ressources matérielles, nous avons développé des moyens pour combattre les dominations qu’elles soient sexistes, racistes ou de classe. Rien n’est abouti, rien n’est satisfaisant, tout est incroyablement partiel, mais nous avons tout de même des choses a proposer.

Les street-medics en manifestation, les réquisitions pour arrêter de payer un loyer, les cantines populaires pour se rencontrer et pallier aux galères des fins de mois.

Mais de tout ça, qu’est ce qu’on veut en faire ? Les chérir pour notre propre confort. En espérant que certain.e.s vont finir par tomber dessus au détour d’une rue ?

Ca serait reproduire nos privilèges, pire, en inventer de nouveaux. Ou au contraire essayer de les étendre, de les mettre à disposition, et surtout de permettre leur altération dans la rencontre avec l’intensité, avec l’autre et dans des échelles plus complexes. Il nous faut proposer à l’intérieur de la situation des réponses pour combattre à la fois l’entre-soi et l’ennemi.

Quoi qu’il en soit, mieux vaut contribuer à ce qu’une révolte ne soit pas récupérée plutôt que prophétiser sa récupération pour se féliciter d’avoir eu raison.

Pour clarifier, notre propos n’est pas d’appeler tout le monde à enfiler son gilet jaune. On peut le faire, bien entendu, mais c’est plutôt de participer à l’intensité à sa manière. Cela peut signifier à la fois aller à la rencontre des occupant.e.s de ces rond-point comme bouleverser nos propres luttes.

Samedi 1er décembre, la vague jaune déferle pour la troisième fois sur l’Élysée. Paris envahie, par des milliers de gens qui appellent à la révolte, à la révolution. Il faut prendre toute la mesure de ce rythme là. Ne pas jouer à contre-temps.

La question n’étant plus de faire alliance avec ce “mouvement”. On ne fait pas alliance avec un moment. Encore moins avec une révolte. On la rejoint. On y plonge.

Après tout ca, pour celles et ceux qui veulent toujours discuter si ça vaut le coup de se rapprocher de ce qui se déroule plutôt que se demander ce qu’ils.elles peuvent y faire, nous proposons une question plus simple pour animer leurs débats : "La révolution : Pour ou Contre ?".

De notre côté, nous avons fait notre choix : ajouter nos forces à celles qui entendent arrêter le pays, le pousser à réfléchir et commencer à construire ce que l’on désire.

Contribuer à la chute du régime et à s’organiser sans lui.

Un contributeur et une contributrice.

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