La revanche du rêve.
"Il y a signe de vitalité - donc raison d’être du rêve - dans toute lutte de rupture" L.Laugier
Depuis l’usage de l’article 49.3, des centaines de rassemblements spontanés ont eu lieu en France ces derniers jours. Jeudi dernier, avec un nombre record de manifestants, un grand nombre d’entre eux sont restés dans les rues de la capitale jusqu’à minuit, voire au-delà, défiant la police et brûlant des tas d’immondices. Les syndicats cherchent à avoir la main sur le mouvement : de peur qu’il leur échappe, ils ont donné rapidement une nouvelle date, ne pas attendre plus d’une semaine. Même s’ils sont unis, on sent déjà poindre une fêlure. Berger évoque la possibilité de parler avec Macron si une pause est faite sur l’application de la réforme, Macron évoque la possibilité de parler avec les syndicalistes sur tout ce qui concerne le travail même s’il ne veut pas parler de sa réforme. Un dialogue de sourd, pour l’instant.
Une question demeure donc : comment monter d’un cran ? Car ne pas monter c’est risquer une défaite dont on peinerait à se remettre. Nous sommes à un moment crucial, sur un plateau, qui peut tantôt être l’apogée du mouvement annonçant sa chute, tantôt être une étape parmi d’autres. À court terme, le prochain chantier du gouvernement a été annoncé : ce sera une nouvelle loi travail, avec dans le viseur les plus précaires, ceci assorti d’une répression toujours plus grande. À moyen terme, ce que risque de provoquer la défaite ce n’est plus de la colère et de la révolte, mais ce ressentiment banal qui mène au fascisme. La réussite du gouvernement a de grande chance d’aboutir à celle du rassemblement national aux prochaines élections.
Les médias ont actuellement un étrange rapport à la police et aux manifestants. Disons qu’ils jouent un double jeu : ils relaient avec peu de critiques les paroles du gouvernement et participent à distinguer le bon du mauvais manifestant, mais aussi celle des syndicats et des divers groupes de gauches qui dénoncent la violence policière, sans jamais prôner officiellement sa réappropriation par les corps asservis. Chacun de ceux dont ils rapportent la parole se complaisent dans le rôle d’une victime qui n’espère qu’une reconnaissance sur l’écran social où elle pourra désormais exister pleinement. Policiers, députés, journalistes, syndicalistes, étudiants, retraités, tous victimes bataillant à l’être plus que l’autre. Chacun est à sa place, il serait bien absurde de s’en offusquer. Toutefois, au détour d’un flash info se laisse parfois entendre, dans certaines interviews hasardeuses, un refus, un désir de faire autrement, offensif, qui détonne avec le ton cloîtré des communicants.
À défaut de coordination, le nombre est la force qui rend difficile le maintien de l’ordre. Y aura-t-il plus de monde dans les prochaines manifestations ? Difficile à croire, les révoltés qui se sont rajoutés à la masse des ennuyés après l’usage du 49.3 risquent de ne pas s’accroître. Espérons être surpris. Certains partisans de l’ennui transformeront peut être leur marche en quelque chose de plus énergique. Le rapport de force établi ce week end entre manifestants et policiers à Sainte Solline peut peut-être peser dans la balance et montrer un exemple à suivre. Et, la potentielle mort d’un jeune sous les feux d’une grenade de police ce week-end sera-t-elle utilisée à des fins politiciennes ou sera-t-elle le catalyseur d’une juste colère ?
Certains veulent des lieux ; on sait ce que cela donne : les occupations sont généralement des espaces de glauquerie malgré la joyeuse effervescence qui peut s’y jouer dans les premiers jours. On souhaite rencontrer des gens, alors que nous sommes nous mêmes incapable de toutes rencontres. Normal : pas de confiance aveugle, la répression nous l’a appris. Et puis avons-nous réellement le temps de prendre le temps ? Nous n’avons pas la maîtrise de l’agenda politique, arrêtons de croire une telle fable.
D’autres veulent rester dans la rue : comment ne pas imaginer un épuisement ? Déjà au bout d’une semaine l’énergie dans les manifestations sauvages diminue (hormis un rebond jeudi dernier).
De quoi ce mouvement est-il alors le nom ? Certes, il est porté par de nombreuses manifs ou rassemblements sauvages, mais ce n’est pas tout car elles ne se contentent pas de déambuler tranquillement dans les rues : saccage de permanence de députés et menaces de mort, commissariat et portes des mairies brûlées, plein affrontement avec les forces de l’ordre. Voilà peut être la ligne de conduite à prendre. Plus que l’explosion de violence sociale qui contraste avec ces cinq années de résignation conformiste ; plus que l’insolent défi au sinistre socialisme reconditionné d’une France Insoumise et plus même que la prétention à obtenir tout tout de suite, le signe essentiel de ces actes fut la légitimation, et donc la résurrection des aspirations jusque-là refoulées au nom de la rationalité politicienne. La revanche du rêve.
Non pas la rue pour la rue, mais la rue comme une direction vers des buts précis et désormais possibles. Mairies, assemblée nationale, ministères, hôtel de police, siège social d’entreprises, de banques ou de médias, Sénat, Élysée, palais de justice… voilà des cibles évidentes, diverses, présentes aux alentours de chaque manifestations, dans chaque ville.
Ne plus accepter le chantage de l’humanisme « républicain ». Ne plus s’y reconnaître. Car nous ne le comprenons plus. Détruire les lieux d’exercice du pouvoir d’une démocratie qui masque toujours le capital. Ne plus se contenter des vitrines, mais attaquer ce qui et ceux qui protègent – avec fierté – les marchandises et qui se moquent de nos vies, les aplatissent.
Il ne s’agit donc plus de se donner poliment rendez vous sur le parvis de la mairie la plus proche, pour espérer se faire entendre, mais bien de se demander : comment cramer ce lieu sans me faire prendre, puis, le faire.
Si la démocratie a bel et bien tué le communisme, alors vengeons-le.
Coco de Colchyde