La loi travail, mon handicap, nos luttes

La loi travail, les mobilisations, vue d’une personne en situation de handicap. Comment lié militantisme et handicap.

La loi travail ou comment nous faire encore plus enfler, quelle que soit nos statuts, que nous ayons fait des études ou pas, que nous travaillions ou pas, que nous ayons ou pas des formations.
En bref, la précarisation va de plus en plus nous toucher.
Pour celleux qui connaissent les CDI, les accords vont se réduire, les acquis sociaux diminuer.
Pour celleux qui font des études, en formation des conditions encore plus dures, encore plus de souplesse à devoir accepter tout et rien, enfin surtout rien.
Pour celleux qui ont des emplois précaires, à temps incomplet, qui signent des dizaines de contrats par an, il va falloir nous décupler, nous scinder pour bouffer et payer un loyer toujours plus élevé.
Pour celleux qui n’ont pas de boulot, dont la situation se dégrade, il va nous falloir tout accepter, alors que les conditions actuelles sont déjà affreuses.

Toutes ces situations sont ordinaires, en sont banales, nous sommes toutes et tous concerné.e.s elles vont toutes empirer, alors, comme beaucoup j’ai commencé les mobilisations, dès le début, sans vraiment y réfléchir, syndicaliste militante féministe et libertaire par « réflexe » militant.

Travailleuse handicapée, mes capacités sont cadrées, encadrées. Je ne dirais pas limitées, je ne le suis pas, même si la société limite ce que je peux faire dans tous les domaines.
Le travail n’est qu’une mascarade pour une personne en situation de handicap, on nous propose des postes qui ne correspondent pas à ce que l’on souhaite, on nous catégorise, on nous limite dans ce qu’on sait faire, on limite nos maux. On doit au quotidien suivre nos traitements, vivre avec nos maux, nos maladies, payer les soins de moins en moins remboursés, des prises en charges de plus en plus faibles. Notre travail n’est pas reconnu, nous devons toujours faire plus qu’une personne sans handicap pour juste montrer que nous ne sommes pas un boulet pour les autres.
Nous sommes vus comme des parias, des moins que rien, incapables, dépendants, ne faisant pas un effort pour s’en sortir. Tellement de termes violents, qu’on retrouve au quotidien dans nos vocabulaires : « t’as du mal, tu es handicapé ou quoi ! ».

Je cumule les taffs précaires depuis que j’ai commencé à travailler, avec mon handicap, apprendre à combattre avec, ne pas se résigner, ne pas tomber, mais lutter, mais surtout payer ses factures, son loyer, les médecins, les soins.
Et là, le gouvernement voudrait m’enlever le peu de cadre et de survie que j’ai avec le code du travail, si aujourd’hui je suis exploitée je ne sais pas ce que ce sera demain.
Impossible de ne rien faire, il faut avancer et les mobilisations doivent être intenses, dures, et elles le sont. Autant lors de la lutte contre le CPE, j’étais en pleine forme physiquement, lors du mouvement des retraites mon handicap commençait et ses dernières années mes participations et mon militantisme n’a pas faibli autant il a évolué, moins d’actions où je mets mon corps en danger. Il faut apprendre à 20 ans à militer autrement même quand on veut aller exprimer pleinement sa rage, on peut le faire mais différemment. Ce n’est pas moins bien ni moins important qu’une personne en première ligne mais il faut trouver sa place, quand on veux être en première ligne.

Les premières mobilisations font du bien, je me retrouve à retourner devant, à retrouver un nouveau souffle, on sentait dès le début qu’il n’y aura pas que 2/3 semaines de mobilisation.
Hors de questions de ne pas aller aux manifestations du matin. Les lycéen.ne.s moteurs dans ces mobilisations étaient très vite bien organisé.e.s, nous ne l’étions pas, pas comme ça en tout cas. Pas capable de nous dire que nous risquions gros en allant manifester. Dès le début, une violence, une répression inouïe, forte, mais aussi désorganisée. J’ai appris à me mettre « en sécurité » pour éviter de me mettre trop en danger, ni les autres ayant connaissance de mon cadre dans la plupart des luttes auxquelles je participe, là impossible de savoir quelle manœuvre va être employée, quelle ligne de CRS va attaquer qui, où les lacrymos vont elles tomber, où les grenades vont elles exploser, impossible à prévoir ! J’ai du pour la première fois, réfléchir et m’interdire d’aller en manifestation : trop risquer pour mon état. Pendant ce temps, on voit des copains, des copines, des camarades se faire défoncer, latter, de plus en plus fort. On pense alors à toutes ces personnes qui ont désormais un handicap, iels vont devoir apprendre à vivre avec, à militer avec. Au delà des séquelles directes, physiques celles psychologiques resteront.

Les militant.e.s traditionnel.les se mélangent à celleux qui ne veulent juste défiler au sein d’un cortège syndical dans un ordre déterminé décidé en amont. Les personnes prenaient leurs luttes en main. Les slogans montent, les idées fusent, les démonstrations aussi, chacun.e ses méthodes, mais aujourd’hui nous le faisons ensemble. Même si dès le début, nous nous sommes pris des coups de matraques, des grenades de désencerclement, de flash-ball, des traces de lacrymo dans les poumons qui commencent à avoir de sérieuses sequelles pour les personnes ayant des difficultés respiratoires.

Je ne jamais vu, ressenti, vécu une telle violence dans aucun rassemblement aussi exceptionnel qu’il soit. Jamais je n’ai eu peur comme lors de ce mouvement, pour moi, pour les miens, mais surtout pour tout celleux qui se trouvent partout autour de moi, il n’y a pas une minute où que l’on soit dans la manif où l’on se demande si tout le monde va bien, si personne n’est touché gravement.
Il est sur que « tout le monde déteste la police », la question ne se posait pas avant ce mouvement, mais au moins a-t-il permis à ce que d’autres qui ne voulaient le voir commence à y réfléchir.

Je n’ai jamais eu aussi peur mais je ne nous ai jamais senti aussi fort !!! Nous sommes puissant.e.s ensemble !!! Malgré les tentatives journalistiques, malgré les déformations, les tentatives de désolidarisation, nous restons uni.e.s !

Depuis quelques semaines, je retourne en manifestation, restant dans mon cortège syndical, espérant (naïvement) m’en prendre un peu moins dans la tronche. La dernière manif finissant en sourissière à Nation, l’avant dernière j’ai du partir vite pour éviter de me retrouver mal.

Ce 14 juin, fut encore plus impressionnant que les autres manifestations, tant par la mobilisation, la solidarité, le monde venu de toute la France, tout pendant cette mobilisation fut décuplé, la violence des flics, le nombre de blessés, le nombre de superbes phrases lues au fur et à mesure de la manifestation, l’ingéniosité de nos manifestant.e.s. En cortège syndical, des nouvelles tombent régulièrement de l’avant de la manif, la tête de cortège où se trouve énormément de monde, des charges, des grenades par dizaines explosent, blessent, mutilent, des visages et corps tombent sur le sol, inconscients. Les canons à eaux sont de sorties aspergent quiconque passe.
Nous nous scandons, avançons, soyons honnêtes, se demandant comment va finir la journée, où va se terminer la manifestation, quand les premières nouvelles dramatiques vont elles tomber. On avance, malgré les violences, notre détermination est plus forte, notre rage et notre joie dans nos luttes est plus forte que leurs matraques, que leurs armes.. Quand un.e tombe, 10 sont là pour l’aider, 20 crient, 50 protègent.
Invalides approche, on sait que les copains.copines luttent sur place. On est coupé par des lignes de CRS, confusion pendant quelques minutes, on pense que les flics les empêchent de passer, non ce sont nous qu’iels bloquent. Alors on appelle les différents camarades et SO présents à venir, à finir la manifestation, à rejoindre le cortège de tête, on ne suffit pas à passer. Les dockeurs approchent, une grenade explose un homme touché à l’entrejambe tombe, il est escorté par le so pour lui venir en aide.

Les flics chargent, frappent, balancent des lacrimos partout, ça brule, on reste, il y a le blessé, les camarades, la banderole. Ça charge à nouveau, des personnes prennent des coups à la tête, les dockeurs interviennent, en quelques secondes la rue est entièrement remplie de lacrymo, on voit rien, ça explose, on se sent mal, se tient la gorge, les policiers nous lancent dessus en pluie des grenades de désencerclement, certaines touchent notre camionnette. Notre cortège est chargé, gazé, nous recevons du gel vomitif et prégnant. On voit juste quelques ombres arrivant en courant, on ne voit plus ses camarades, son SO, plus de repère. *

On est 2, on se tient mutuellement, on essaye d’avancer, des barrières sont la un peu partout on galère. Des personnes nous prennent par le bras, nous aident à aller sur le trottoir, nous mettent sur le côté, on suit mais on sait pas qui sait, des flics qui nous embarquent, des personnes nous aidant, mais on suit. Ce sont des camarades du SO de la CGT, ils nous ont sorti de là, ça charge à nouveau, on avance ensemble, on se tient. Merci à eux, la solidarité est présente à chaque instant depuis le début de notre mouvement. Les luttes continuent, de nouvelles journées d’actions arrivent, nous allons être plus nombreux.ses. Je vais continuer à venir, mieux préparer, pour ça sortez couverts ! Contrairement à ce que nous a dit un CRS lors de la manifestation pour Clément, NON les manifestations ne sont pas réservées aux personnes valides, nous avons nos places parmis toutes les luttes ! Ces luttes sont les votres, ces luttes sont les notres !

Localisation : Paris

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