L’Etat vous fait les poches - épisode 1312 : l’ordonnance pénale

L’ordonnance pénale, c’est l’occasion d’être jugé.e coupable sans procès. Autant dire que les procs et les flics, ils adorent. Petite explication.

Ça part de là, de scènes banales dans notre belle société policière : d’un contrôle dans la rue sous prétexte du confinement, d’une manif « interdite » ou simplement d’une gueule qui ne revient pas au flic de base.
Ça peut aussi être après une intrusion des keufs chez vous, si vous avez eu le malheur par exemple de filmer leur intervention pour documenter leurs violences.
La bleuzaille fait alors son vilain travail : au mieux elle vous laisse repartir en collectant vos données personnelles, au pire elle vous embarque pour 48h à l’ombre... Au mieux, vous pensez donc être plutôt peinard.e, au pire, les 48h de garde-à-vue passées, vous ressortez essoré.e.s, traumatisé.e.s mais au moins vous avez échappé à un déférement (c’est-à-dire envoyé.e au tribunal)... En tout cas, c’est ce que vous pensez.
Vous pensez même parfois pouvoir porter plainte à l’IGPN, car vous avez été victime ou témoin de violences arbitraires injustes, et vous comptez bien faire valoir vos droits !
Mais attention on vous a remis un petit papier à la fin de la GAV.
Si ce n’est pas le cas, la surprise peut arriver quelques jours plus tard au courrier : une belle « notification d’ordonnance pénale » !
Alors, c’est quoi une « ordonnance pénale » ?

2 possibilités dans le courrier que vous avez reçu :

  1. c’est un document ressemblant à s’y méprendre à une amende mais intitulé « ordonnance pénale » (une ordonnance pénale contraventionnelle dans le jargon) ;
  2. c’est une convocation pour aller chercher votre notification d’ordonnance pénale au tribunal, ou parfois dans une Maison du droit et de la justice, charmants préfabriqués disséminés dans nos quartiers afin de rapprocher les populaces du glaive et de la matraque. Vous y serez reçu par un-e auxiliaire de justice désigné-e par le terme de « délégué du procureur », le DP (c’est alors une ordonnance pénale délictuelle)

Oui mais donc, c’est quoi cette ordonnance ?
Du racket pur et simple.
L’ordonnance pénale s’inscrit dans la palette vicieuse des « alternatives aux poursuites » érigées en solution miracle officiellement pour désengorger les tribunaux. [1].
La réalité, c’est que c’est un sale outil du système pénal pour couvrir les brutalités policières, les rafles en manifestation, les procédures bâclées et transformer chaque personne un tant soit peu hors du moule en délinquant.e consciencieusement fiché.e.
Que vous la receviez toute fraîche ou que vous deviez aller la chercher, l’ordonnance pénale, c’est une sorte de contravention. A l’origine, c’était prévu pour les infractions routières mais bien évidemment ça a rapidement été étendu aux outrages, rébellions et violences sur personne dépositaire de l’autorité publique. Faudrait pas gâcher... Elle concerne aussi les mineur-es même si la procédure est différente [2]

L’info à faire tourner, c’est que, comme une amende que l’on peut contester, une ordonnance pénale aussi ! Ça s’appelle faire « opposition ».
Alors ça, nos petit.es fonctionnaires zêlé.es de la justice, iels aiment pas du tout (vraiment pas...!) parce que ça les oblige à organiser un vrai procès devant un.e juge, avec un.e avocat.e à ses côtés, toussa toussa, et non seulement c’est du temps perdu pour elleux, mais en plus vous pourriez bien en ressortir relâxé.e !
Bah ouais, s’opposer à l’ordonnance c’est pouvoir se défendre, c’est ça qu’il faut retenir !

Et comme bien souvent, cette procédure a été choisie car le dossier pénal — pièces et éléments factuels qui vous accusent — est vide... En gros, quand iels n’ont rien contre vous ! Donc vous avez toutes vos chances qu’elle vole en éclats avec un.e avocat.e. motivé.e. Surtout qu’un procès implique que vous ayez accès au dossier : sans s’opposer à l’ordonnance, impossible de savoir comment les flics ont construit l’accusation.

Sans s’opposer, c’est plié : vous êtes jugé.e coupable sans même avoir été averti.e de la possibilité d’avoir un procès et au passage, le ou la DP qui vous reçoit vous aura fait son laïus sur la mansuétude de la Justice à l’égard du.de la grand.e criminel.le que vous êtes, bla bla bla...

Là, il faut quand même savoir que le ou la DP n’est pas un.e magistrat.e. C’est le plus souvent un-e flic ou juge à la retraite, rémunéré.e au forfait, de moins de 75 ans, recyclé-e là où iel peut continuer à exprimer sa meilleure compétence : emmerder le monde et faire la morale.
« Soyez en sur.e.s : c’est une proposition qu’il ne faut pas refuser, qui ne se représentera pas deux fois » : iels sont sympa ces DP, carrément un prix d’ami.e.s. Et si vous semblez trop tenaces et déterminé.e.s à vous défendre, iels passent à la menace.

Quand on dit que ce ou cette DP n’est pas un.e magistrat.e, c’est que ce n’est même pas elle ou lui qui a décidé de la sanction, iel est juste là pour l’appliquer et vous la notifier. Mais son taux de réussite à ce jeu le remplit de fierté, alors tous les moyens seront bons pour vous mettre la pression et vous faire accepter cette fichue ordonnance !

Après le ou la DP qui vous colle la pression, les greffier.e.s en charge des oppositions prennent le relais : « non vraiment, on vous déconseille de faire opposition. Cela risque d’énerver les juges. Cette procédure est une chance pour vous ! »

Sauf que c’est loin d’être anodin, une ordonnance pénale !

C’est un jugement, donc une condamnation. S’il était vierge, votre casier a pris sa 1re mention. Et en plus, ça apparaît sur le fameux « bulletin n°2 », celui qui peut compromettre vos choix d’études ou de job.
C’est un jugement mais décidé par le parquet (procureur-es ou substituts), pas par un-e magistrat du siège.
En résumé, c’est donc un jugement sans juge, sans que vous ayez eu la possibilité de vous défendre et sans savoir ce qu’on vous reproche exactement. La même personne qui vous poursuit décide de votre sanction. Système sacrément efficace !
On comprend mieux pourquoi la justice appelle ça une « procédure simplifiée ». Pas de juge, pas d’avocat.e, pas de soutien au tribunal, bref pas de contre-discours aux violences et mensonges policiers. Tu fermes ta gueule et tu prends ta mention au casier.

Autant dire que ces ordonnances nous coûtent très cher ! Sans compter que le montant de l’amende lui aussi fait très mal : de l’ordre de centaines d’euros à chaque fois, 135, 200, 400... Prix d’ami.e.s, on vous le dit !

Donc comment on fait ? ON S’OPPOSE, on tient tête au ou à la DP malgré ses intimidations et sa morale à deux balles.

Concrètement, on a 30 jours pour faire opposition. Par lettre recommandée avec accusé de réception ou directement au tribunal. Ce délai de 30 jours débute à partir de la notification, donc à réception du courrier vous informant de l’amende appliquée ; ou à partir de la date de la convocation chez le ou la DP.

Et après, on attend.
Car rappelez-vous : la justice est engorgée, trop de dossiers, de délinquance, de criminalité.... Bien souvent donc, l’audience n’aura lieu que très longtemps après les faits, en gros un an après. Et là, contrairement au moment où vous avez rencontré le ou la DP, le plus souvent sans avocat.e, un procès ordinaire se tiendra avec toutes les parties prévues. Et vous pourrez y choisir votre défense. Magie de ce qu’on appelle le « contradictoire »...

Nous, on a d’autres idées pour désengorger les tribunaux... ;)

Notes

[1On confond souvent « l’ordonnance pénale » avec la « composition pénale », autre « alternative aux poursuites ».
La principale différence entre ces 2 procédures, c’est que la composition pénale doit être validée par un juge après accord entre le/la procureur-e et le/la prévenu.e.
Autre différence non négligeable, la composition pénale donne lieu à une inscription au casier judiciaire mais seulement au bulletin n° 1 (non accessible aux employeurs), pas au bulletin n°2 (accessible aux employeurs et qui peut donc contrecarrer vos choix d’études ou de job...). Encore une fois, l’ordonnance pénale est une condamnation, casier judiciaire à la clé !

[2Pour le mineur-es, le nouveau Code de justice pénal des mineurs prévoit aussi des alternatives aux poursuites sous la forme d’une « composition pénale », qui comporte plusieurs volets dont la « réparation », la « médiation » avec la victime, obligations de soins ou d’assiduité scolaire, suivre un « stage de formation civique » (payant !) voire même, pour les plus de 16 ans, d’effectuer un « travail non rémunéré » (équivalent des TIG) ou (pire) d’être enrôlé dans un « contrat de service en établissement public d’insertion de la défense » ! cf document récapitulatif de juin 2021 : http://www.justice.gouv.fr/art_pix/cjpm_ft_alternatives_poursuites_composition_penale.pdf]....

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