L’administration sort l’artillerie lourde face aux enseignant·e·s impliqué·e·s dans le mouvement contre les réformes des retraites et du bac, notamment pour celles et ceux qui ont décidé de monter d’un cran dans leurs actions, ayant acté que la contestation passive ne mènera à rien : menaces de sanctions, accusations démesurées, criminalisation de la contestation… Appeler désespérément à l’ordre et aller jusqu’à mentir ou déformer la réalité, n’est-ce pas le signe qu’ils n’ont rien d’autre à répondre à celles et ceux qui demandent simplement un futur un peu meilleur pour tout le monde, non asservi au système économique ? C’est que nous sommes sur la bonne voie. Alors, continuons !
Parce que nous sommes convaincu·e·s que ce projet de contre-réforme des retraites est profondément injuste, que celle du bac relève du même système, et que nous pensons que nos acquis sociaux sont notre bien commun, nous (enseignant·e·s) avons été nombreux·euses à participer ces dernières semaines à des actions de blocages, de perturbations… Suite à ces actions, plusieurs courriers ont été écrits par des recteurs d’académie, avec des menaces de sanctions administratives et pénales envers les enseignant·e·s qui y ont participé [1]. Un rappel à obéir, à « fonctionner ». À appliquer les directives sans se poser de questions sur leur intérêt public. Un appel à plus de fermeté, qui serait le « sel de toute vraie pédagogie » [2]. Des appels à dénoncer les collègues, même de façon préventive, susceptibles de participer à des perturbations. Moins directement lié au mouvement contre la réforme des retraites, un autre recteur (de Rennes) envoie un courrier qui demande de refuser aux mineurs en situation irrégulière d’assister aux stages et ateliers (même s’il a ensuite retiré sa circulaire, il n’empêche que ça ne l’a pas dérangé de l’écrire et de l’envoyer) [3]. Ensuite, il y a les proviseur·e·s qui cautionnent les coups de matraque et l’usage de lacrymogène sur des lycéen·ne·s qui bloquent leur lycée avec quelques poubelles [4]. Et d’autres encore qui s’associent pour écrire une tribune [5] qui tente de culpabiliser les enseignant·e·s les plus mobilisé·e·s.
Cela donne un premier aperçu de l’état d’esprit des gens qui dirigent l’Éducation nationale. Un état d’esprit peut-être galvanisé par l’augmentation récente de la prime annuelle des recteurs, qui peut s’élever à plus de 50 000€… [6]
Ils et elles nous appellent à l’obéissance comme un dernier recours, quand ils et elles n’ont plus d’autre argument à nous opposer pour nous faire avaler leurs réformes. Tout ceci doublé d’une floraison de mensonges dont le ministre, JM Blanquer, n’est pas en reste…
Il avait notamment promis une revalorisation de nos salaires afin de contrebalancer les centaines d’euros que nous perdrons chaque mois sur nos retraites ; la somme annoncée était déjà loin de couvrir ces pertes, et le Conseil d’État vient d’invalider cette possibilité. L’Éducation nationale n’hésite pas non plus à publier de faux chiffres de grévistes [7].
Concernant les E3C (épreuves anticipées du bac), il affirme qu’une minorité seulement s’y oppose [8]. Or, la Fcpe (Fédération nationale des parents d’élèves), tous les syndicats enseignants et l’Union nationale lycéenne ont demandé à minima le report des E3C [9] [10]. D’après les outils auto-organisés de recensement, au moins une centaine de lycées ont déjà dû reporter leurs E3C, et 349 établissements ont déjà pris des décisions collectives de résistance aux E3C [11].
M. Blanquer dénonce les « intentions politiques » des manifestant·e·s qui ont perturbé les épreuves.
Le recteur d’Aix Marseille accuse les collègues de transformer les salles de classe en réunions syndicales (mot qui sonne comme un gros mot dans sa bouche), de manipuler les élèves et les jeunes collègues en leur distribuant des tracts… Est-ce que ne rien leur expliquer, ne pas les faire réfléchir à ces questions fondamentales de société aurait été un choix moins politique ? On devrait redonner ici au « politique » son sens premier, à savoir « ce qui concerne le citoyen » ; question qui a toute sa place à l’École. Ces collègues auraient « perdu sagesse et courage », alors qu’ils risquent des sanctions pour défendre un monde un peu moins injuste et développer l’esprit critique de leurs élèves !!!
Le ministre va même jusqu’à nous accuser d’être des « ennemis de la démocratie », de vouloir créer du « mauvais climat » ; qu’il vienne voir nos AG, nos cortèges, nos fêtes de soutien, nos outils et médias auto-organisés : ce sont des modèles de démocratie horizontale, de solidarité, de respect, de joie. Sa démocratie à lui ? C’est le Parlement (largement acquis à LREM ), les médias (qui appartiennent à des hommes et femmes d’affaires), le droit de manifester pacifiquement (d’un point A à un point B, décidé par la police, et encadrée par celle-ci). Une démocratie où l’on peut faire une nuit de garde à vue pour porter un badge syndical à la sortie d’une manif, où des manifestant·e·s sont mutilé·e·s, où des êtres humains sont traité·e·s comme des parias parce qu’ils n’ont pas de papiers…
Il nous accuse d’avoir pour seul objectif de semer le désordre et la violence, ou d’incarner l’immobilisme et le conservatisme [12] : nous n’avons vu ces revendications dans aucun compte-rendu, et nous avons au contraire plein d’idées pour changer l’école ! Il va jusqu’à dire que si la police est violente, c’est la conséquence de la stratégie de « l’extrême gauche » ! Il ose même citer La Fontaine de façon erronée pour justifier ses mensonges : or, « quand on a un peu de culture » (pour reprendre son expression), on comprend que la fable de la poule aux œufs d’or ne dénonce absolument pas celles et ceux « qui veulent casser ce qui nous permet à tous de vivre », mais elle dénonce la cupidité individuelle.
Des mensonges encore sur des actions de perturbations qui auraient été « violentes », « indignes », « lamentables », des « actes de folie »… À propos des actions récentes de jets de manuels, il dit que c’est « nier la noblesse et la dignité de notre métier » (il oublie qu’en juin dernier, des milliers de manuels ont dû être jetés à cause de ses nouveaux programmes d’ailleurs fortement critiqués). Des mots honteusement démesurés quand on a assisté à ces actions, lors desquelles personne n’a été frappé·e ni blessé·e par des manifestant·e·s ! Si des enseignant·e·s participent à des blocages ou des occupations, c’est que cette « violence » (toute relative) est le moyen de se faire entendre qui vient naturellement quand on ne nous écoute pas. Nous ne sommes pas une minorité radicale et violente qui veut semer le chaos. Nous avons simplement acté que faire grève et manifester gentiment ne suffirait pas. Nous avons le courage de risquer des sanctions, de nous faire violenter par la police, pour la défense de nos biens communs, pour le futur de nos élèves, pour un mouvement social soutenu par des millions de personnes.
La minorité radicale et violente qui veut imposer son point de vue, ce n’est pas nous, c’est l’État !
Que ces gens-là nous donnent des leçons de morale et nous fassent passer pour de dangereux·euses semeur·euse·s de troubles est inacceptable !
Face à ces mensonges, à ces mots détournés de leurs sens, à ces appels à la délation, à la fermeté, à la répression, face au mépris de notre propre capacité à réfléchir, à faire nos choix et à agir pour les mettre en œuvre, nous n’avons qu’un seul choix : la résistance.
Partout, il faut se réunir, continuer de créer des liens entre nous, mais aussi interprofessionnels, redéfinir collectivement le sens et les enjeux sociétaux et politiques de notre métier. Plus nous serons nombreux·euses à participer aux actions, à sortir de la contestation « passive » et plus nous serons organisé·e·s, plus difficile ce sera pour eux de nous menacer et nous sanctionner, et plus nous pourrons mettre en échec la destruction de nos biens communs, et construire ensemble une école plus juste, plus émancipatrice, qui porte une autre ambition que de faire de nos élèves de futur·e·s esclaves du système économique. Il faut que les enseignant·e·s assument le pouvoir qu’ils et elles peuvent avoir dans la transformation de la société. Intensifier notre lutte, c’est renforcer notre démocratie !
Des enseignant·e·s en lutte