La « brutalité » du film a capté, emporté, repoussé, mis mal à l’aise beaucoup de personnes. Il s’agit d’un effet de détournement : on reste fixé sur l’image comme dans un trauma. Tel est l’objectif : jouer sur le pulsionnel immédiat et mécanique pour faire passer en douce une idéologie redoutable et redoutablement bien huilée. Le tour de passe passe hollywoodien consiste à nier le réel d’une insurrection en le remplaçant par une fiction violente sans épaisseur et quasi nihiliste, au sens où tous les protagonistes obéissent à un schéma de profit et de domination qui mène à l’autodestruction. Ce phénomène classique d’inversion accusatoire nous en dit beaucoup sur l’imaginaire terrifiée et la sale ambiance qui règnent à Hollywood. Je propose ici de passer cette première émotion pour entrer dans les arcanes du Système de Pouvoir qui fait de l’art et des artistes de la monnaie vivante, des insurrections et des insurgés une manifestation chaotique des valeurs dominantes, et de l’ailleurs une possibilité condamnée par avance.
Nous nous sommes réunis avec mes amis qui n’ont pas apprécié le film. La démocratie a réussi ce coup de force de créer une ambiance intérieure de tabous et de dictature beaucoup plus efficace que les autoritarismes old shool ; on a donné à cette nouvelle morale le doux nom évocateur de « politiquement correct ». En tous cas, une fois les langues déliées de leurs peurs, plein de débats passionnants sont venus. Je les ai rassemblés sous forme de 8 thèmes.
Avant de vous présenter les thèmes, pour celles et ceux qui n’ont pas vu le film ou qui ne souhaitent pas le voir, je vous donne un petit résumé. Les rats envahissent la ville à cause d’une grève des éboueurs, signe du mécontentement grandissant de la population paupérisée. Dans cette atmosphère délétère, un pauvre type psychotique pharmaco-dépendant s’occupe de sa mère, elle aussi psychotique. Sa maladie à lui : un rire nerveux qui le prend quand il n’est pas bien. Pour gagner un peu d’argent, il travaille comme clown rabatteur. Il se fait humilier par un peu tout le monde : des jeunes noirs et latinos apparement précarisés, au travail, des gosses de riches. II finit par buter ces derniers à coups de flingue. Mais pendant ce temps, il découvre qu’il est le fils renié de l’homme le plus riche de la famille la plus riche du monde : les Wayne. Il va voir son père et le fils de celui-ci. Il est de nouveau rejeté. Mais pas de chance, après avoir fait des recherches, il découvre que sa mère a probablement déliré sur ses origines et qu’il n’est qu’un pauvre type ; bien pauvre. Viré de son travail, et hallucinant une histoire d’amour qui n’existe pas, il s’essaye en tant que comique, son rêve d’enfant depuis toujours. Il est remarqué par une star de l’humour qui l’invite à son plateau télé comme faire valoir. Il y va avec émotion, car il est fan de ce comique. Mais par vengeance suite à toutes ses humiliations, il le bute à coup de révolver. Cela donne l’étincelle et l’émeute rampante éclate dans la ville, les émeutiers se grimant à l’image du Joker. La ville est bien saccagée, le père super riche et sa dame sont assassinés. Le Joker se retrouve en hôpital psychiatrique et, après avoir essayé de tuer un des membres de la clinique, courre dans l’hôpital en riant.
Je rappelle que le Joker est un personnage très ancien qui prend plusieurs visages. Dans les cartes il peut se substituer à toutes les figures. Dans la commedia dell’arte il est le gros frustré d’ Arlequin. Puis il fait son apparition dans « l’homme qui rit » de V.Hugo où il est un enfant à qui on a greffé un sourire éternel. Il continue sa route dans les comics en tant que grand ennemi de Batman. Dans notre période insurrectionnelle, il tombe à pic : si j’ai bien compris, selon le fameux consensus, le Joker incarnerait le crevard qui, suivi par tous les autres crevards, se révolte spontanément, quoique peut-être un peu brutalement, contre l’injustice des riches, voire du monde. Un film hollywoodien qui défend les pauvres et la Révolution ! Du jamais vu. Ce que nous avons vu mes amis et moi-même, c’est plutôt un Joker qui, incarnant la frustration universelle, va permettre à Hollywood de dresser un portrait magistral de l’émeutier : envieux, sale, névrosé bas de gamme, victime, individualiste, vengeur, irréaliste, ennuyeux. En deux mots, quelqu’un à qui on a envie de faire confiance et avec qui on descend, coude à coude, dans la rue, pour changer les choses en mieux…
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Voici les 8 thèmes qui sont ressortis de nos conversations amicales et à travers lesquels on voit se dessiner la figure infâme de l’insurgé selon Hollywood.
ENVIEUX : Pour ceux qui ne connaissent pas l’histoire du Joker, il faut savoir que son origine est toujours nimbée de mystères. Et pour cause, la multiplicité d’origines possibles fait partie du personnage : ne venant de nulle part, il peut venir de partout. Par exemple dans la version filmique « The Dark Knight », chaque fois qu’on lui demande le récit de son enfance, il donne une version différente. Il transcende les catégories morales. Il est aussi insaisissable que réel. Il est provocateur et inquiétant. Dans cette version pas du tout : le Joker a une histoire bien définie et il s’y accroche comme un beau diable. C’est sa quête spirituelle. Je vous le donne en mille : à quoi rêve un pauvre, fou, inconnu, humilié ? Il rêve d’être riche, intelligent, reconnu, dominateur ! Le Joker se rêve être le fils de Wayne, cette famille qui incarne tous les mythes. La trame idéologique c’est la préservation de tous les mythes de l’« American way of life » : « l’homme est un loup pour l’homme », « self made man », « que le meilleur gagne », « l’adaptation à la concurrence », « yes we can » … dès fois qu’on aurait oublié qu’un riche c’est un pauvre qui a réussit, et que l’argent c’est ce qu’il y a de mieux au monde. Y-a qu’à regarder les billets verts : c’est au-dessus de Dieu. Mdr. Dès l’origine, le Joker n’est pas un contestataire : il est un envieux. Il veut ce qu’il n’a pas, ce qu’on lui refuse et qu’on lui montre tout le temps. Il rêve d’être calife à la place place du calife. Il rêve d’une insurrection de l’envie, de la concupiscence, de la revanche, de l’ego humilié. Cela concorde avec ce qu’on disait des Gilets Jaunes : ce sont juste des abrutis qui veulent du pognon pour consommer. Tout ça pour du gasoil. Bonjour l’empreinte carbone. C’est sûr : ils rêvent de construire des piscines et de bouffer des langoustes à l’Élysée. On voit bien que nos révolutionnaires d’Hollywood ne connaissent ni la survie, ni le prix des trajets en voitures pour taffer comme un esclave dans les méandres de la flexibilité du travail qui tue votre vie privée. Et surtout ils ne connaissent pas ce qui peut émerger d’une insurrection : la solidarité qui monte des ronds points, les rencontres réelles, le nouveau sens à la vie, la prise de conscience de la violence organisée de l’État pour couvrir le braquage que la finance opère avec un bras d’honneur. Dans leur immense addiction aux biens matériels, cette classe « supérieure » ne peut qu’imaginer des Gilets Jaunes voulant tout s’accaparer. Ils sont incapables de se figurer qu’on serait bien content d’avoir juste de quoi manger, se chauffer, se loger, s’habiller, se déplacer, avoir le temps de se reposer et de s’aimer, et qu’on laisserait volontiers ces bonnes gens se noyer dans leurs piscines avec une indigestion de langoustes. Personne ne souhaite être pris dans leurs affres de la reconnaissance et de la concurrence, l’enfer de leur perte de sens et leurs mensonges déliquescents pour alimenter la bonne conscience. On a escamoté cette réalité pour faire rentrer le clown ravageur de la lucidité dans le costume pitoyable de la grande tradition hollywoodienne servant l’idéologie « upper class » : on avait l’asiatique pervers, l’indien sauvage, le noir méchant, le musulman fanatique … voici notre nouveau cliché grandiose : l’insurgé frustré qui rêve d’être riche ; et accrochez-vous : il ne comprend rien mais il va tout péter !
SALES : Le film commence par la grève des éboueurs provoquant une invasion de rats. Cela se transforme progressivement en une remontée des misérables. Certes il est impossible de savoir à l’avance la cause d’un soulèvement réel, mais on retrouve toujours au moins un ingrédient économique et/ou symbolique. La Révolution est partie suite à la hausse de la farine de pain : ingrédient économique, mais aussi symbolique en tant que nourriture du pauvre. On a connu des soulèvements dans les banlieues en France dus à la mort d’une seule personne, devenue le symbole d’un état des lieux et d’une forme de résistance. Les Gilets Jaunes sont sortis pour l’essence comme élément économique, mais aussi symbolique en ce que le pétrole représente un des plus grands symboles des politiques néolibérales menées avec un mépris sans limite. Toute la stratégie du gouvernement consiste d’ailleurs à faire dévier le débat de l’oppression financière mondiale vers celui du climat, de l’islamophobie, des violences faites aux femmes, en dissimulant le lien entre toutes ces réalités qui s’appelle croissance, domination et profit. Mieux vaut une récupération et une fragmentation des luttes qu’une mise en perspective globale qui mettrait à nu le Système de Pouvoir (on attend avec curiosité la prochaine façade que les organismes de com vont mettre en exergue. Perso je parie sur une « marche contre la faim » ou « contre le handicap »). Que je sache, il est rare que de réels soulèvements viennent de la gestion des ordures et de l’invasion de rats ; on voit plutôt une accoutumance à la saleté et des flux migratoires vers des zones non infestées. Ce départ « insurrectionnel » dénote plutôt une obsession très particulière à la fois liée à une classe sociale et à notre époque : l’idéologie de l’hygiène. Notre système tourne autour d’une valeur obsessionnelle : le bien c’est le propre, le pire c’est le sale. Et de là un mécanisme en trois temps sortant directement d’un imaginaire projectif bourgeois : 1) Cause d’une émeute : si ça devient sale, alors ça vaut le coup de se révolter (le tri sélectif n’ayant pas suffit). 2) Identification des insurgés aux rats qui surgissent des souterrains nauséabonds d’une ville malade. 3) Association inconsciente et viscérale : « ça pue : attention c’est l’insurrection qui vient ! »
NEVROSE BAS DE GAMME : Le Joker, le vrai, n’est pas pharmaco-dépendant, au contraire : il est clairvoyant. Il dévoile les racines du désordre total qui agissent au coeur de la civilisation. C’est un prophète de l’apocalypse. Fidèle à son entreprise de falsification du réel, Hollywood nous propose un pauvre hère halluciné vivotant sous antidépresseurs. Ca part d’un mauvais pied : les médicaments nous font entrer dans le domaine de la psychopathologie et non dans celui de la folie rationnelle qui détruit l’existence. Cette folie, qu’on ne voit plus à force de banalité, et que le Joker est censé mettre à nue avec panache et cruauté. Avec le vrai Joker on est sur le plan concret de la folie quotidienne et meurtrière. Avec Hollywood-Joker, on passe sur le plan d’une pathologie sérieuse mais non troublante, et à peine réaliste pour qui travaille avec les dits « psychotiques ». Mais cela aurait pu se rattraper si le Joker s’était révélé un génie du mal. Encore raté ! Ni génie, ni méchant ! Comme dit un des mes amis : « Ce Joker n’est pas à la hauteur de ma névrose ». En effet cette psychose normale ne s’en prend pas aux innocents. Par la mansuétude hollywoodienne, sont sauvés la voisine, son enfant ainsi que le nain. Mais depuis quand le Joker épargne les gentilles voisines, les enfants et les nains ? C’est pourtant les seuls moments où, tremblant (un peu), on s’est tous dit : « Aie aie aie ça va être horrible, cette fois il va vraiment faire un sale coup ». Pas du tout : le Joker c’est le bon samaritain ! Les évangélistes sont passés par là. Et aussi le bon goût : surtout ne rien montrer de direct, mais laisser imaginer le spectateur… l’Art de l’évocation … le nec plus ultra. La morale et le bon goût n’ont jamais fait de bons films, ni rien de bon nulle part d’ailleurs. Encore un moment de subversion bien esquivée ! Monsieur Désobéissance très civile et Madame Politiquement très correcte ont fini d’émasculer notre anti-héros qui devient un pauvre type à qui il reste quand même des valeurs fondamentales. Il serait presque bien élevé s’il n’était pas aussi agité. C’est ainsi que le fameux rire du joker qui incarnait la décadence du monde, l’orchestration de la faillite morale des civilisations et l’essence du chaos, se transforme en un toc ennuyeux d’un psychotique qui panique à la moindre mise en relation avec un autre. Cela ne pouvait se terminer que par un retour à l’Hôpital psychiatrique. On peut bien comprendre le malheur, mais on ne peut justifier le crime : camisole chimique. Surgit alors la très sérieuse question existentielle de notre film : médoc ou pas médocs ?
VICTIMES : On découvre un Joker presqu’attendrissant, qui ne comprend rien à ce qui lui arrive, et qui est un peu heureux quand une foule porte son maquillage : enfin reconnu ! On voit s’édifier, avec tous les poncifs accumulés, une victime. Victime de son passé, d’une mère folle, d’un père absent, d’un système inique, du travail, des blancs, des noirs, et j’en passe … L’identification marche à plein régime : « On est tous des victimes ! Si on ne fait rien pour nous, on va tout casser ! ». Tout casser ça reste à prouver. En revanche la victimisation est le discours audible par excellence. Dites que vous êtes une victime et vous serez relayés par les médias main stream. En revanche soyez précis dans la dénonciation d’un système d’exploitation, tentez de vivre autrement à plusieurs, révoltez-vous en conscience par tous les moyens, alors ces mêmes médias et la police d’État vous tomberont dessus. Faire la victime c’est adouber le système. C’est demander au pouvoir d’être clément, de comprendre, d’écouter et de faire quelque chose pour nous. C’est encore reconnaitre au pouvoir une légitimité et s’en remettre à lui. C’est une dernière supplication. En deux mots c’est s’infantiliser. La victime c’est l’enfant traumatisé en nous qui rêve d’un être qui le secoure. A la rigueur on pourrait l’espérer d’un proche qui nous aime ; mais d’un État libéral en pleine monomanie du profit, qui a une calculette à la place du cerveau et qui s’est coupé depuis longtemps de toute empathie… on a envie d’éclater de rire tellement c’est à côté de la plaque. Heureusement, il faut avouer que ça commence à être difficile de croire en cette publicité que je voyais sur les murs : « Vous êtes entre de bonnes mains : la banque vous veut du bien ». MDR. Même ma fille de 5 ans quand elle entend des pubs bancaires au cinéma se retourne vers moi pour me confier : « Mais papa ils disent n’importe quoi ». Le Joker lui pourrait y croire encore… on oscille entre la compassion et le désarroi. Deux destins pour celui ou celle qui croit au mirage : soit on finit par entrer dans le système de pouvoir et on devient un gardien, soit on se contente d’un peu de charité octroyée par ce sytème pour la bonne conscience et la paix sociale… de manière à ce que les impôts publiques continuent de remplir les coffres des banques privées. Il fallait s’en douter, Hollywood a merveilleusement opérer le Joker : il s’est transformé en Coker.
INDIVIDUALISTES : Sans surprise, les insurgés décérébrés mais pas contents, vont porter ce grand message qui nous parle à tous, il faut bien l’avouer : « Y’en a marre ! » Derrière cette spontanéité toute lumineuse, la CIA de l’imaginaire place les pions : l’envie, les frustrations, l’effort pour être propre, le désir d’être reconnu. Au fond ces insurgés, qui ne remettent pas en cause le système, veulent aussi leur part du gâteau, l’ascenseur social, le succès. On a là, sur l’écran, une révolte paradoxale d’un ensemble d’individus qui se retrouve, presque par hasard, mais certainement chacun pour sa pomme. On est très loin d’une idée communale, anarchiste, amicale ou d’une simple reconnaissance mutuelle. C’est ainsi que les médias s’en donnent à coeur joie dans le discrédit des Gilets Jaunes : une bande d’individualistes qui ne pense qu’à consommer, tandis que les « jeunes » du climat penseraient à tous. On passe sous silence que cet élan spontané rapproche les personnes, que ce rapprochement sur le terrain qui brasse les idées et les histoires et s’essaye la convergence, est ce qui fait peur au pouvoir, tandis que Greta applaudit le matin à l’ONU donne une caution pour l’après-midi : dans les même locaux, on peut passer avec un clin d’oeil entendu, les traités de libre-échange. Et on ré-applaudit.
VENGEURS : Devant autant d’injustice, d’impuissance et d’incompréhension, il naît en nous un sentiment de rage. Oeil pour oeil dent pour dent. C’est ce que dit l’assassin des riches Wayne : « vous l’avez mérité ». Une pierre de plus à l’édifice du cliché : l’insurgé plein de ressentiment ne pense qu’à se venger. Mais la vengeance est toujours excessive. Elle finit par faire peur : il faut la mater. Cela s’appelle justice. Le grand classique de Hollywood. La base même. Les indiens sont sauvages : regardez comment ils scalpent et massacrent d’innocentes familles. C’est vrai c’est horrible. On se dresse pour nos familles, on fait preuve d’héroïsme, on porte le bras vengeur sur les chefs à plumes au sourire sanguinaire. Mais tiens, au fait, pourquoi est-ce qu’ils attaquent le fort ? On les aurait pas expropriés, esclavagisés, massacrés façon génocide. La cause n’a pas d’importance. Ils ont exagéré un point c’est tout. Que justice soit faite. Même excessive la justice a toujours raison. C’est son droit, c’est la Loi, c’est l’État de Droit. Pour tous ceux qui ont suivi de près ou de loin une insurrection, on sait très bien que sur le terrain, c’est la police qui amène le chaos, que l’appareil judiciaire obéit aux dominants, que les médias désorganisent les mentalités, que les représentants de l’État sont prêts à imposer leur ordre financier à n’importe quel prix et à se venger sans scrupules, et avec une forme de jouissance, de toutes déviances. Bref : en vrai ce sont les cow-boys qui massacrent les indiens.
Au fond ces insurgés me rappellent plutôt ces jeunes devenus déments, pas seulement aux USA, qui se mettent à mitrailler dans leurs lycées et sur les places publiques. Une décharge désorientée qui brule tout. Sans doute s’agit-il plus d’un film auto-référencé à propos du burn-out rampant des acteurs et producteurs d’Hollywood ; et de leurs fantasmes de tout faire sauter.
IRREALISTES : Mais non. Il n’y aura pas d’incendie à Hollywood. Non, non, non. Rêver les incendies… projetez vos fantasmes sur l’écran sous forme d’insurgés.. c’est une bonne décharge… du moment que vous continuez à vous bouffer entre vous, que vous croyez en votre monde déconnecté, et surtout : que vous faites entrer du flouze ! Hollywood rêve, et nous fait rêver, que l’on peut se rebeller sans rien comprendre, que la sauce prendra en respectant le catéchisme de l’individualisme, de la victimisation et de l’envie, que l’État sera débordé, que les méchants seront punis, qu’on sera aimé, et comme dit Florent Pagny : « Que la vie est belle » (avec plein d’argent). Du rêve. C’est à cela que carbure ce type de cinéma. On sait ce que cela recouvre : on met en scène l’exact contraire de la réalité pour nous faire rêver, c’est à dire pour nous dévier de l’essentiel et nous décentrer nous-mêmes. Fantasmons l’impossible de manière à rester coincé dans notre tête comme au cinema, alors qu’il faudrait faire de chez soi, de notre tête et de nos relations un rond point. Et ça marche. Forcément on vibre de pouvoir se venger et de renverser un pouvoir inique dont on est exclu. Mais voilà, tant que l’on ne passe pas sur le terrain, c’est du rêve. Et le rêve c’est parfait pour ne rien faire, à part faire de la frustration une masturbation jusqu’à parfois péter un câble et menacer ses voisins de palier. Cette vision complément irréaliste, elle est énorme quand le Joker bute le présentateur humoriste à la télé. Ah c’est sur : c’est jouissif. Ca répond à une première pulsion tout à fait saine devant la bêtise et la compromission de ce genre de personnage télévisuel. Mais on sait très bien que ça ne se passe pas comme ça. « Bonjour je suis le Joker grimé complètement débile et psychotique, avec un gros gun dans mon pantalon, et je vais buter la super star devant toutes les télés » Just do it ! oui bien sur. Un peu d’audace, un peu de voix, beaucoup de répondant genre « je suis intelligent, j’ai pigé le système, je vais le détruire de l’intérieur », et c’est parti : la prochaine star c’est toi ! Comme dit le gardien de prison au prisonnier qui rêve d’évasion : « Tu peux toujours rêver ».
ENNUYEUX : Et bien au final cela fait un insurgé aussi ennuyeux que le film : prévisible, balisé attendu. La musique ? Sans bavure : on joue « secure ». Les plans ? Parfaitement maitrisés, la pub ne fait mieux. Le déroulement du film ? Faut tenir le rythme, parce que le Joker il est quand même super cool : s’en prendre autant plein la gueule avant de réagir, chapeau bas. Les dialogues ? Après avoir tuer le présentateur, on attendait la super tirade devant les télévisions. Même pas : « Breaking news » : on lui coupe le sifflet. Un peu tard un peu tôt. Cohérent au fond : rien à dire. L’acteur ? Clap clap clap bravo l’acteur. Il fallait bien faire passer la misère idéologique sous une performance « Actor Studio », dès fois qu’on aurait oublié que le cinéma c’est d’abord un « moi » qui doit occuper tout l’écran. Et l’art ? Ah oui merde j’ai failli oublier. Au moins il faut reconnaître, une fois les manipulations décryptées, que le message est clair : l’art un acte contre-insurrectionnel.
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Et voilà notre film porté aux nues et primés un peu partout… ah … l’enthousiasme sincère des institutions pour la subversion… Quoiqu’il en soit, on peut facilement imaginer nos artistes d’Hollywood se peindre en jo-coker en rigolant, mais plus difficilement se vêtir avec conscience d’un gilet jaune : ils se feraient virer illico presto.