“Je me sens bouillir à l’intérieur, comme si j’allais exploser” Témoignage d’un retenu au CRA de Mesnil-Amelot (77) (+repas Cantine des Pyrénées ce dimanche 12)

| A bas les CRA

Nous relayons ici le témoignage d’un retenu au CRA du Mesnil-Amelot prisonnier depuis 46 jours. Il entamait hier la deuxième moitié de sa période d’enfermement, sachant très bien dès maintenant qu’il ira jusqu’aux 90 jours devenus légaux et habituels depuis 2018 (loi Asile et immigration).
Autrement on vous rappelle le repas de soutien à l’Assemblée anti-CRA, c’est ce dimanche 12 janvier à la Cantine des Pyrénées !

Je vais faire 90 jours, j’en suis à 42.

Je suis un peu… Comment dirais-je… J’ai eu une longue peine, de 98 à… Jusqu’à là, il y a 42 jours. Donc de 98 jusqu’à maintenant.

Mon problème c’est de rester ici, je veux rentrer, mais le consul maintenant il ne veut pas donner de laissez-passer. Bon, j’ai une attache ici, j’ai un fils qui est grand, qui est marié. Ma seule attache c’est mon fils ici.

Ils me laissent pas rentrer et je sais que je vais rester ici. Et ces 3 mois c’est comme… Il s’est passé 22 ans et ces 3 mois-là ils sont… C’est les plus durs. C’est les plus durs parce qu’ici c’est… Qu’est-ce que je peux dire… Je sais pas, je peux pas vous la définir comme ça… C’est vraiment… Ça fait 42 jours que j’ai pas pu voir mon visage déjà. Il y a pas de glace, il y a rien du tout. Tout est dégueulasse, tout est… Je sais pas, sale. Je sais pas vous définir…

Il faut toujours aller à la fouille pour quoi que ce soit. Pour se couper les ongles, il faut aller à la fouille ! On peut pas avoir de coupe-ongle ici. Je sais pas vraiment c’est difficile d’expliquer, ça paraît pas grand-chose là, mais… Je saurai pas dire exactement… Bref mon malheur c’est d’être dans un centre de rétention parce que moi je croyais rentrer à la sortie de prison, mais non ils m’ont amené ici. Même là-bas je crois que je serai en centre de rétention en Algérie. Mais je sais pas pour l’instant.

Après il y a les flics il y en a certains ça va, mais il y en a certains c’est des vraiment nazis, pire que des nazis, aucun respect. C’est la façon dont ils parlent, la façon dont ils… Il y a eu une altercation ici avec une surveillante, je l’ai mal pris et… C’est la façon dont ils nous appellent, je sais pas je décris pas je peux pas décrire ça c’est vraiment… Certains ils sont corrects et certains ils sont… racistes. Il y en a qui… je peux pas vous décrire, des fois j’ai envie de crier, des fois j’ai envie de hurler, mais… je m’abstiens, j’me dis non il faut pas euh… Si j’me les mets à dos… Je reste toujours un peu à l’écart de tout le monde et comme ici il y a que des jeunes et moi je suis âgé, je suis obligé de m’éloigner.
Ils me gardent ici alors que je partirais pas et ils le savent déjà. Parfois le policier il me dit « tu vas aller à 90 toi, pas le choix ».

On est là, c’est un camp de concentration ici. Je te raconte ça je me sens bouillir à l’intérieur, comme si j’allais exploser. Des fois, on pense à des trucs, je peux même pas le dire ici.

C’est une double peine, j’ai pas vu la liberté depuis… J’ai vu que le fourgon de gendarmes qui m’a ramené ici. Je me servais pas du téléphone en prison. Que pour appeler mes petits-enfants, la famille quoi, mais sinon rien. Et là je dois me servir d’un téléphone et j’ai un peu du mal à m’en servir, je connais pas, j’essaye d’apprendre.

Il m’a donné 28 jours, je lui dit « Mais vous êtes le juge vous avez les lois, vous avez des textes de loi normalement vous devriez pas me mettre dans un centre de rétention. Vous devez me mettre, à la limite, en résidence surveillée, ce que je veux c’est rentrer chez moi. » J’ai déchiré le papier, j’ai pas signé, je lui ai dit : « Non je ne reconnais pas ce jugement. »
Une semaine après encore il m’a envoyé pour passer au tribunal administratif. J’ai accepté d’y aller, mais deux jours après j’ai reçu un document avec écrit « RADIÉ ».
Qu’est-ce que ça veut dire ça ? J’ai demandé à une personne à la Cimade. On peut radier un cadre, un avocat du barreau, mais là radié qu’est-ce que ça veut dire ?
Après elle m’a expliqué, elle m’a dit « Votre cas, il est un peu spécial » et depuis j’attends. Ils m’ont dit que je dois attendre pour repasser au tribunal, pour savoir sur quoi ils auront statué et… Pour l’instant j’attends… La Cimade elle fait rien pour moi. Mais je crois qu’elle peut rien faire en fait.

[…]

Ça a coupé

[…]

Mais ici les conditions… Surtout les conditions des femmes. C’est pénible ici les conditions des femmes. On les voit parce qu’il y a que le grillage qui nous sépare des femmes.
Alors quand on sort, prendre un café ou quoi que ce soit, on voit des femmes qui sont démunies, rien du tout, pas d’argent, rien du tout. Des femmes des fois dans des états catastrophiques, et ça me fait mal au cœur. Il y a des femmes qui ont même des enfants ici, d’autres qui sont séparées de leurs enfants. Quand je leur parle, c’est émouvant de voir leur situation. Il y a beaucoup de femmes d’Asie et surtout beaucoup de femmes d’Europe de l’Est. De temps en temps on discute, on s’offre des cafés à travers la grille. On peut pas toujours parler parce qu’elles parlent pas toujours français alors on baragouine. Elles sont géorgiennes parfois, mais heureusement il y a des Géorgiens ici qui parlent avec elles. Les enfants on les voit jamais, ils restent toujours dans leur centre. Mais il y en a une qui vient d’accoucher. Il y a 3 ou 4 jours qu’elle a accouché. Ils lui ont ramené le bébé hier.

Ici, les grèves de la faim c’est pas possible, vous allez manger, vous allez pas manger, ils s’en foutent. Moi je mange rien. Je suis pas allé au réfectoire, jamais, j’arrive pas à manger. C’est rare et difficile, mais parfois des jeunes arrivent à passer la fouille pour rapporter un morceau de pain ou du fromage, mais j’y arrive pas. Il faut se rendre compte : on peut rien apporter depuis le réfectoire. Je suis allé voir le médecin une fois, il m’a dit « il y a rien, mais on va vous faire voir le psychiatre. » « Mais j’ai pas besoin de voir un psychiatre ! » Il m’a dit : « Ben oui ! Il pourra vous donner un petit cachet. » Parce qu’ici tout le monde prend des cachets, tout le monde va à l’infirmerie. Si vous les voyiez, on dirait des zombies. Des zombies. Des fois je parle avec eux, je leur dis, mais pourquoi vous prenez ça il faut pas prendre ces cachets. Mais ici, s’ils peuvent vous endormir, ils vous endorment. Pour pas vous entendre.

Après il y a les vols cachés, ils en ont pris un il y a deux jours, je crois. Il y en a souvent. Nous, on est un petit groupe au centre et un jour ils ont pris un de nous et c’était fini pour lui : vol caché. Ils l’ont emmené, vol caché. Ici on peut pas lutter collectivement ici. Des fois, je parle aux autres et je leur dis qu’il faut lutter collectivement, mais ça vient pas, on est trop divisés. Ou alors moi je suis souvent à l’écart et je sais pas. Des vols cachés il y en a plein… Il y a un gars qui a fait 90 jours et, ce jour-là les flics ils ont décidé : l’heure à laquelle vous êtes arrivés au CRA sera l’heure à laquelle vous sortirez pour que ça fasse bien 90 jours. Il lui restait 5h pour qu’il puisse être libéré, eh ben ils l’ont saucissonné, ils l’ont amené : vol caché.

Sinon il y a même pas une quinzaine de jours, ils ont expulsé 35 Géorgiens. Il y a un avion qui est venu depuis la Géorgie avec la police géorgienne à l’intérieur. Ils en ont pris 4 d’ici et les autres depuis d’autres centres de rétention.

Faut tenir jusqu’au bout et même au bout il y a rien de sûr. Mais bon, on est obligés de tenir. Mais moi je fais face à ça. Pendant 22 ans, ils m’ont pas détruit, c’est pas maintenant que… Mais il y a de la pression ici, franchement j’ai été dans un milieu carcéral, mais ici c’est… Des fois, vous avez envie de sauter sur quelqu’un, de l’attraper à la gorge, mais je m’dis oh à quoi je pense là… Et qu’est-ce que tu veux faire, ils sont en nombre dès qu’il y a une altercation, ils sortent à 15 ou 20. On peut rien y faire… Pfff. Il faudrait que l’extérieur puisse voir des images d’ici…

Bon allez je vous souhaite une bonne soirée allez, ciao.

À bas les CRA !
À bas l’enfermement !

Pour continuer la lutte :
Repas de soutien à l’Assemblée anti-CRA (centre de rétention administrative), c’est ce dimanche 12 janvier à la Cantine des Pyrénées !

Venez participer, venez soutenir, venez manger

Nous comptons sur votre solidarité et votre appétit à l’occasion de ce repas.

Les dons à destination des retenus (cigarettes, cartes SIM, téléphones ou recharges Lycamobile) sont également les bienvenus.

Localisation : 20e arrondissement

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