Je bloque, tu bloques, nous bloquons…

La lutte ne prend pas de vacances. Et elle se transporte en train s’il y en a. En face, la détermination au saccage ne nous attendra pas, elle est prête, sourde et froide. Aux mensonges et scandales d’État qui se succèdent comme une routine, on fait du mépris la langue politique officielle.
Établissons nos routines à nous. Bloquons, montons d’un cran. Bloquons régulièrement.

Au sommet de l’État, on est aussi décomplexé que prêt à s’obstiner.

On oublie avoir gagné 140 000 euros, on s’apprête à passer le vortex de la justice des puissants quand certains d’entre nous comparaissent immédiatement pour tellement moins. On est bénévole à 5 000 euros par mois, mais c’est nous qui ne comprenons pas les mots qui sortent de leurs bouches bien nourries. On nous jette 1 000 euros d’obole pour une vie entière à trimer et cette garantie sous le seuil de pauvreté nous est présentée comme un gain. Cette réforme est si parfaite qu’elle ne concernera pas les sénateurs, les forces de l’ordre et les militaires.
Et nos rémunérations sont si décentes que nos gouvernants peuvent augmenter les leurs ainsi que celles, décuplées de façon accélérée, de l’économie virtuelle et du grand patronat qui prouvent jour après jour leurs vertus. Ils travaillent sans doute au ruissellement dont nous profiterons peut-être, un jour, quand la « crise » de 40 ans sera finie. La crise vieillira autant que vivra notre résignation à accepter l’inacceptable. Notre colère de plus en plus vive est encore contenue.

Mais osons encore nous scandaliser, cessons de banaliser ce qui est intolérable et qui écorne par tous les bouts l’idée même de démocratie.
Pour remplacer le énième escroc en charge de nos retraites, on embauche un monstre prêt à vous sacrifier, petite employée de pacotille, pour une erreur de 80 centimes. Que l’on découvre que celui à peine nommé a été rémunéré alors que déjà député n’a que peu d’importance finalement, plus c’est gros et plus ça passe.

Non, les voyous sont ceux qui cassent des vitres quand eux nous broient, ce sont ceux qui ne sortent dans la rue que pour défendre des acquis qu’on veut tout bonnement leur voler, ce sont les syndicats qui coupent l’électricité et qui refusent de s’asseoir à la table de la régression, et ce sont ces jeunes qui veulent imaginer encore possible que quand viendra leur tour, ils ne mourront pas au travail…
Contre eux, au moins une autorité aveugle qui bascule de plus en plus souvent dans la violence répressive et disproportionnée. Pour les petits et non armés, pas de pitié.
Assa Traoré est immédiatement inquiétée pour avoir nommé ceux qu’elle désigne comme assassins de son frère… quand ceux qu’elle désigne comme assassins de son frère ne le sont toujours pas.
En franchissant le seuil d’un commissariat, une femme sait qu’elle n’aura que peu de chance d’avoir gain de cause contre son conjoint violent et qu’on la remettra probablement dans ses bras.
Les gamins sont violentés aux abords de leurs bahuts bloqués, subissent coups, gaz, insultes racistes et arrestations.
Au pire, nous pouvons aussi perdre une main ou un œil, grâce à des armes plusieurs fois condamnées. Le peuple est devenu l’ennemi et il peut être victime d’une guerre qu’il n’a pas demandée.
Mais à minima, nous avons déjà accepté que la police nous empêche d’entrer dans les cortèges ou d’en sortir où nous voulons, et qu’elle saucissonne et nasse les manifs à dessein. Nous devons ensuite faire des détours de kilomètres pour circuler à nouveau librement… mais pour sortir du très large périmètre de gyrophares, on exige de nous que nous retirions nos autocollants.
Chasse au voile contre les unes, chasse à la conscience et à l’opinion libre contre tous.

Et la rue elle est à qui ? Elle est à NOUS !

Il ne suffit pas de le scander. L’espace public se rétrécit, la liberté s’amenuise, il faut les reprendre.

La grève, massive, amplifiée et étendue est une nécessité absolue. La grève doit être une contagion et passer la trêve des confiseurs. Il n’y a pas de trêve, en face ils sont prêts. L’outil médiatique maintes fois pris dans des manipulations éhontées est en marche. Ne leur laissons pas gagner du terrain. Sortons de nos tranchées mortifères où nous restons sur la défensive et allons à la conquête. Gagnons sur les retraites et continuons d’avancer.

À tous ceux qui le peuvent, grévistes ou pas, rejoignez les blocages. Dépôts RATP, sites stratégiques comme nous l’avons fait cette nuit au marché international de Rungis. Soutenons les mobilisations ancrées et propageons-les autant que nous le pouvons autour de nous.
Disons aux gens que les intérêts de 90 % d’entre nous convergent. Le tiers état avait dit non à l’Ancien Régime, disons non au Nouveau, testament des privilégiés modernes en col blanc.

Autour des feux de palettes se côtoient des conducteurs, des enseignants, des cheminots, des hospitaliers et quelques-uns du privé… On ne se connaît pas bien, mais on apprend, en se serrant les coudes sous la pluie.

À Rungis, malgré les fuites qui ont permis le déploiement d’un cordon de CRS insuffisant, nous avons bloqué jusqu’à près de 3h du matin l’entrée principale des camions. Plusieurs centaines de personnes issues de professions diverses et variées avaient prévu de sacrifier leur nuit, comme ils sacrifient leurs salaires pour effacer l’horizon de la misère qu’on leur promet.

Concrètement, il faut se renseigner, se mettre en contact, aller aux AG des uns et des autres, tracter ensemble, créer des boucles de mail, organiser des temps forts et des opérations coups de poing… Il n’y a qu’en montrant les crocs qu’ils trembleront. Notre résignation coupable peut être lourde pour nous, nos enfants et ceux d’après, si nous ne relevons pas la tête aujourd’hui.

Bloquons le pays.

Localisation : Rungis

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