Note du traducteur·ice : cet article est la traduction d’un article paru en allemand sur le site ruestungsindustrie.noblogs.org. Bien qu’il s’inscrive dans le contexte de l’Allemagne, il a été traduit dans l’idée de servir d’inspiration à des recherches similaires dans d’autres contextes, notamment en France.
Pourquoi est-il nécessaire de procéder à une analyse minutieuse de l’industrie de l’armement avec tous ses fournisseurs, sa logistique, ses financeurs, ses chercheurs et ses lobbyistes ? Ne suffit-il pas de savoir où se trouvent les principaux fabricants d’armes et d’équipements de guerre pour pouvoir les attaquer ? Comme la campagne « Disarm Rheinmetall » par exemple, qui a décidé, du moins en principe, de concentrer son opposition à l’industrie de l’armement sur l’une des plus grandes entreprises d’armement d’Allemagne, le groupe Rheinmetall ? Bien sûr, ce serait une grande victoire de réussir à détruire les grandes entreprises d’armement dont l’activité principale tourne autour des armes et du matériel de guerre, mais si l’on est réaliste un instant, les installations d’entreprises telles que Rheinmetall, Krauss-Maffai Wegmann, Heckler & Koch, DIEHL Defence, Airbus, etc., blindées de barbelés, surveillées par des caméras et contrôlées par des patrouilles de sécurité, n’offrent qu’un champ d’action marginal pour des sabotages et des attaques (précises). Certes, ce sont les producteurs de chars, d’avions de combat, de mitrailleuses, de missiles et de bombes qui nous font particulièrement horreur, qui produisent le plus visiblement le matériel utilisé pour les meurtres, les génocides et les massacres perpétrés ailleurs dans le monde. Ce sont toujours ces producteurs qui suscitent les contestations sociales, mais uniquement parce que l’industrie de l’armement a à moitié réussi à cacher le reste de sa structure, de sa logistique et de ses profiteurs. En tant qu’antimilitaristes et anarchistes, nous ne devons pas tomber dans ce piège.
Une analyse minutieuse de l’industrie de l’armement, révélant ses réseaux, ses enchevêtrements, ses fournisseurs, sa logistique, ses chercheurs et ses lobbyistes, sans oublier ses financeurs, peut d’une part montrer à quel point la technologie et la production sont étroitement liées à la guerre, et contrer le mythe selon lequel toute entreprise (d’armement) peut simplement être « désarmée » et produire des biens civils pour la prospérité générale. D’autre part, une telle analyse peut également mettre en évidence les points faibles où le sabotage et les attaques sont possibles à un niveau beaucoup plus modeste, où il n’est pas nécessaire d’escalader les clôtures de barbelés, de tromper les caméras et, enfin, de déjouer le personnel de sécurité avant même de se trouver dans les vastes locaux de l’un des sites de production du meurtre organisé. Et pourtant, les attaques sur ces points faibles peuvent avoir exactement le même impact, à savoir l’immobilisation d’installations de production et/ou la destruction de matériel de guerre manufacturé avant même qu’il n’atteigne l’un des champs de bataille de ce monde.
Lorsque, par exemple, les chaînes de production de MAN, ainsi que d’autres constructeurs automobiles, s’arrêtent à cause d’une pénurie de semi-conducteurs, cela nous montre à quel point la production d’équipements de haute technologie est fragile, à quel point elle dépend non seulement de certaines matières premières, mais aussi d’une chaîne d’approvisionnement fonctionnant de manière plus ou moins continue et de la logistique qui transporte ces composants jusqu’aux sites de production du produit fini. Les camions, les chars, les navires de guerre, les avions de combat, et même des systèmes beaucoup moins complexes tels que les explosifs, les fusils et les armes à feu et leurs munitions, ont tous besoin de ces chaînes d’approvisionnement fonctionnant sans interruption qui, de plus, sont souvent non seulement situées dans tout le pays, mais dépendent également de l’approvisionnement international en matières premières et en composants. Et surtout dans l’industrie de la défense, notamment dans le domaine des systèmes complexes tels que les véhicules, où l’on ne fabrique pas des milliers et des milliers de produits finis, mais plutôt quelques dizaines ou centaines, il peut arriver que les défaillances des fournisseurs qui livrent un composant fabriqué spécifiquement et nécessitant un grand savoir-faire, ou simplement des machines spéciales ou spécialement adaptées, provoquent l’effondrement de l’ensemble de la production du produit fini sur une longue période.
Entre autres objectifs, l’identification concrète de tels points faibles dans la production d’armes et d’équipements de guerre est un avantage majeur pour une analyse minutieuse de l’industrie de l’armement. Même si nous essayons dans ce projet de rendre visible l’ensemble du réseau de l’industrie de l’armement en Allemagne, afin que chacun puisse trouver davantage de points faibles pour le sabotage et les attaques, l’article suivant se concentrera sur le premier point.
Comment dévoiler le réseau (local/régional) de l’industrie de l’armement ?
1. Quelques points de départ possibles
- Les forces armées et les services de police locaux
Il est évident de commencer les recherches par les forces locales, qu’elles soient militaires ou policières. Après tout, elles utilisent exactement les mêmes équipements et armes que l’industrie de la défense produit pour l’échelle nationale. Quels sont donc les véhicules que conduisent ces troupes ? Quelle est la marque de leurs radios ? Quels fabricants produisent leurs armes ? Ces questions banales (sur lesquelles, en cas de doute, même l’un des mercenaires fournira des informations) conduiront aux premières entreprises faisant partie de l’industrie de l’armement.
- Les entreprises d’armement déjà identifiées
Une autre possibilité est de commencer par les entreprises d’armement déjà identifiées, c’est-à-dire généralement celles dont l’activité est exclusivement la production d’armes et/ou de matériel de guerre. À cette fin, il est possible d’effectuer des recherches dans les journaux, ainsi que sur Internet, et même des recherches aussi triviales que « entreprises d’armement Allemagne » permettront d’obtenir une longue liste de ces entreprises.
- Les organisations de lobbying
C’est l’une des sources les plus fructueuses pour obtenir une vue d’ensemble des acteurs les plus importants de l’industrie de l’armement. Même si de nombreuses entreprises n’annoncent pas ouvertement qu’elles réalisent une partie de leurs bénéfices en massacrant des gens ailleurs, elles souhaitent que la sphère politique, tant nationale qu’internationale, représente leurs intérêts et veille à ce que ces massacres aient lieu régulièrement et qu’elles soient autorisées à fournir aux bouchers de ce monde l’équipement nécessaire. À cette fin, elles se regroupent dans des organisations de lobbying dont les listes de membres révèlent par conséquent qui a un intérêt à voir l’industrie de l’armement prospérer. Bien sûr, ces organisations de lobbying ne s’appellent pas « amis du carnage en cours », mais se donnent plutôt des noms comme « Association fédérale de l’industrie allemande de la sécurité et de la défense » (BDSV) ou « Association des industries aérospatiales et de défense de l’Europe » (ASD), de toute façon, « défense » et « sécurité » sont des termes fréquemment utilisés pour masquer le carnage. Parfois, cependant, ces organisations de lobbying s’appellent plus ouvertement « Société allemande de l’armée » ou « Société allemande des technologies de défense » (DWT).
- Conférences et salons professionnels
Les conférences et les salons professionnels où se réunissent les différents amis du carnage issus de la politique, de l’économie et de l’armée constituent également de bons points de départ. La « Conférence de Munich sur la sécurité », d’importance internationale, en est un exemple, mais les salons de l’armement et autres événements de ce genre révèlent également les entreprises de l’industrie de l’armement par le biais de leurs participants.
2. Approfondir le sujet
2.1 Recherches sur Internet
Maintenant que pratiquement toutes les entreprises se présentent à leurs clients et au public sur Internet, il est parfois beaucoup plus facile de rechercher leurs chaînes d’approvisionnement. Même si les entreprises - et certainement les entreprises de défense - ne publient généralement pas de listes de leurs fournisseurs, les petites entreprises en particulier - mais pas exclusivement - se vantent souvent des entreprises qu’elles fournissent. Sous les rubriques « Références », « Études de cas », « Clients » ou « Projets », de nombreuses entreprises énumèrent sur leur site web les entreprises qu’elles fournissent. Parfois, notamment dans le cas des « études de cas », elles donnent même des informations détaillées sur le produit qu’elles fournissent à une entreprise et sur l’usage qui en est fait. Vous êtes alors confronté·e au problème suivant : vous connaissez les entreprises et les forces armées dont les fournisseurs vous intéressent particulièrement, mais comme vous ne connaissez pas ces fournisseurs, vous ne pouvez pas vérifier sur leur site web s’ils fournissent ces entreprises/armées (et le mentionnent). Mais c’est un problème qu’un moteur de recherche peut résoudre. Par exemple, il suffit de chercher quelque chose comme « références Rheinmetall » pour obtenir une liste complète d’entreprises qui déclarent fournir Rheinmetall. Bien entendu, cela fonctionne également pour la « Bundeswehr », l’« Office fédéral de police criminelle », la « Police fédérale », l’« Office fédéral de l’équipement et de l’utilisation des technologies de l’information de la Bundeswehr » et toute autre entreprise de défense. Trivial, n’est-ce pas ?
Mais cela devient encore plus trivial : après tout, l’ensemble du complexe militaro-industriel se compose également, dans une certaine mesure, de quelques passionnés d’armes, d’avions et de chars, qui souhaitent bien sûr être divertis et informés, qu’il s’agisse de la vitesse de vol de tel avion, de la distance de tir d’un char ou même du lieu de fabrication de ces jouets dangereux. Et ces informations peuvent être trouvées dans toutes sortes de revues spécialisées et/ou sur les sites web correspondants, tels que FlugRevue (flugrevue.de/militaer). Et puis il y a aussi les livres numériques de l’industrie, que les entreprises d’armement utilisent pour essayer d’obtenir des commandes ou quelque chose de ce genre et qui tentent parfois quelque chose de similaire à notre projet, mais avec la motivation opposée (army-technology.com/company-a-z, naval-technology.com/company-a-z, armscom.net/companies, armscom.net/world-defense-industry-map). Il ne nous reste donc plus qu’à utiliser ces informations, n’est-ce pas ?
2.2 Observations géographiques
Une fois que vous avez identifié quelques-unes des principales installations de production, les bases militaires situées dans votre région et les installations de recherche qui traitent spécifiquement des armes et des questions connexes (aviation, marine, aérospatial, ainsi que la plupart des technologies de communication, etc.) et qui coopèrent avec les entreprises concernées, il vaut souvent la peine de se rendre sur place et d’y regarder de plus près :
- Les partenaires technologiques ont souvent leurs locaux et leurs succursales directement sur les sites de production de l’industrie de la défense. Après tout, leurs conseils sont fréquemment requis, en particulier pour les systèmes plus complexes qui sont fabriqués selon les spécifications du client, et il est beaucoup plus aisé de vivre presque à côté.
- Sur les campus de recherche et aux alentours, on trouve souvent des entreprises ayant un bureau ou une succursale qui s’intéressent de près aux recherches qui y sont menées.
- Les prestataires de services logistiques et d’autres sociétés de services ont également leurs bureaux et leurs succursales sur ou à proximité des sites de production des producteurs pour lesquels ils travaillent. Pour les prestataires de services spécialisés dans l’industrie de la défense, cette situation n’est pas différente et est peut-être même plus courante ; après tout, cela permet à l’entreprise de défense de mieux vérifier que toutes les normes de sécurité sont respectées pendant le transport.
- En général, les petits fournisseurs, qui résultent souvent de l’externalisation de certains secteurs d’activité ou de start-ups, sont souvent situés à proximité immédiate de leurs principaux clients.
- Dans le secteur de l’aviation, mais aussi dans le secteur maritime et souvent dans la construction de véhicules, d’immenses parcs industriels se sont formés au fil des ans, dans lesquels un échantillon de toute une industrie est souvent représenté, des cabinets de conseil spécialisés aux fournisseurs et prestataires de services logistiques, en passant par les éditeurs de logiciels et les fabriquants.
Tout cela peut être déterminé par une visite sur place. Les noms des entreprises qui sont implantées ou même les noms des entreprises figurant sur les véhicules des entreprises extérieures sur les parkings peuvent être notés de cette manière et faire l’objet de recherches ultérieures afin de déterminer quel genre d’entreprise est impliqué et si un lien avec l’entreprise de défense en question est plausible. Si rien de clair n’est déterminé, mais qu’un lien est considéré comme plausible et surtout pertinent, ça peut valoir le coup d’effectuer des recherches plus détaillées (comme suggéré/décrit à l’étape 3).
3. Le diable est dans les détails
Grâce aux méthodes décrites aux étapes 1 et 2, il est déjà possible d’identifier un grand nombre d’entreprises qui admettent plus ou moins ouvertement qu’elles ont quelque chose à voir avec l’industrie de la défense. Mais qu’en est-il des entreprises qui tentent de cacher à tout prix ces liens, par exemple parce qu’elles craignent d’être victimes d’attaques et de sabotages, ou parce qu’elles craignent de faire la une des journaux ? Ces entreprises ne présentent-elles pas également un grand intérêt pour l’identification des vulnérabilités dans les chaînes de production et d’approvisionnement de l’industrie de la défense et de sa logistique ?
Donc, approfondissons encore un peu la question.
3.1 Révéler la bureaucratie
De nombreuses entreprises préfèrent ne pas révéler sur leurs sites web qu’elles fournissent des armées et/ou des fabricants d’armes et d’équipements de guerre, et idéalement ne jamais le déclarer publiquement. Elles n’adhèrent pas non plus aux organisations de lobbying de l’industrie de l’armement et ne sont pas représentées aux salons de l’armement et autres événements similaires. Il s’agit souvent de sociétés qui fournissent des pièces individuelles pour les chars d’assaut, par exemple, mais dont l’activité consiste principalement à fournir les mêmes pièces ou des pièces similaires à l’industrie automobile ou aux fabricants d’équipements de construction lourds, par exemple. Il peut aussi s’agir de mégacorporations des industries de la technologie et de la chimie, dont les solutions et les produits sont pour ainsi dire devenus des normes industrielles dans certains domaines, et qui fournissent naturellement aussi les fabricants de chars, d’avions de chasse, de navires de guerre, de missiles, de satellites et d’armes, tout comme elles prennent souvent des commandes de la police, de l’armée et des services de renseignement. Mais pourquoi devraient-elles le faire savoir publiquement ? Elles n’ont pas besoin de ce genre de publicité car elles ont de toute façon des contacts directs et/ou leurs clients les contactent d’eux-mêmes.
Toutefois, ce qui n’est pas publiquement mentionné comme un service ou un produit de ces entreprises laisse néanmoins souvent certaines traces bureaucratiques. Après tout, l’industrie de la défense est une industrie qui repose largement sur le secret, qu’il soit imposé par les clients militaires ou par intérêt personnel. Et les fournisseurs qui ont accès à certaines informations sont souvent tenus d’appliquer les normes de secret appropriées. En outre, dans presque tous les pays, l’exportation et le transport d’armements sont soumis à des réglementations gouvernementales détaillées. Et pour s’assurer que tout cela est respecté tout au long de la chaîne de production, les fournisseurs affichent souvent les certifications et compétences appropriées sur leurs sites web, tout comme les producteurs affichent souvent des formulaires dans lesquels ces certifications sont demandées à leurs fournisseurs. Et cela, bien sûr, est révélateur :
- Les entreprises de logistique qui sont autorisées/aptes à transporter des marchandises dangereuses de classe 1 (substances explosives) n’ont certainement pas sollicité cette autorisation en vain. Et si elles proposent également des services de transport de marchandises tombant sous le coup de la loi sur le contrôle des armes de guerre ou si elles disposent d’une autorisation de la police fédérale (BKA) pour transporter et/ou stocker des armes illicites, aucun doute qu’il s’agisse de prestataires de services logistiques pour l’industrie de l’armement s’évanouit définitivement.
- Quand des entreprises soulignent dans leurs offres d’emploi que les candidats doivent être prêts à se soumettre à un contrôle de sécurité (en Allemagne : Ü1, Ü2, Ü3) conformément à la loi sur les contrôles de sécurité (Sicherheitsheitsüberprüfungsgesetz, SÜG), cela indique souvent que ces entreprises acceptent des commandes des autorités fédérales qui exigent un secret particulier. Il s’agit très souvent de commandes émanant des forces armées allemandes, des services de renseignement et des autorités de police.
- Les entreprises de défense, ainsi que leurs fournisseurs, appliquent souvent certaines normes qui standardisent et certifient les processus correspondants de l’entreprise. La norme ISO 9001, par exemple, trouve son origine dans l’industrie de la défense et peut être une indication qu’une entreprise est active dans ce secteur, mais elle est désormais également appliquée par des entreprises d’autres secteurs. La norme internationale AS9100 est plus spécifique et certifie les entreprises de l’industrie aérospatiale et de la défense. Les entreprises qui appliquent de telles normes devraient au moins être soupçonnées d’être impliquées dans l’industrie de la défense. En outre, il existe, par exemple, les normes militaires américaines (MIL-*), qui définissent des normes spécifiques pour les produits militaires et sont appliquées par les entreprises correspondantes. La mise en œuvre d’une telle norme montre clairement l’appartenance d’une entreprise à l’industrie de la défense.
3.2 Se salir les mains
Les méthodes décrites jusqu’à présent fonctionnent très bien pour trouver un certain éventail d’informations sur l’industrie de la défense et ses fournisseurs, etc., et l’on est souvent surpris·e par les informations que l’on peut obtenir de cette manière. Néanmoins, elles atteignent leurs limites, par exemple, si l’on s’intéresse très spécifiquement à une certaine entreprise, ou même à certains détails. En fin de compte, dans ces cas, on pourra rarement éviter de sortir de derrière l’écran et de faire quelques visites. Si nous tentons d’exposer quelques méthodes simples de recherche sur le terrain dans la section suivante, ce n’est pas sans vous avertir de toujours veiller à votre anonymat. Bien qu’une grande partie de ce qui est décrit ici peut être parfaitement légal, ou du moins ne pas impliquer de crimes graves, si le but de cette recherche est d’identifier les points faibles pour une attaque ultérieure, il y a toujours un risque qu’il soit possible plus tard de retracer l’origine des informations nécessaires à une telle attaque. Et il n’est pas rare que les données de vidéosurveillance des dernières semaines et des derniers mois soient analysées dans ce but, afin d’identifier les personnes suspectes qui se sont approchées d’un site, etc.
3.2.1 Les visiteurs
Si vous voulez savoir qui sont les fournisseurs et les clients d’une entreprise, quels prestataires de services sont actifs au sein de l’entreprise, etc., il est évident d’examiner de plus près les visiteurs de cette entreprise :
- S’il s’agit d’un grand siège d’entreprise avec plusieurs bâtiments sur un site (généralement clôturé) avec plusieurs entrées, il est d’abord logique de trouver quels bâtiments et surtout quelles entrées du site sont pertinents. En fonction du type de visiteur, il existe plusieurs possibilités :
- Les représentants de l’entreprise, qu’il s’agisse de clients ou de fournisseurs, sont généralement reçus dans les bâtiments les plus emblématiques et entrent en général sur le site par l’entrée/réception principale.
- Les artisans/employés de service/personnels externes d’autres entreprises qui viennent régulièrement et sont intégrés au fonctionnement de l’entreprise sur le site peuvent souvent utiliser les mêmes entrées que le personnel de l’entreprise, ce qui rend assurément l’observation plus difficile. C’est notamment le cas du personnel des services informatiques déployé sur le site à long terme, des artisans chargés des travaux de rénovation et de réparation, ainsi que du personnel de maintenance envoyé par les fabricants de machines et autres à long terme. Les services de sécurité sont également souvent sous-traités à l’extérieur. Dans le cas de sites très vastes qui ne peuvent être traversés aisément, le personnel externe comme interne entre généralement sur le site à proximité de son lieu de travail, mais si le site est plutôt praticable, tout dépend alors souvent de la manière dont le personnel se rend sur le site.
- Les livraisons arrivent dans les entreprises par les entrées de service des fournisseurs. Si l’on s’intéresse aux entreprises de logistique et/ou à leur fret, alors c’est généralement l’endroit approprié.
- Souvent, les entreprises disposent également de places de parking réservées aux visiteurs, ce qui peut être intéressant pour repérer les visiteurs.
- En particulier, les représentants des clients et des fournisseurs ne portent généralement pas d’uniforme, c’est-à-dire qu’ils ne portent pas le nom de leur entreprise sur leurs vêtements et souvent pas non plus sur leurs véhicules. Bien entendu, cela signifie qu’au départ, l’origine d’un visiteur n’est pas claire. Les solutions suivantes existent :
- Dans certains cas, les documents présents dans les véhicules sur les parkings visiteurs et visibles de l’extérieur fournissent des informations sur l’entreprise pour laquelle travaille un visiteur (documents imprimés indiquant des itinéraires, cartes de stationnement ou marchandises de l’entreprise sont souvent laissés négligemment et de manière visible à l’intérieur de la voiture).
- La « gestion des visiteurs » mise en place par les entreprises qui ont des intérêts particuliers en matière de sécurité exige souvent que les visiteurs (et généralement aussi les employés) portent un badge approprié avec leur nom et celui de l’entreprise bien en vue dans les locaux de l’entreprise. Si l’on peut trouver un endroit d’où ces badges peuvent être vus/photographiés, cela peut fournir l’information souhaitée.
- Bien entendu, les visiteurs peuvent également être suivis après avoir quitté les lieux dans l’espoir qu’ils retournent au siège de leur entreprise. Outre le fait que cela doit rester inaperçu et est donc très difficile, il faut se demander si cela en vaut la peine. Souvent, les représentants ne rentrent pas directement dans leur entreprise, mais rendent visite à d’autres clients ou rentrent chez eux après leur visite chez le client, font une pause déjeuner, vont à l’hôtel, etc. Dans de nombreux cas, ils doivent également parcourir de longues distances si leur entreprise ne dispose pas d’un établissement local. Poursuivre quelqu’un sur des centaines de kilomètres pour s’apercevoir qu’il est rentré chez lui, etc., est assez frustrant et il existe généralement des solutions plus simples.
- Les visiteurs qui quittent le site peuvent bien sûr être abordés sous un prétexte inventé pour tenter de les interroger. Il faut cependant veiller à ce que cela se passe le plus possible hors de la vue des caméras et que cela reste discret et inintéressant du point de vue des visiteurs eux-mêmes. Il n’y a rien de pire qu’une rencontre qui reste longtemps dans la mémoire de quelqu’un.
3.2.2 Les employés
Si vous voulez en savoir plus sur les mécanismes internes d’une entreprise, il peut être judicieux de parler aux employés de celle-ci. Cependant, selon la banalité de l’information (parfois un « Dites, je me suis toujours demandé, quel est cet endroit d’où vous sortez ? » suffit), il est souvent nécessaire d’établir une relation avec les employés qui va au-delà d’une simple conversation. Il en va de même lorsqu’on s’adresse aux visiteurs : il peut être extrêmement indésirable qu’un membre du personnel puisse se souvenir de vous plus tard. Voici néanmoins quelques possibilités :
- Les bars/pubs où les employés se retrouvent après le travail : non seulement leurs conversations à propos du travail peuvent être entendues depuis la table voisine, mais il est également possible d’établir un contact occasionnel avec eux. Il n’est pas rare que les gens se rendent dans ces endroits pour nouer des contacts, et il n’est pas rare que les personnes qui fréquentaient ces endroits cessent de s’y rendre à un moment donné - on n’entend plus jamais parler d’eux, et personne n’a besoin de savoir que vous n’êtes là que dans l’intention d’obtenir une certaine information. Et de toute façon, les conversations entre les clients des bars (en apparence) ivres sont souvent indiscrètes et étranges lorsqu’on les observe en étant sobre. Pour trouver de tels bars, vous pouvez suivre des groupes d’employés ou même des individus qui quittent les lieux, ou vous pouvez simplement jeter un coup d’œil aux différents bars de la région. Dans ce cas, le fait que les employés de ces entreprises portent souvent des badges correspondants permet de les identifier. Ce que vous devez prendre en compte dans tous les cas, c’est que les employés chargés de la production sont généralement d’une humeur différente de celle des employés de la direction/administration et que vous devez tenir compte de certains codes (vêtements, langage, etc.) en fonction de la personne que vous ciblez.
- Les travailleurs organisés en syndicats se laissent interroger à leur sujet de manière presque confidentielle, sur la manière dont ceci ou cela se passe dans le syndicat, etc. Moins intéressantes sont les bureaucraties au sein des syndicats, dans lesquelles se rassemble avant tout l’élite bureaucratique du syndicat. Après tout, ces personnes représentent plus ou moins les intérêts de leurs exploiteurs, ou de ceux qui exploitent leurs membres syndiqués, et ont relativement internalisé la protection de leurs entreprises. Beaucoup plus intéressant est le personnel avec lequel on peut entrer en contact lors d’événements syndicaux, de manifestations, etc. En Allemagne, la plupart des employés de l’industrie de la défense sont probablement organisés au sein d’IG Metall.
- Parfois, les syndicats ne sont pas une bonne piste. Notamment dans le cas des cadres moyens et supérieurs qui, au lieu de s’occuper des conflits sociaux, ont tendance à se concentrer sur leurs propres carrières. Il existe sans doute des institutions qui permettent cela, mais le moyen le plus discret semble avoir peu à voir avec la vie professionnelle : le sport. Depuis quelques années, il est de bon ton d’entretenir un CV sportif, dont on peut ensuite parler de manière animée au travail. Faire du vélo de course, participer à un marathon (les marathons d’entreprise ne sont pas rares), ou tout autre sport à la mode en ce moment. Il existe souvent des installations autour des locaux des grandes entreprises, historiquement développées à partir des clubs sportifs d’entreprise, dans lesquelles d’innombrables employés de celles-ci se défoulent, mais qui sont également ouvertes à des personnes extérieures. Les salles de gym, les clubs de tennis, les clubs de golf, etc., situés à proximité de ces entreprises sont également souvent fréquentés par les employés de la direction. Et le sport, comme les bars et les pubs, est aussi un lieu où il est normal de rencontrer des inconnus. D’excellentes conditions, donc, pour apprendre un ou deux détails et parfois même des secrets d’entreprise, que ce soit en écoutant les conversations ou en prenant contact avec un membre de l’entreprise.
3.2.3 Infiltration
Une façon potentiellement intéressante d’en savoir plus sur une entreprise est d’y être employé·e dans ses locaux. Le principal inconvénient est que, si vous n’avez pas d’autre identité, vous serez connu·e par votre nom et, grâce au fisc et autres organismes similaires, l’État possèdera aussi l’information que vous avez travaillé pour l’entreprise. Il est donc judicieux de ne pas être employé·e directement par l’entreprise en question. Même si l’entreprise disposerait généralement de vos données personnelles même si vous y travaillez en tant qu’agent·e d’entretien, le lien est moins direct et s’interrompt à un moment donné, tandis que les dossiers du fisc sont conservés pour l’éternité. Le coût relatif de cette méthode, ainsi que ses risques, suggèrent que son utilisation doit être bien réfléchie et planifiée, et que d’autres méthodes doivent être préférées si possible. Il convient également de préciser que cette méthode n’a de sens que lorsque des informations d’une importance considérable sont attendues de manière très concrète, et qu’à notre avis, elle ne devrait pas du tout être utilisée pour découvrir quelques fournisseurs supplémentaires, etc., dont la pertinence ne peut être évaluée plus en détail.
Une alternative intéressante à l’infiltration d’une entreprise peut également être une effraction ciblée dans laquelle des documents et/ou des supports de stockage sont volés ou des systèmes informatiques sont infiltrés. Toutefois, ces deux possibilités ne sont mentionnées ici qu’à titre d’hypothèse et ne sont pas abordées en détail.
3.2.4 La logistique
Enfin, il convient d’aborder ici certaines questions relatives à la logistique. Le simple fait de connaître les entreprises de logistique qui expédient du matériel de guerre et leurs centres logistiques n’est pas forcément suffisant. Il est essentiel de savoir quand et où les cargaisons d’armes quittent les usines des entreprises de défense pour pouvoir les arrêter. Pour ce faire, il est judicieux de connaître les moindres détails de la logistique entourant les entreprises de défense. Par exemple, quel itinéraire empruntent les camions et/ou les trains qui quittent le site de l’usine ? Où les chauffeurs font-ils des arrêts ? Où les conteneurs sont-ils chargés sur les navires/avions/camions ? Les livraisons empruntent-elles la voie directe entre les locaux de l’entreprise et les clients ou les produits sont-ils stockés temporairement dans des centres logistiques ? Les produits et les matières premières nécessaires à la production sont-ils livrés directement par le fournisseur ou par un distributeur ? Les prestataires de services logistiques se chargent-ils de les garder en stock dans des centres logistiques et de les livrer selon les besoins, ou cet entreposage se fait-il sur le site de production ? Plus ces détails et d’autres sont clarifiés, plus les possibilités d’intervention sont nombreuses. Il peut être judicieux d’observer les camions et les camionnettes (dans le secteur de la défense, il s’agit souvent de plus petites quantités, pour lesquelles de petites camionnettes suffisent) qui sortent des usines des entreprises de défense, ou de suivre leur itinéraire. En outre, les régularités dans la livraison et le retrait des marchandises sont intéressantes, tout comme les corrélations entre les périodes de livraisons plus intensives et les grosses commandes, etc.
Cet article est une introduction qui, bien entendu, ne peut être que relativement sélective dans la présentation de certaines méthodes de recherche d’informations sur l’industrie de la défense. Il est destiné à servir d’inspiration à toutes les parties intéressées pour qu’elles développent leurs propres méthodes afin de sortir l’industrie de l’armement de derrière le voile dont elle s’entoure et d’exposer ses vulnérabilités.
Afin que les nuages de fumée de la destruction ne s’élèvent bientôt plus au-dessus des champs de bataille de ce monde, mais au-dessus des sites de production de cette industrie de la mort !