Iguala, Mexique : Crime d’État, Crime de classe.

...À l’Escuela Normal d’Ayotzinapa, les futur-e-s professeur-e-s ruraux (normalistas) ne sont pas gêné-e-s de leurs racines paysannes/rurales, ni ne cachent leurs affiliations politiques. Ils et elles n’étudient pas seulement pour enseigner, mais surtout pour comprendre les réalités sociales qu’ils et elles auront à confronter quand ils et elles seront professeur-e-s. Ils et elles sont aussi pauvres que leurs futur-e-s élèves et pour survivre, ont besoin de combiner les maigres bourses du gouvernement avec beaucoup d’heures de travail, parce que l’école est, en même temps, une ferme collective....

« L’ordre règne à Berlin », disait Rosa Luxembourg trempée d’un amère sarcasme, tout juste avant d’être assassinée au cours de la répression de l’insurrection ouvrière dans l’Allemagne de 1919. C’était le même type d’ordre qui nécessitait d’être sauvé à tout prix le 26 septembre 2014 à Iguala, dans l’état mexicain du Guerrero. Ce jour-là, avait lieu une célébration officielle où le maire de la municipalité et sa femme étaient présents. Mais la célébration était menacée par 80 étudiants et étudiantes de l’Escuela Normal (École Normale) d’une localité à proximité, Ayotzinapa. Ils et elles se rendaient là pour faire de l’activisme politique et la police les a attaqué brutalement sous les ordres de la municipalité. Il s’agit d’un événement qui a attiré l’attention de toute la planète sur le Mexique. Le jour suivant, la presse locale célébrait la répression avec un article intitulé « Finalement, l’ordre est restauré » (Por fin se pone orden). Durant les jours qui ont suivi, l’image de cette couverture médiatique a été republiée à travers les médias nationaux, accompagnée de d’autres images qui vous glaceraient le sang. C’était la représentation graphique de ce qui, dans l’État du Guerrero, correspond au mot « ordre ».

Les agents ont tiré sur l’autobus dans lequel les normalistas voyageaient. Mais les balles ont également atteint – par erreur – l’autobus d’une équipe de soccer. Le conducteur et un joueur de 14 ans sont morts. Un passant, Blanca Montiel, est tombé durant les coups de feu. Le matin du samedi le 27, 20 jeunes gens ont été blessé-e-s et 5 sont mort-e-s. Des survivant-e-s, 44 ont été arrêté-e-s, ou pour dire plus juste, kidnappé-e-s. Parmi eux et elles se trouvaient Julio Cesar Mondragón, qui fut horriblement torturé le jour suivant jusqu’à ce qu’il meurt : ils lui ont pelé la peau de la figure. On raconte que cela est arrivé parce qu’il avait craché sur l’un de ses kidnappeurs. Les 43 restant-e-s n’ont pas réapparu et le gouvernement fédéral affirme qu’ils et elles sont mort-e-s.

(...)

Les mêmes mots qui étaient utilisés envers les normalistas avant qu’ils et elles disparaissent – émeutiers/émeutières, délinquant-e-s, vandales – sont utilisés aujourd’hui dans les mass médias contre ceux et celles qui manifestent pour dénoncer leur disparition. La solidarité devient plus difficile entre les intellectuel-le-s alors qu’elle devient plus nécessaire. Toutefois, tandis que plusieurs porte-paroles, journalistes, experts en tout genre, écrivains et académicien-ne-s se dissocient de la violence dans les manifestations, plus de travailleurs et travailleuses se joignent à la base des manifestations. Plusieurs syndicats importants ont formellement joint les manifestations. Les gens normalement apathiques, ou même conservateurs, défendent les actions que les « leaders d’opinion » dénoncent. La coiffeuse commence à me raconter ses problèmes économiques et termine avec « les gars du Guerrero ». Le chauffeur de taxi, après avoir été bloqué plusieurs heures dans le trafic parce qu’une rue était bloquée, explique que « c’est pour les gars » et garde un silence respectueux. Deux femmes assises près de moi au cinéma se sentent offensées par une publicité gouvernementale et crient « nous n’avons pas payé pour se faire mentir ».

Alors, encore, comme toujours durant les huit dernières années, des mexicains et mexicaines sont mort-e-s. Pourquoi est-ce ce cas qui a déclenché les manifestations ? Peut-être parce que ce n’était pas des mexicains moyens et mexicaines moyennes. C’était des jeunes gens qui se battaient pour les pauvres et aspiraient à éduquer les gens pauvres. Ils et elles n’ont pas été tué-e-s par accident, pour avoir refusé de payer une rançon, ni même pour avoir été à la mauvaise place au mauvais moment. Ni même pour avoir appartenu à un cartel rival. Ils et elles ont été tué-e-s parce qu’ils et elles rejetaient le pouvoir de l’État dans les enjeux éducatifs et sociaux. À la fin, tout le Mexique le sait. Pendant ce temps, se répand l’intuition que la police des riches a tué les enfants des pauvres, pour avoir voulu défendre les pauvres. Tous les pauvres.

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Note

Blogue du Collectif Emma Goldman : blog libertaire québécois

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