Quel était le contexte de la grève ? Est-ce votre première grève ?
On était déjà mobilisé sur les questions de l’application de la loi Macron qui n’était pas respectée... Les règles sur le travail de nuit n’étaient pas respectées non plus (le fait de rentrer chez soi avec un taxi payé par l’entreprise, la question des majorations aussi par exemple). Le travail sur la base du volontariat pour ces horaires particuliers non plus n’était pas respecté. On n’avait pas le choix de bosser la nuit ou le dimanche. Ça on l’a obtenu après avoir fait grève l’année dernière, après un très long combat où on a interpellé la direction maintes et maintes fois. Une collègue à nous a même dû aller au tribunal pour pouvoir ne pas travailler le dimanche. Évidemment elle a gagné. En tout cas grâce à ces combats c’est appliqué depuis le 1er janvier. Donc c’est pas notre première grève, mais c’est la première reconductible avec piquet : on est là 7 jours sur 7 !
Comment cette grève a pris corps ? Pourquoi ce magasin a-t-il des conditions de travail différentes de celles des autres magasins ? Comment avez-vous découvert ces différences ?
La grève a commencé le samedi 3 décembre, après on a fait le week-end du 10 et du 11 et à partir du 17 on est passé en grève reconductible. Mais ce mouvement est né parce qu’en 2014, la FNAC a fait une erreur sur nos fiches de paye : elle nous a payé comme les autres FNAC de Paris le dimanche. Donc on a eu 300 à 400 euros de plus sur notre salaire. On a vite compris que ce n’était pas une augmentation. La direction a fait une communication par la suite disant qu’elle reprendrait le trop-perçu sur la paye du mois suivant.
Quelles sont vos revendications ?
La politique de la FNAC c’est : « plus tu travailles le dimanche et moins t’es payé »
La première : être payé de la même façon que les autres FNAC de Paris. Mais la différence entre nous et les autres Fnac Paris, c’est qu’on est ouvert 52 dimanches par an alors que les autres ne sont ouverts que 12 dimanches par an parce que nous on est sur une « zone touristique ». Donc la politique de la FNAC c’est : « plus tu travailles le dimanche et moins t’es payé ». Ça c’est une décision de la direction de la FNAC. Sauf que c’est en contradiction avec la loi qui oblige à l’ouverture de négociations sur le travail dominical, ce que la FNAC n’a pas fait. Donc depuis 2009, la FNAC est hors-la-loi sur cette question. Mais ce qui est amusant, c’est que sans cette erreur de fiche de paye, on ne s’en serait jamais aperçu même si on s’en doutait. Donc pour nous ça a été le déclic pour réclamer nos droits et l’équité.
La direction fait tout pour isoler les salariés. Que les salariés de la FNAC des Champs-Élysées parlent pas avec la FNAC des Halles par exemple. Résultat : tu sais pas ce qui se passe dans les autres magasins. Et puis comme souvent, c’est pas parce que ton collègue a des acquis que toi tu vas les avoir. Donc sur les revendications autres que le travail du dimanche, c’est la même chose.
La prime de sous-sol par exemple, on sait que la FNAC de Châtelet a une prime de sous-sol d’environ 50 euros par mois. Et nous on l’a pas. Alors qu’on est en sous-sol aussi, qu’on ne voit pas la lumière du jour, que même notre salle de pause est en sous-sol.
Pour les congés maternité et les accidents du travail, on n’a pas le maintien de la paye à 100% et ce depuis 2 ans. C’est assez grave puisqu’avec une collègue en congé maternité on s’est aperçu que la FNAC touchait 1500 euros de la sécurité sociale et ne reversait que 1200 euros à la salariée. Quand je demande une explication à la FNAC, ils me répondent que « c’est parce qu’ils ne savent pas calculer le maintien de salaire ». Moi pas de problème, je leur ai fait le calcul, mais ils m’ont répondu « toi t’es pas la gestionnaire de paye ». Ça veut tout dire.
Pour les accidents du travail c’est pareil. Moi par exemple, j’ai été agressée physiquement et moralement par quatre clients alcoolisés alors que j’étais en caisse. Ça a été très très dur pour moi, c’était très violent. J’ai été en arrêt pendant trois mois, sauf qu’ils ne me payaient pas correctement pendant mon accident du travail. Je perdais environ 400 euros par mois sur ma paye. Ils n’ont rien voulu lâcher, j’ai pas eu le choix, je suis revenue travailler. La médecine du travail a dit que je ne pouvais plus être en contact avec les clients ; le jour où je suis revenue travailler on m’a mise en caisse. Donc je suis retournée à mon poste de travail, exactement à la même caisse où j’ai été agressée. J’ai fait le décompte plus tard et ils me doivent toujours 2000 euros. Au jour d’aujourd’hui, ils ne me les ont toujours pas donnés. Et là je suis au tribunal pour ça.
Parmi les autres revendications, il y a aussi la prime d’amplitude sur laquelle on se bat parce qu’il y a un accord dominical qui va être signé dans les prochaines semaines. Comme ça on sera tous au même niveau. Mais l’amplitude horaire va rester incroyable chez nous parce qu’elle est de 7h à minuit. C’est la seule FNAC au monde à avoir ces horaires là. Même au Brésil ils ne font pas ça ! Ça veut dire que tu peux faire le lundi où tu commences à midi, puis le mardi tu commences à 16h et le mercredi tu recommences à midi. C’est toujours en dent de scie comme ça. Les plannings horaires ne sont pas fixes. On a souvent demandé des horaires fixes pour la vie sociale et la santé, ils n’ont jamais voulu. On a un planning sur 3 semaines pour les jours, mais pas pour les horaires. Alors évidemment, les répercussions sur la santé sont énormes et on demande donc une reconnaissance de cette pénibilité là. On veut donc une prime qui reconnaisse les pénibilités de ce magasin. L’argent ça ne règle pas tout, on est d’accord. La santé c’est plus important, mais là on veut obtenir des aménagements. C’est nos deux principales revendications : la prime de sous-sol et les amplitudes horaires. Après bien sûr, il reste tous les autres trucs on les oublie pas mais voilà...
Comment ça s’est organisé le mouvement sans syndicat puisque vous signez vos communiqués « collectif salariés FNAC Champs-Élysées » ?
Ça a été dur. C’est super dur d’être tout seul, sans syndicats. Donc nous on est quand même élu hein, on est élus du magasin. On a chacun une étiquette syndicale qui est différente. En fait, on s’est organisés en mode « On y croit, on a raison ». Ils respectent pas la loi, on doit faire respecter la loi. C’est du syndicalisme hein ! C’est pas les grosses sections syndicales, mais c’est du syndicalisme. Et preuve en est, les syndicats de la Poste du 92 qui nous ont soutenu c’est vraiment génial quoi. Mais c’est normal, les syndicats de la Poste, de la SNCF tout ça ce sont des syndicats qui ont l’habitude de défendre leurs acquis sociaux et c’est exactement ce genre de luttes qu’ils faut introduire dans le commerce. Dans le commerce, la lutte est compliquée, ils en profitent beaucoup les grands patrons, ils font de l’isolation de salariés entre eux et par rapport aux syndicats.
Qui est investi dans ce mouvement (cadres, agents de services, caristes, vendeurs, etc.) ? Est-ce un mouvement très suivi ?
Dans le magasin en tout, il y a 56 personnes qui ont fait grève. On est à peu près 100 employés, sans compter les cadres et les agents de maîtrise. Et en tout, ceux qui ont apporté du soutien (en donnant à la caisse de grève par exemple) environ 75. Donc oui le mouvement est très suivi et soutenu par la quasi-totalité des employés, qui savent qu’on a raison de faire ça. Après les 56 ne font pas grève tout le temps parce qu’évidemment, perdre tout son salaire c’est compliqué donc ils la font par intermittence. On est une bonne dizaine à faire grève tous les jours. Et ce sont des grèves avec piquet. On reste devant le magasin, on montre aux clients qu’on existe. On a une pétition qui a été signée par 7000 personnes quand même. Il n’y a aucun cadre qui fait la grève par contre, ni d’agent de maîtrise. Ils sont aussi touchés par cette différence de salaire mais y a de la pression de la direction auprès d’eux aussi.
Pouvez-vous nous parler des différentes agressions et des pressions de la direction sur votre mouvement ?
Alors d’abord pour la pression sur les grèvistes il y a eu la pression psychologique. Y a des chefs d’équipe qui ont expliqué aux employés qu’il ne fallait pas faire grève, qu’ils allaient « avoir des problèmes ». Des pressions du genre « Ah bon tu fais grève, toi ? T’es pas content de ton CDI ? On vient de te donner un CDI et tu fais grève ? ». Enfin des phrases comme ça... Ouais c’est sûr, l’ambiance elle est un peu tendue.
D’autant plus que la direction joue un sale jeu en vue des négociations. Ils disent « Si jamais vous signez pas l’accord de sortie de grève, on retire les majorations à partir de 21h sur ces fameux dimanches ». Donc ça amplifie le phénomène de discrimination et en plus ça ne concerne que les salariés et non les cadres. On l’a en écrit,sur un projet d’accord.
Avant les négociations, la direction a clairement tout fait pour qu’on arrête la grève : pressions auprès des autres salariés, embauche d’huissiers qui nous suivent toute la journée, qui notent la moindre infraction à chaque minute de la grève, ils nous ont trainé à 5 au tribunal en disant qu’on abusait du droit de grève. Le juge a statué en notre faveur (et déclaré que nous n’abusions pas du droit de grève), mais nous avons été condamnés sur le blocage de l’entrée, nous ne devons plus bloquer ni filtrer l’accès au magasin... C’est bien sûr sujet à interprétation. Dès que l’on passe devant les escalators, la direction nous menace avec les huissiers ; à chaque infraction constatée c’est 100 euros d’amende. Les huissiers sont payés par la direction, alors ils constatent surtout nos infractions, moins que les leurs... C’est une grosse pression psychologique ces amendes de 100 euros. Tous les huissiers ne sont pas aussi zélés les uns que les autres heureusement. Il y a aussi des renforts d’intérimaires. Bien sûr officiellement cela n’a rien à voir avec la grève, mais bon... Après le tribunal, comme nous n’étions pas intimidés, le lendemain ils ont aussi amené quinze agents de sécurité et des barrières pour qu’on ne puisse plus manifester devant le magasin. On a quand même mis pancartes et banderoles. Les agents nous ont empêchés de nous installer. Au bout de quelques heures, ils ont commencé à arracher les banderoles. Les agents de sécurité nous ont mis des coups de barrière. la compagnie de sécu privée s’appelle Praetorian Trajan (Garde prétorienne, en latin), ça veut tout dire, ils agissent comme une milice. Une personne a voulu retenir la banderole les mecs ont tiré violemment et elle est passée par-dessus la barrière. C’était assez physique quoi.
Comment vous tenez le coup ? ça fait un mois, c’est long !!!
Concrètement, moi j’ai décidé de m’oublier complètement. Franchement on est exténués. Le rapport de force est très dur mais on est à un tel niveau de colère sur tout cela qu’on ne lâchera pas. Je suis déjà exténuée, si j’ai tenu en étant KO, je vais continuer à tenir en étant crevée, et on est tous dans cette situation là.
Bien sûr on est fatigués, bien sûr il fait froid, bien sûr c’est pas agréable de devoir quémander pour que la loi soit respectée, non évidemment ça n’est pas agréable. Justement, on le fait pour la bonne cause, on sait qu’on a raison, et en plus on fait ça pour tous les salariés, pas que pour nous. On le fait pour les autres et du coup ça nous fait et nous fera tenir.
On remercie tous les gens qui nous soutiennent au niveau de la caisse de grève, concrètement il va y avoir environ 25 000 euros de perte de salaire, c’est énorme un mois complet de grève, et du coup on continue à avoir besoin de soutien.
Dans le magasin, même ceux qui ne font pas grève savent qu’on a raison. C’est pas parce qu’ils ne sont pas d’accord qu’ils ne font pas grève, c’est pour d’autres raisons (manque de moyens, ou par peur de la direction), donc ça se passe bien même avec les non-grévistes.
On est déjà très soudés, c’est comme ça qu’on a pu monter ce mouvement là. En fait, ça fait deux ans qu’on se bat autrement que par la grève. Deux ans qu’on passe des soirées à calculer, à essayer de comprendre, à lire les articles de loi etc. Donc ça fait déjà un moment qu’on est super soudés. Oui ça nous a encore rapprochés, et concrètement ce mouvement de grève est aussi positif pour cela : ça montre des gens qui ne se laissent pas faire, des gens qui disent non je ne suis pas un matricule, je ne suis pas un numéro, je suis un être humain et il faut me respecter comme ça. C’est aussi des gens qui sont solidaires entre eux. Ça permet aussi de parler avec tout le monde dans la rue. Les Champs-Élysées c’est bourré de discriminations partout. Cette grève permet de parler avec les autres salariés qui comme nous, dans tous les autres magasins sont discriminés, ont des contrats de travail aberrants ou des clauses illégales (dans leurs contrats de travail). Quand ils vont chercher leurs petits sandwiches à 10 balles à la brioche dorée, ben ils viennent nous parler et ils nous expliquent leurs problèmes et on échange. Nos numéros, mails, mais aussi nos conseils. Ça crée de l’entraide entre les magasins. On va créer une association qui s’appellera collectif salariés Champs-Élysées. Cette association va être crée pour aider tous les salariés des champs qui auront besoin d’aide pour comprendre leurs contrats de travail, leur convention collective ou leurs fiches de paies. Leurs droits quoi. Ils pourront venir et on fera en sorte de pouvoir les aider. Donc cette grève crée des idées et de la solidarité de plus en plus et bien au-delà du magasin.
Quelles sont les prochaines échéances ?
Des négociations vont être ouvertes pour la première fois le lundi 16 janvier avec nous. Juste notre magasin pour régler le problème de la grève et trouver une fin de conflit. On attend de voir ce que la direction propose concrètement. On aimerait que ça ne soit pas du bluff et que cela soit une vraie négociation. On a des doutes vu la mauvaise foi de la direction, mais on verra. On va voir ce qui se dit durant les négociations. Si la direction ne fait rien, on va appeler à un grand rassemblement devant le magasin.
Les négociations n’ayant rien donné, un appel à rassemblement le 21 janvier à 15h devant le magasin a été lancé