Après un an d’actions courageuses et inspirantes, des blocages, des manifs en tout genre et des émeutes, je vais essayer de tirer quelques leçons et perspectives de la situation.
Nous Gilets jaunes avons été admirables. Vu que beaucoup d’entre nous n’avaient jamais manifesté, résister ainsi à la répression policière et aux propagandes-mensonges-manipulations politico-médiatiques est un exploit.
De plus, nous avons compris affermis beaucoup de choses, nous avons beaucoup discuté, créé des liens, fait des assemblées et des cabanes, des fêtes et des actions surprises, etc.
L’esprit de révolte se répand, l’insubordination et la solidarité aussi, et ça aussi c’est un exploit dans cette société de la marchandise et de la soumission.
Tout ça est précieux, c’est un grand pas en avant vers la chute du régime et l’amélioration de nos vies, vers le respect et le maintien du vivant sur la planète.
Maintenant, pour continuer à avancer, peut-être avons-nous besoin de lancer de nouveaux chantiers, et de continuer certains en cours.
En France et à Hong Kong, on observe que les émeutes éparses et les manifs n’ont qu’un effet limité sur le pouvoir, pourtant à Hong Kong les rebelles y vont fort ! Le régime Macron et les dirigeants hongkongais ne changent pas leur politique et leur répression.
Ce qui devrait continuer
On a toujours absolument besoin de lieux pour se rencontrer régulièrement, discuter, s’organiser : rond-point, cabanes, maisons du peuple, etc.
Si l’on ne peut pas tenir l’espace public ou des squats, utilisons les lieux amis existants ou lançons nos lieux « légaux ». Les bases arrières c’est indispensable, surtout dans une lutte longue et difficile.
On doit toujours pousser à la grève partout, à la grève générale, pour bloquer complètement l’économie et rendre les travailleurs plus disponibles pour les AG, manifs et blocages.
On va voir ce que va donner l’appel à la grève à partir du 5 décembre, mais déjà il y a un progrès par rapport à l’année écoulée.
L’histoire nous montre que c’est un levier puissant.
Seulement, vu l’extrémisme du régime, on ne peut plus se limiter à des grèves ponctuelles, éparses, sectorielles, avec des revendications « classiques ». Le régime nous mène une guerre totale, nous devons donc répondre au même niveau, et surtout passer à l’offensive au lieu de rester toujours sur la défensive à courir derrière les casses sociales programmées (SNCF, retraites, etc.). Attention à ne pas se faire avoir par les miettes lancées pour qu’on reste sages. Pour une miette lancée, le régime en reprendra 10 derrière.
Avec la solidarité, les caisses de grève, les péages gratuits avec collecte d’argent, les éventuelles autoréductions dans les grandes surfaces, on peut tenir la grève longtemps…
Les actions symboliques et les manifs sont utiles pour la communication, pour montrer la folie du gouvernement et de ses flics, mais il ne faut pas du tout compter sur ça pour faire plier le régime, et puis ceux qui ne veulent pas fermer les yeux sont à présent au courant.
Les émeutes et autres manifs sauvages ont parfois fait trembler le régime, mais la flicaille s’adapte, quadrille tout en masse, empêche tout cortège, brutalise sans vergogne, et il faudrait au moins y aller très fort comme au Chili pour espérer voir des résultats positifs.
Peut-être ça pourrait être encore un vrai levier parmi d’autres, mais il faudrait être plus nombreux, mieux « organisés », y aller moins frontalement (voir Hong Kong, « be water »). Il sera difficile d’obtenir mieux qu’après les 1er et 8 décembre 2018, ou 16 mars 2019 avec la peur du gouvernement et d’une partie des bourgeois.
Peut-être qu’il faudrait viser davantage d’efficacité. Car les bourgeois des quartiers riches de Paris s’habituent, ils savent que les flics sont là pour protéger leurs biens. Au lieu des Champs-Élysées et de ses immondes boutiques de luxe, ce sont plutôt les grosses entreprises et leurs flux qu’il faudrait impacter sévèrement et durablement.
Des voies nouvelles ?
Vu le niveau de brutalité du régime, vu son extrémisme, vu son intransigeance, vu qu’il avance sans discontinuer ses pions antisociaux, vu qu’on fait face à un régime oligarchique non démocratique, sans doute que des rebelles vont développer à l’avenir proche d’autres tactiques et stratégies.
Nouvelle stratégie ?
Il ne peut exister de stratégie commune que si l’on a des objectifs assez similaires. À nous de creuser nos vrais désirs, de continuer à en discuter ensemble.
Jusqu’à présent, la cible principale est Macron et le gouvernement, voire tout le personnel politicien (qu’ils partent tous et qu’il n’en reste aucun). S’il est légitime de vouloir « le pouvoir au peuple, par le peuple, pour le peuple » (comme l’avait lancé l’assemblée de Commercy et d’autres), et de virer tous les prétendants au trône pour instaurer une démocratie réelle (et des processus de démocratie directe, notamment localement), la stratégie employée est-elle la bonne ?
En effet, on voit bien que partout c’est l’économie qui gouverne, c’est le capitalisme et ses grands bourgeois qui mènent la danse, que ce soit au gouvernement, dans l’État et dans les entreprises.
Les politiciens n’ont que peu de marge de manœuvre dans ce cadre, et même si par extraordinaire ils voulaient promouvoir autre chose que le règne de la marchandise et du Capital, les Marchés et leurs Investisseurs les rappelleraient vite à l’ordre.
C’est pourquoi il faudrait viser directement et exclusivement l’économie (voir par exemple Pourquoi (re)lire le Comité invisible ?).
Ainsi on ferait d’une pierre trois coups :
- on fait pression sur le régime, car les capitalistes lui demanderaient de lâcher du lest de peur de tout perdre
- on fait pression directement sur des capitalistes, pour améliorer nos conditions de travail et de vie
- quand on diminue l’activité économique, et en particulier les trucs les plus polluants, le climat, nos poumons et le monde vivant nous disent merci !
Bien sûr, on l’a fait, on a bloqué des péages, des camions, des raffineries, des Amazon, etc. Mais souvent, les flics ont pu vite reprendre le dessus. Il faudrait de gros moyens et du monde pour bloquer durablement…
Ça sera peut-être possible via des actions rassemblant divers groupes ?
Si les grèves se révèlent insuffisantes, des rebelles utiliseront peut-être ensuite des moyens complémentaires.
Nouvelles tactiques ?
S’il est toujours plaisant et dynamisant de voir des vitrines de banques ou de boutiques de luxe exploser, ces cerises ne permettent pas de perturber vraiment l’économie.
C’est le gâteau lui-même que des rebelles auront peut-être envie de démolir.
Bien sûr, des Gilets jaunes et autres ont brûlé certains péages, coupé des câbles de fibre optique… mais ça restait sporadique et souvent improvisé.
Sinon, détruire de nombreux radars automatiques réjouit l’œil et le porte-monnaie, mais ne perturbe pas hélas l’économie capitaliste.
Certains insurgés auront peut-être alors l’envie d’utiliser d’autres modes d’action.
Au regard de l’histoire, voyons de quoi il pourrait s’agir, de manière fictive.
Ils ont en face d’eux comme une sorte d’armée ennemie, ils sont dans une guerre asymétrique où l’État et les capitalistes ont avec eux les lois, la force, les flics, une pseudo-légitimité, une justice acquise à eux, la plupart des gros médias, et plein de pognon ! Dans cette situation on observe que les résistants exercent habituellement diverses formes de guérillas, des attaques éclair sans engagements prolongés avec les forces armées au lieu de batailles rangées annoncées à l’avance où l’ennemi à tout le temps d’amasser toutes ses importantes forces équipées.
Admettons comme hypothèse que les insurgés veulent éviter, pour x raisons, la lutte armée, alors il leur reste le sabotage structurel et planifié.
Dans cette situation, les résistants constitueraient alors des petits groupes clandestins entre personnes qui se connaissent (afin d’éviter les informateurs et les flics infiltrés). Ces groupes autonomes ou en réseaux cloisonnés seraient très discrets et apprendraient des techniques de furtivité et de sabotage.
Ils s’entraîneraient et repéreraient diverses cibles intéressantes. Ils n’auraient pas forcément besoin d’être très nombreux s’ils sont efficaces.
Ensuite, quand ils seraient prêts et que des occasions se présenteraient où le régime serait déjà un peu affaibli (par exemple : émeutes, grèves, crise financière, etc.) ils iraient porter des coups très rudes à l’économie par le sabotage d’infrastructures cruciales.
Il ne s’agirait pas de brûler une ou deux voitures, une banque ou un Macdo, l’impact économique serait trop faible et trop fugace. Suivant l’état de la lutte et de leurs capacités, ils saboteraient plutôt des maillons importants de l’économie et de sa logistique afin d’exercer des pressions importantes : lignes électriques, transports ferroviaires, centrales aux énergies fossiles, câbles internet ou téléphoniques, centraux de communication, etc.
Ce qui aiderait une telle guérilla asymétrique et dispersée, c’est que ses cibles sont très éparpillées et généralement assez accessibles.
Un autre avantage serait d’éviter la confrontation dangereuse avec des flics surarmés.
Ces fortes perturbations pourraient aussi aider, par contrecoup, les actions parallèles (manifs non déclarées, grèves, occupations, blocages, émeutes, etc.), car les flics, les services de maintenance et les pompiers ne pourront plus être partout. Tous les types d’actions simultanées feraient boule de neige, une boule énorme inarrêtable.
Avant ça, il faudrait que les rebelles dépassent leurs propres réticences, et s’entraînent pour être efficaces et ne pas se faire prendre.
Ces actions clandestines de sabotage généralisé pourraient avoir un rôle important et complémentaire des actions plus « habituelles ».
Mais personne ne sait au juste ce qui se passera, l’histoire reste imprévisible.
Un GJ de nos campagnes, rebelle de toujours