Entretien avec les grévistes du Park Hyatt Vendôme

Depuis le 25 septembre, les salarié.e.s du Park Hyatt Vendôme sont en grève. Dans ce palace où la chambre « de base » se loue à 1200 euros la nuit, femmes de chambre, gouvernantes et équipiers employés par STN-TEFID, grande société de nettoyage qui sous-traite l’hébergement, demandent leur internalisation au sein de l’hôtel. Avec eux, quelques salariés « internes », cuistos, serveurs exigent des augmentations de salaires. Les grévistes sont soutenus par la CGT-HPE, syndicat combattif qui mène depuis une dizaine d’années des grèves en région parisienne. La question de la représentation syndicale, aussi, est au cœur du conflit. Cette grève s’annonce longue et difficile mais la détermination est intacte.

Article publié le 11 octobre 2018 sur la Plateforme d’Enquête Militante.

Avec les grévistes : Marie et Ignassia, femmes de chambre, Leila, gouvernante, Nora, gouvernante et déléguée syndicale CGT-HPE, Aboubakar, équipier et délégué syndical CGT-HPE, Farès, valet de chambre, Sophiane, Mini-bar room-service, délégué du personnel, et Tiziri, animatrice syndicale, pour la CGT-HPE

Plateforme d’Enquête Militante (PEM) : Vous êtes partis en grève le 25 septembre, une grève qui dure déjà depuis deux semaines... Tous les jours, vous tenez un piquet devant l’hôtel, pour être visibles, faire du bruit.

On a l’habitude de travailler pendant six jours, eux ils ont pas l’habitude. On a l’habitude de travailler tous les dimanches, eux ils ont pas l’habitude.

Marie : On est là solidaires, on va pas lâcher. J’ai dit à mes collègues, il faut pas qu’on lâche. Parce que si on lâche, bon on en a marre on rentre, non !. Moi, franchement je vais préférer aller au chômage que retourner là la tête basse. Je préfère aller chercher du travail. Tous les jours on est là, tous les jours, de repos ou pas, que ce soient deux semaines, trois semaines, ou un mois. Tous les jours, je suis là, dès 6h30, parce que normalement je suis au travail à 7h, du dimanche au jeudi. Mon repos, c’est vendredi / samedi, or je suis là. On est là jusqu’au bout, jusqu’à ce qu’on gagne. Eux ils croient qu’ils vont gagner mais ils commencent à craquer, nous on a pas encore craqué. On a l’habitude de travailler pendant six jours, eux ils ont pas l’habitude. On a l’habitude de travailler tous les dimanches, eux ils ont pas l’habitude. Or maintenant ils doivent le faire.

Aboubakar : On a un piquet devant l’hôtel tous les jours à partir de 8 heures mais certaines sont là depuis 6 heures. On fait tout notre possible pour bloquer les entrées.

Nora : Chaque jour, il faut qu’on bloque les entrées parce qu’ils nous remplacent, ils emmènent du personnel. C’est pas évident de bloquer pour empêcher les travailleurs de STN de venir nous remplacer. Il y a 4 entrées, ils forcent. Quand il y a un côté où y a moins de monde, ils tentent. Parfois ils y arrivent, parfois pas. De nuit, à 3h du mat, ils paient un uber aux femmes de chambre et mettent une chambre en vestiaire pour elles, comme ça, elles sont à l’hôtel, tout va bien. Nous on arrive vers 5h30 et tout le monde est rentré.

A. : La sous-traitance, c’est très compliqué. STN emploie des salariés en situation précaire, ce qui les intéresse c’est de gagner leur journée. Leurs conditions sont dures, on les emploie 2 heures ici 3 heures là-bas. Nous on est là, on les bloque, qu’ils comprennent ou non, on peut pas les laisser rentrer.

Tiziri : Y a une clause de mobilité pour les salariés STN. Ils peuvent les déplacer d’un site à un autre. En plus, ils ont repris pas mal de marchés de luxe. Même si le travail est pas aussi bien fait, ils ont les moyens de faire venir du monde. Ils ont le Pullman Montparnasse c’est un 5 étoiles, ils ont le collectionneur, c’est un 5 étoiles, donc ils ont un peu de personnel capable de faire ce travail. Donc, STN, ils ont les moyens de casser les grèves. Là où nous on les coince c’est qu’ils respectent pas les délais de prévenance, font pas d’avenant aux salariés. Ils font les trucs à l’arrache. En fait, on peut pas encore attaquer, mais si eux attaquent au tribunal, on va répondre sur ce terrain.

A. : La police aussi veut pas qu’on tienne le piquet, qu’on fasse du bruit. Même hier, on était menacés d’expulsion. Ils ne sont pas passés à l’acte mais ils étaient là toute la journée. Du côté de l’hôtel, il y a un délit d’entrave : empêcher les délégués de circuler dans l’hôtel. On a fait du bruit dans le hall, ça leur a foutu les boules et depuis on peut pas aller aux toilettes ou circuler à l’intérieur de l’hôtel. La loi le prévoit normalement. On a déposé une plainte au tribunal, et le 10 octobre le juge va trancher. De l’autre côté, la préfecture veut pas qu’on fasse du bruit devant l’hôtel. Ne demandez pas aux salariés de ne pas faire de bruit, c’est un lieu public. La loi devrait dire qu’Hyatt est en infraction. Vous n’osez pas attaquer parce que ce sont des milliardaires. On peut pas gréver et aller à la plage, il faut qu’on fasse du bruit quand même.

N. : À l’intérieur, tout le monde fait les chambres, Hyatt ne respecte plus les horaires ni les jours de repos. Mon chef de service travaille tous les jours depuis la grève. Il n’y a plus de jours de repos obligatoires. Ils travaillent non stop, y a plus de loi maintenant ici.

Sophiane : Depuis le début de la grève, on est au courant de tout ce qui se passe. Mes collègues sont pas à l’extérieur, mais je suis ravi parce qu’ils donnent les infos. Je peux vous assurer, c’est catastrophique pour l’hôtel. On est dans une période, avec la fashion week, la haute couture, c’est archi-complet partout. Même les clients qui veulent partir, ils peuvent pas. Ils sont obligés de faire des remises à 50 % et la gratuité pour les habitués. Ça dérange, le bruit, tout ce qui se passe. Les clients sont là pour pas cher, ils bradent les chambres. En période creuse, le prix se négocie mais pas à cette période. En tout, il y a 154 chambres. La chambre à 1200, la chambre basique, c’est une petite chambre de 22 m2. Beaucoup de clients la prennent comme dressing, pas pour dormir dedans. Ça monte à 18 000 la suite.

Eux, ils viennent dépenser leur argent et toi, à la fin du mois, tu touches 1500 euros. Le petit déj’ c’est 150 euros. Faut se rendre compte de la réalité. C’est un autre monde.

Après on peut privatiser un étage, un demi-étage et ça monte beaucoup. Le chiffre d’affaires journalier est colossal. Y a des clients ils viennent juste pour une escale et ils laissent des fortunes... entre 20 et 30 000 euros. C’est un autre monde. Les stagiaires qui viennent des grandes écoles suisses - c’est très cher- ils sont habitués vivent déjà dans ce milieu. Les gens du management, ils sont déjà habitués à ce monde. Les nouveaux comme nous, au début, moi je les préviens, c’est un autre monde, tu dois pas t’y attacher, parce que quand tu sors de l’hôtel, il faut revenir à la réalité. Y en a beaucoup qui peuvent rentrer dans cette spirale, perdre pied rapidement. Ça donne énormément d’envie. La clientèle de ce monde peut être sympathique, on a des bonnes relations, on se dit « tu » mais c’est pas pour ça qu’on appartient à ce monde là. Eux, ils viennent dépenser leur argent et toi, à la fin du mois, tu touches 1500 euros, le prix pratiquement d’une chambre à la journée. Le petit déj’ c’est 150 euros. Faut se rendre compte de la réalité. C’est un autre monde.

PEM : Oui, c’est un autre monde. Est-ce que vous pouvez m’en dire plus sur le travail que vous faites dans l’hôtel ?

M. : Je suis femme de chambre. Quand on arrive, on s’habille, on met la tenue, on prend le matériel. Des fois, il manque du matériel : un aspirateur qui manque à un étage. Normalement, on a 2 aspirateurs par étage. Si l’hôtel est complet, on a 4 femmes de chambre par étage. Souvent, ce sont des très grandes chambres. La femme de chambre monte dans les étages, sort le chariot, met dans les chambres tout ce qu’elle doit mettre dans les chambres, l’aspirateur etc. On rentre, on ouvre les fenêtres, on enlève les saletés, on ramène le propre. On fait les plinthes, les hauteurs, le sol, la salle de bain. On met tout ce qui manque : serviettes, peignoirs, chaussons, on aspire et on sort de la chambre. Normalement, on nous dit 45 minutes mais des fois on trouve une chambre vous dépassez même une heure et quelques. Il y a des clients d’une nuit ils sont propres, des clients ils arrivent et en une seule nuit on dirait ils ont fait une semaine dedans. Alors, vous passez une heure une heure et demi pour nettoyer la chambre. Je suis femme de chambre mais on va dire que je fais tout. Des fois je fais les chambres, s’il manque un équipier, je fais. L’équipier, normalement c’est des hommes qui font ça : au cas où un client veut un lit bébé, ou veut un lit supplémentaire ou veut des cintres, quelque chose qu’il demande, comme ça, on le ramène. Si les femmes de chambres doivent faire un grand lit et pas un petit, ou l’inverse, on ramène une grande couette ou une petite couette et tout ce qui va avec. Pour les sanitaires, les toilettes si on doit les détartrer parce que c’est pas les femmes de chambre qui détartrent les toilettes si c’est vraiment vraiment très sale, c’est les équipiers. Ils ont un produit spécial, les tâches ou sur les toilettes trop sales. C’est pour ça que je dis je fais un peu tout. Le nettoyage de tous les bureaux personnels des Hyatt aussi, que ce soit ressources humaines ou management. Tout ça, je remplace aussi. S’il manque une personne, toujours je suis dispo. Enfin, tout ce qu’on me demande, si c’est pas hors la loi ou illégal, je le fais. Mais normalement, je suis femme de chambre. Quand tu es femme de chambre, tu dois faire bien ton travail pour qu’on te fasse pas retourner encore, parce que la gouvernante elle contrôle. C’est pas sa faute aussi elle a pas envie que sa chef lui dise qu’elle n’a pas bien fait son travail.

Leila : Comme gouvernante, on manage une équipe, de deux à quatre personnes. On contrôle le travail des femmes de chambre, on prépare en cas de demande spécifique des clients, on doit gérer les infos de la réception. Les clients vont à la réception et eux reviennent vers nous.

N. : Moi je suis gouvernante responsable du 3e étage. Je gère 4 femmes de chambre, 2 équipiers plus le contrôle de tout leur travail. C’est nous qui validons les chambres à la réception si y a un problème ou une plainte sur une chambre c’est notre faute. Je travaille ici depuis 2010. Avant, je travaillais au pullman hôtel.

S. : C’est mon premier palace. Je suis chef de rang en room service minibar. Je suis ici depuis 5 ans d’Hyatt. J’ai commencé au housekeeping, j’ai travaillé dans la restauration avant.

La soixantaine de grévistes du Park Hyatt Vendôme sont en grève depuis plus d’un mois maintenant. On peut les soutenir directement sur leur piquet quotidien, ou en donnant à la cagnotte en ligne : https://www.lepotcommun.fr/pot/1vpwil8t

PEM : Quelles sont vos revendications ?

On demande et on l’a déjà demandé en 2013, l’intégration des femmes de chambre, gouvernantes et équipiers au sein de l’hôtel.

N. : On demande et on l’a déjà demandé en 2013, l’intégration des femmes de chambre, gouvernantes et équipiers au sein de l’hôtel. On est le seul palace où l’hébergement est sous-traité, le seul palace de la place de Paris. Ils veulent pas gérer le personnel, s’occuper, payer. On demande à être internalisés. Pour eux, les salariés du Hyatt sont nos clients, alors que ce sont nos collègues. Au lieu que notre bureau soit avec les salariés du Hyatt, ils nous ont mis au -2, parce qu’on est pour la plupart syndiqués, avec des délégués. Ils veulent nous séparer. À la cafétéria, ils préféraient que les femmes de chambre viennent vers 14h pour qu’on se mélange pas avec les salariés de l’hôtel. Ils ont peur qu’on les emmène vers nous. Hyatt a toujours fait cette différence entre eux et nous. Mais sans ces salariés là, les femmes de chambre qui durent depuis 10 ans, 15 ans, Hyatt n’aurait pas obtenu le statut de palace. Grâce à ces gens-là, on était 4 étoiles puis on est passé 5 puis palace ça fait 4 ans ou 5 ans de ça. J’ai envie de dire, sans nous, ils seraient pas palace.

Ignassia : On fait le nettoyage, si on nettoyait pas correctement, ça allait jamais passer palace. Quand on est arrivés c’était un 3 étoiles, est passé 4, puis 5 étoiles et après passé palace. C’est nous qu’on devrait payer pour ça. Un grand palace, de luxe, on en a marre de la sous-traitance. Depuis bientôt 7 ans je suis ici, ils changent toujours de société. Alors qu’on travaille pour le même Park Hyatt, alors qu’on fait le boulot sale.

M. : Je travaille au Park Hyatt Vendôme, ça fait déjà 11 ans. On est là. On a envie d’être intégrés aux employés du Park Hyatt Vendôme, parce que chaque année ou tous les trois ans on change de société. J’ai eu déjà 3 sociétés, avant STN : la Française de service, Luxe et tradition. Quand je suis arrivée, une société était en train de partir.

La sous-traitance, c’est toujours, une société arrive avec ses conditions, elle part, une société nouvelle arrive puis repart.

Farès : La sous-traitance, c’est toujours, une société arrive avec ses conditions, elle part, une société nouvelle arrive puis repart. C’est comme marier divorcer, marier divorcer. On en a marre. On veut changer de système, être comme les autres hôtels. En plus, avec le temps qu’on travaille ici. Moi, j’aimerais bien qu’ils reconnaissent qu’on travaille dur, qu’on est mal payés.

M. : La plupart des gens qui travaillent à Hyatt, tu leur dis « Bonjour » le matin, ils te regardent de haut. Et pourtant, quand ils ont besoin de toi, surtout les réceptionnistes qui doivent satisfaire le client, ils sont là « Bonjour », « Merci », « C’est gentil ». Le lendemain, quand le client est dans sa chambre, tu rentres à la cafette tu lui dis « Bonjour », il te reconnaît même pas. Et ça c’est pas normal, je crois. Si on rentre et qu’on est intégrés au Park Hyatt, il va y avoir un peu de respect.

Moi je dis plus bonjour à qui me salue pas. Moi aussi je les regarde comme un chien. Ils sont riches mais ils sont tout petits.

I. : Nous on est là. Je suis prête pour dire au patron la vérité, même s’il est millionnaire. Faut qu’on nous respecte direct comme les autres. Aucune dignité. Les gens au Park Hyatt, tu leur dis bonjour, la personne elle te regarde comme un chien, comme une poussière. Aucune éducation, tu vois des camarades le matin, normalement, tu dis bonjour. Les gens te regardent de la tête au pied comme si tu es une catin [1]. Moi je dis plus bonjour à qui me salue pas. Moi aussi je les regarde comme un chien. Ils sont riches mais ils sont tout petits. Je viens gagner ma vie, pour m’occuper de mes enfants, je demande à personne de me donner, je gagne ma vie et je les regarde pas. Riche ou pauvre, tu viens sur la terre, tu retournes sur la terre. Ça sert à quoi l’humiliation ? Ils ont un grand palace ? C’est grâce à nous. On demande l’intégration. Les gens qui sont là aussi dans l’hôtel sont mal payés, minbar, room-service.

S. : On sort aussi à cause du mépris de la direction, par rapport à l’organisation du travail et aux salaires. Ils ont mis de l’argent dans la sous-traitance, en raison des grèves antérieures. Nous, on demande des augmentations de salaire pour atteindre le niveau de la sous-traitance, sachant qu’il y a des gens qui sont là depuis 15 ans mais touchent pas plus que quand ils sont rentrés. L’ancienneté, ça existe pas. C’est pour ça qu’aujourd’hui on fait la demande de 3 euros d’augmentation par heure pour équilibrer les salaires par rapport à la sous-traitance et aux autres palaces, sachant que notre palace c’est les plus bas salaires sur la place de Paris. Même des 4 et 5 étoiles touchent plus que nous.

Oui, on demande de l’argent pour les salariés de l’hôtel. Comme ils sont jamais descendus dans la rue, Hyatt les laissent au SMIC horaire.

N. : Oui, on demande de l’argent pour les salariés de l’hôtel. Comme ils sont jamais descendus dans la rue, Hyatt les laissent au SMIC horaire. Nous nos femmes de chambre elles sont à 14 et quelques. On s’est battus aussi dans la rue pour ça. Quelques-uns des salariés en interne sont descendus, sont venus vers nous. 3 euros de l’heure d’augmentation pour eux, franchement c’est pas énorme. Nous on a été augmentés deux fois et on a eu presque 5 euros d’augmentation de l’heure. Femmes de chambre équipiers gouvernantes, pour nous le problème n’est plus le salaire. Moi je demande une augmentation pour les réceptionnistes les bagagistes les pâtissiers même si ils peur de venir avec nous, en tant que déléguée je suis solidaire avec eux. Ils les menacent, disent on va vous griller, vous allez plus travailler sur la place de Paris. Nous on est grillés, tout le monde nous connait, alors on peut se battre pour eux. Mais cette grève là est la plus dure. Les autres grèves ont été pliées en trois quatre jours. C’est vrai que c’est un gros morceau ce qu’on demande. C’est plus seulement de l’argent.

On a le droit d’être élus et de voter mais, avec la loi Macron, on aura plus de candidats pour les représentants du personnel.

A. : Notre troisième revendication, c’est que pendant les élections professionnelles, on puisse avoir des délégués de proximité. On a le droit d’être élus et de voter mais, avec la loi Macron, on aura plus de candidats pour les représentants du personnel. On est perdants si on reste. En négociant avec Hyatt, on peut accéder à plus d’heures de délégation. Donc même si la loi nous est défavorable, on peut négocier avec Hyatt des heures qui correspondent aux besoins. Ce serait une manière de contrer les effets de cette loi. Quand on voit ce que dit la loi, elle favorise les accords d’entreprise. Si on se met d’accord avec le patron, la loi ne peut pas intervenir. La loi ouvre aussi la porte à des accords d’entreprise combattifs.

T. : Actuellement, on a beaucoup de délégués de la sous-traitance. Ce sont des délégués de proximité, ils font un travail de terrain. Quand les délégués sont des salariés, vivent avec eux, au contact quotidien avec les salariés, ils sont directement touchés par les revendications, il y a plus de suivi. C’est une implication réelle, pas de l’ordre de l’abstrait. Et c’est dangereux pour les patrons.

PEM : Cette grève n’est donc pas votre première grève. Cela fait maintenant plusieurs années que les salariés de la sous-traitance du Hyatt Vendôme ont montré leur combattivité. La situation au sein de l’hôtel Hyatt est assez exceptionnelle : les salariés de la sous-traitance sont mieux payés que les salariés en interne et d’une certaine manière, se battent aujourd’hui pour eux...

A. : Avant 2013, on a connu la misère ici. Et on a commencé à poser des revendications, à se mobiliser. On a quitté le SMIC pour une augmentation de 3 euros. Sans compter les primes. C’est très important. J’ai commencé à travailler ici en 2008. Et de 2008 à 2013, c’était la misère. En deux mots, tu es viré, en deux mots un avertissement.

F. : Avant, du temps de la Française de service, vous ouvrez juste votre bouche, premier avertissement, deuxième avertissement, troisième vous êtes virés. Ils te faisaient travailler comme des intérimaires. Ils te téléphonent un jour : « y a du monde, tu restes à la maison ». On a honte de ça maintenant. On va se battre jusqu’à la fin.

A. : Moi, en 2013, on m’avait donné le dernier avertissement, le prochain j’étais viré. À ce moment, j’ai averti le syndicat. Il y avait l’organisation de la grève et c’est ce qui m’a permis de ne pas être licencié. J’ai été mis sur la liste des élections professionnelles, donc protégé pendant 6 mois et c’est ce qui m’a sauvé. Actuellement, je suis délégué.

À l’époque, avant nos grèves, les conditions de travail étaient catastrophiques. Elles se sont améliorées grâce à notre section syndicale, nos délégués, nos grèves. C’est ma quatrième grève.

N. : À l’époque, avant nos grèves, les conditions de travail étaient catastrophiques. Elles se sont améliorées grâce à notre section syndicale, nos délégués, nos grèves. C’est ma quatrième grève. En 2013 et 2017 on a connu de fortes augmentations de salaire. En 2015, ça a été une journée, on a signé un accord honorable. Nos accords sont honorables. En 2013 on a eu le 13e mois, en 2014 on a eu une augmentation de 2 euros par heure. C’était aussi très difficile de venir voter aux élections professionnelles, il fallait se cacher. Ils étaient tous là les chefs de service, les pauvres salariés de Hyatt, ils avaient peur de s’afficher. On leur a fait des représailles. Un qui avait voté il travaillait de jour et après on l’a fait passer de nuit. Les salariés du Hyatt, à l’intérieur, ils sont pas bien non plus et du coup ils ont peur même s’ils nous soutiennent. Ils appellent, donnent des infos mais beaucoup osent pas affronter le patron. Je les comprends aussi, ils sont pas protégés. Nous on est délégués syndicaux, on est protégés. En 2011, un qui mangeait avec le délégué, quelques mois plus tard on lui a monté un dossier et on l’a mis à la porte. Ça a calmé tout le monde. Ça veut dire, « ne vous approchez pas des délégués ». C’est incroyable ce qui se passe à l’intérieur. Moi j’ai peur que toutes les boîtes en France soient comme ça. Ils crient qu’on a le droit, qu’on a le choix, qu’on a la liberté mais en réalité c’est pas vrai. Ce qu’on voit dans les boites, c’est qu’ils nous mettent la peur. Ça veut dire que, quelque part, on est pas libres. En tout cas, Hyatt c’est un univers très petit, mais ça parle du monde, de la société à l’extérieur.

T. : Au moment de la Française de service, les femmes de chambre ont obtenu un changement radical dans les conditions de travail. En 2013, c’était un paiement à la chambre. En plus, y a eu des dossiers au prudhomme et les femmes de chambre sont parties avec des gros chèques. Souvent, c’est ce qu’on fait quand on lance des grèves : c’est pour mettre plus la pression. Lancer des procédures collectives au prudhomme ça permet au moment de la grève d’exercer une pression sur l’hôtel. Parce qu’ils vont devoir dépenser plus, prendre des avocats, pour gérer les affaires. Et soit à la fin de la grève, on transige les dossiers – en général les employeurs veulent pas que les emmerdes continuent après la grève, ils veulent tout boucler en même temps. C’est ce qui s’est passé avec l’Holliday Inn [2]. On transige les dossiers et après on en parle plus. Soit les patrons jusqu’aux boutistes y vont et en général se font ramasser aux prud’hommes. Donc les salariés se disent, « Bon je sais à quoi sert le paiement de mes cotisations. J’ai un syndicat qui est derrière, peut gérer, si j’ai un problème, je vais pas me ruiner dans un cabinet d’avocat. » Pour le syndicat, c’est très important. Tu as un suivi des dossiers individuellement parfois, tu gères le truc au quotidien.

PEM : Les salariés de la sous-traitance de l’hôtel Hyatt forment une des sections les plus combattives de la CGT-HPE. Et il y a un lien fort, historique entre ces luttes dans la sous-traitance et la construction du syndicat..

I. : Les sous-traitants sont des voleurs, des malfrats. Ils sont pas d’accord avec l’internalisation. On doit commencer notre grève. On a commencé, voilà. La CGT bosse pour nous. Avec la Française de service, on faisait 9 10 chambres tu dépasses jamais les 1000 euros à la fin du mois. Luxe tradition arrive aussi, on avait la CGT-HPE, on a fait grève. Après c’est STN, on les connait, le même visage que la Française de service [3] Ils ont changé de société mais c’est les mêmes.

T. : Oui, l’Hyatt Vendôme est une de nos plus grosses sections. On a quasiment 80 % des salariés de la sous-traitance syndiqués dans l’hôtel. Les hôtels Hyatt font partie d’un groupe qui a racheté les hôtels de luxe appartenant la famille Taittinger, un empire qui n’existe plus actuellement. Historiquement, la CGT-HPE est le syndicat du groupe Taittinger qui est maintenant devenu, le groupe Hyatt, l’hôtel du Crillon, et LOUVRE HOTELS GROUP racheté en 2013 par un groupe hôtelier chinois. On se retrouve à être le syndicat de plusieurs hôtels. Dans le groupe Hyatt, on est très implantés. Au Hyatt Regency, notre plus grosse section, on a 200 syndiqués sur 650 salariés. On peut dire qu’on est le premier syndicat à s’être intéressés à la sous-traitance. L’US (Union syndicale) commerce était présente dans l’Hyatt, avant, mais elle ne s’y intéressait pas. Au moment de la première grève de 2013, les femmes étaient payées à la chambre et gagnaient en moyenne 800 à 900 euros par mois. Depuis, on a un suivi régulier et c’est une de nos sections les plus fortes. Si bien qu’en septembre 2017 elles ont menacé de faire grève et elles ont obtenu immédiatement une augmentation de 225 € par mois en moyenne. Y a un rapport historique, presque familial avec la CGT-HPE. Nous, on a une caisse de grève statutaire, c’est-à-dire qu’on paie 42 euros par jour à partir du deuxième jour grévé ; les salariés disent : « je sais à quoi servent mes cotisations ». Les salariés cotisent à peu près 1% sur leur salaire. Je gagne 1200 euros je paie 12 euros de cotisation, et c’est que dalle vu que l’État te rembourse les deux tiers. Et je sais qu’en cas de grève, j’ai mes 1000 balles. Donc ça crée des liens de confiance. Les salariés savent qu’ils sont pas avec un syndicat qui va être à la traîne, mais qui va les suivre.

En face, on a la CGT du nettoyage, un syndicat inégalable en termes de corruption, de pourriture. Y a des proximités entre certains secrétaires généraux et le patronat. François Ngiangika, secrétaire général de la CGT nettoyage, il va marcher avec ses pieds dans les conflits pour casser les grèves. C’est lui qui démandate les délégués les plus sérieux. Sur un conflit en 2013, où un camarade, Issa Coulibaly, qui travaillait chez Isor était DS, Ngiangika s’est pointé sur le piquet, il a dit « reprenez le travail ». Issa a dit « t’es qui ?, on va continuer » Ils ont mené le combat jusqu’au bout, ils ont obtenu satisfaction de leurs revendications. Mais six mois plus tard, le camarade a été démandaté, a perdu son statut de salarié protégé et il a sauté, il a été licencié par ISOR. C’est aussi ça la réalité. Une salariée gouvernante a été licenciée, soi-disant, elle aurait pas justifié en temps et en heure d’un arrêt maladie. C’est Léontine Dalle de la CGT-propreté qui a témoigné dans le dossier au prud’homme contre la salariée. Du temps de la Française de service, ils venaient ici signer des attestations aux femmes de chambre comme quoi elles suivaient des formations. D’ailleurs ils ont été condamné au pénal pour avoir escroqué 2 millions d’euros à un organisme de formation, quand même. Donc les salariés, c’est des choses qu’ils ont vécues. Au Hyatt, les grévistes veulent pas revenir à ces syndicats pourris, parce qu’ils les connaissent. Quand on dit, plus de syndicat camarade, on revient au temps de Salimata et Léontine Dalle, c’est un souvenir frais, ça a un écho dans leur tête. Pour tout ça, les gens se mobilisent. Ici, les salariés de la sous-traitance, ils les connaissent très bien, c’est important pour comprendre pourquoi y a autant de mobilisation.

PEM : La revendication de délégués de proximité pour les salariés de la sous-traitance est directement liée au contenu des ordonnances Macron. Est-ce que vous pouvez revenir là-dessus ?

T. : Dans cet hôtel, il y a une situation particulière : il y a des instances de représentation de l’hôtel et des instances de représentation de la sous-traitance. Un comité d’entreprise (CE) et des délégués du personnel (DP) pour Hyatt et pour la sous-traitance. Le CE discute des questions techniques, qui touchent à l’économie de l’entreprise, sa gestion. C’est l’institution de la collaboration de classe en fait : tu discutes avec le patron sur ce qui va, ce qui va pas... Il y a aussi le CHSCT, un organe très important, parce que c’est là où tu peux poser les questions de santé et de sécurité. Tu peux déclencher des enquêtes, suite à la restructuration d’un service, pour voir l’impact sur les salariés. Chacune de ces instances a son rôle, parce qu’en fait des informations remontent, dans un sens et dans l’autre. Le danger, c’est qu’au 31 décembre 2019, toutes les entreprises en France doivent finir avec les anciennes instances et mettre en place des CSE (Comité social et économique). Ça c’est les ordonnances Macron : toutes les entreprises de plus de onze salariés doivent mettre en place ces élections.

Si les salariés de la sous-traitance décident d’exercer leur droit de vote sur leur lieu de travail, ils perdent le droit de se présenter chez STN.

Et c’est le moment où les mandats des délégués de l’hôtel Hyatt et de la sous-traitance arrivent à terme. Ces ordonnances disent aussi que les salariés de la sous-traitance sont électeurs mais pas éligibles sur leur lieu de travail et y a plus de droit d’option. Si les salariés de la sous-traitance décident d’exercer leur droit de vote sur leur lieu de travail, ils perdent le droit de se présenter chez STN. D’un autre côté, les instances de la sous-traitance, ils vont plus les avoir parce que STN qui a repris le marché en décembre 2017 a affiché les couleurs dès l’arrivée. Ils ont dit : « nous, on a un CSE, nos instances, nos syndicats pourris l’ont validé (actuellement CFDT désormais syndicat majoritaire, CGT nettoyage et en 3e FO). » Donc une seule instance pour une boîte de 4500 salariés qui a des chantiers partout en France. À ce moment-là, on s’est retrouvé à la Direccte (Direction régionale des Entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l’emploi en Île-de-France) et les salariés ont dit « pas de problème, on va faire grève ». Alors STN a dit « ok, on verra en 2019 ». Concrètement, fin 2019, les salariés risquent de se retrouver avec 0 délégués, ni chez STN parce qu’ils ont un seul CSE central, ni le droit de se présenter aux élections dans l’hôtel. Ici, ça va être la chasse aux sorcières.

En plus, avec les ordonnances, les accords ont une durée de vie de 5 ans maximum et ils peuvent être dénoncés à tout moment par le patron. Chaque société a le droit de dénoncer un accord à n’importe quel moment. S’ils décident de le dénoncer, c’est une question de rapport de force. À côté, au Grand Hôtel, ils sont en pleine négociation parce que les patrons veulent revenir sur un certain nombre d’acquis sociaux. Ils bénéficient d’une situation particulière, ils ont un 14e mois. Et les patrons ça les arrange plus. En fait, ils veulent dénoncer les accords. Du coup, il faut rester tout le temps vigilants. Au Pullman Montparnasse fermé pour travaux, y a eu un PSE, certains vont revenir et y aura certainement de nouvelles embauches, les accords d’avant sont dénoncés. Donc y compris pour les anciens salariés, ça va être le statut social le plus bas, taux horaire de base, zéro prime, à part la prime de panier dans la convention collective, sinon y a rien. Souvent, c’est les périodes de travaux, que les patrons utilisent pour dénoncer les accords. Mais, de toute manière, les accords sont dénonçables quand ils veulent.

Avec les ordonnances Macron, les employeurs ont aussi la possibilité de contourner les délégués syndicaux. Les DS sont désignés par le syndicat, mandatés par le syndicat, c’est eux qui ont la possibilité de négocier et de signer des accords, contrairement au DP, élu. Le danger est que si on lui retire son mandat, le DS saute alors que le DP il doit toujours finir son mandat. Il faut que ce soit une entreprise de plus de 50 salariés pour avoir un DS. Les ordonnances divisent les thèmes de compétence en 3 : la loi nationale, les accords de branche et les accords, d’entreprise, en fonction des thèmes les accords de branche ou d’entreprise peuvent primer. Et encore, si y a eu des accords avant janvier 2019. Le rôle des délégués va être négocié branche par branche, seulement si il y a un accord avant janvier 2019. Ça va être un massacre, littéralement. Nous, on a écrit aux instances de la CGT, mais aucune réponse.

La CGT, c’est des branleurs derrière leur bureau, ils savent plus comment c’est dans une putain de boîte. Et ils se goinfrent avec les sous du paritarisme.

La CGT, c’est des branleurs derrière leur bureau, ils savent plus comment c’est dans une putain de boîte. Et ils se goinfrent avec les sous du paritarisme. L’argent du paritarisme, pour la formation, c’est ce que les salariés cotisent, c’est souvent sur ta fiche de paie. Cet argent va dans un pot commun entre structures représentatives et fédés patronales. Sur cette somme là tu as 3 millions d’euros pour la fédé du commerce. Cela change complètement le rapport au syndicalisme. Jusque là, les structures syndicales vivaient des cotisations, leur argent venait de ça. Les cotisations, aujourd’hui, c’est 10 15% du budget de fonctionnement. Si aujourd’hui, la hiérarchie de la CGT s’en fiche et est prête à désaffilier des structures combattives, c’est parce que leur argent vient d’ailleurs. La CGT-HPE et ses 1000 adhérents leur rapportent max 70 000 euros par an. C’est que dalle, par rapport au budget de la fédé commerce qui est de 5 millions d’euros. C’est plus la source d’argent principale. Ils s’en foutent royalement. Au niveau des structures, tu vois de ces choses, c’est hallucinant. Ils te regardent, t’appellent camarades, ils votent une résolution « reconstitution de la communauté de travail » et après ils te disent : « un salarié c’est un code APE ». Quand, à la CGT-HPE, on ramasse les cotisations, sur 12 euros, 4 euros montent à l’UD, 4 euros à la fédé Commerce et le reste pour le syndicat, le bazar du quotidien, les grèves. Mais le mouvement inverse ne marche jamais. L’argent ne redescend jamais. Ça me rend folle. Quand t’as 40 salariés en grève, tu peux rester 4 mois dans la rue, la fédé te donne un chèque de 500 euros. Moi je vais dire à Montreuil : vous louez un stand à la fête de l’Huma, 60 000 euros pour faire des tee-shirts CGT, faire la fête.. etc. et une grève où on demande l’internalisation vous donnez un chèque de 1000 euros ! Oui, y a des choses qui se développent, avancent un peu, notamment dans les services. Mais avec tous les moyens qu’on a, on pourrait faire beaucoup plus.

PEM : Comme vous l’avez dit, cette grève-ci est une grève difficile, qui sera plus longue que toutes les grèves antérieures. Comment est-ce que vous faites pour tenir dans le temps ?

T. : Nous, on a dit aux salariés, le syndicat sera avec vous jusqu’au bout. Et tous les jours de grève seront payés d’une façon ou d’une autre. De toute façon, on part pas si on a pas au minimum 50 à 70 % de personnes syndiquées. Parce qu’en fait, il faut construire le syndicat. On fait pas des grèves pour partir en grève et après on sait pas comment ça va se passer. On fait tout pour bien préparer les grèves et après on fait voter le principe de la reconductible. Il faut que les gens sachent que quand tu pars en grève ça peut être pour 2 jours, ça peut être pour 4 mois, il faut que les gens soient d’accord avec le principe depuis le début. Il faut tenir dans une grève, il faut faire les choses bien, de manière structurée Cela permet aussi d’avoir un suivi des acquis. Un acquis n’est jamais réellement acquis. Mieux vaut prendre 2 mois pour organiser une grève avant qu’elle parte, qu’un départ si tu es sûr de rien. C’est ce qui s’est passé au Renaissance Trocadérao où on a fait une grève de 2 jours, début juin 2018. Grâce aux différentes grèves antérieures, on a été contacté par une salariée, on avait alors 0 délégués et 0 syndiqués dans l’hôtel. Elle est venue nous voir pour dire : « la situation est lamentable, on est en bas de l’échelon, on veut bien partir en grève ». Cette dame a d’abord fait le travail, elle a syndiqué les gouvernantes, les femmes de chambre. Après un courrier sans suite, elles ont fait 2 jours de grève. Elles ont obtenu la prime de panier, des augmentations du taux horaires, le payement de deux jours de grève. C’était assez intéressant pour elles. C’est ce qu’on fait systématiquement quand on est approchés par des camarades.

Parfois il faut 2 mois de préparation, parfois y a un ras-le-bol qui est déjà très fort tout le monde prend sa carte en même temps, tu peux syndiquer tout le monde le même jour, le lendemain une réunion de préparation et ça part très vite, les gens sont chauds.

Parfois il faut 2 mois de préparation, parfois y a un ras-le-bol qui est déjà très fort tout le monde prend sa carte en même temps, tu peux syndiquer tout le monde le même jour, le lendemain une réunion de préparation et ça part très vite, les gens sont chauds. Quand t’as 70% des personnes avec toi, les patrons rigolent pas, ils plient facilement. Cette grève au Hyatt Hôtel, c’est le moment ou jamais pour les patrons de se débarrasser de cette section si importante pour nous.

M. : J’ai déjà dit à mes collègues que je réserve le sapin de Noël. Si on doit aller jusqu’au mois de décembre, pas de problème.

I. : Je suis fatiguée parce que je viens même sur mon jour de repos, mais je vais pas baisser les bras. J’habite Sarcelles, je mets une heure à venir. Châtelet / opéra direct. Parfois, il y a des problèmes, et à Sarcelles je dois prendre le tramway pour rentrer chez moi. J’ai des enfants, je dois les récupérer, je travaille à la maison, je travaille ici c’est pas facile mais je m’accroche. Ils nous appellent les putes. On veut seulement être respectées dans notre travail.

M. : Le quotidien de la grève et celui du travail, c’est la même chose, on a l’habitude. Moi je me lève toujours à 5 heures, je me pointe à 6h30 ici, je prends mon café tous les jours. J’habite à Grigny, RER D, je mets une heure à venir. Donc rien qui a changé. À 15h30, je dis à mes collègues je pars et les autres qui sont arrivés après restent jusqu’à 18h. Je fais mon ménage, la bouffe, je regarde les enfants, je discute un peu de ce qui s’est passé à l’école si y a des mots à signer je le fais et voilà. J’ai trois enfants mais solidaires même. Je leur ai expliqué. Vu qu’ils ont l’habitude de me voir le vendredi je les accompagne à l’école, j’ai expliqué que je travaille mais l’après-midi on se voit ; j’ai expliqué la grève. Ils ont onze ans huit ans et deux ans et demi ; ils disent on va prier. Gérer la maison, on a l’habitude, on fait ça tous les jours. On sort du travail, on rentre, on cuisine, on regarde le cahier des enfants. On jette un coup d’oeil au moins. Vrai que c’est pas comme une femme au foyer, mais on jette un œil quand même. Quand il y a des réunions à l’école, j’arrive en retard mais je dis à mes collègues que je prends la journée pour aller aux réunions de parents d’élèves. Ou a l’hôpital ou quoi que ce soit. Mais sinon on gère, on a déjà l’habitude de le faire.

C’est la première fois, la première grève de la vie. Franchement, ça rapproche les gens. C’est plus des relations de collègues de travail. On se bat tous pour la même chose

S. : Ces femmes là c’est des championnes, des guerrières, les féministes ont beaucoup à apprendre chez elles. Moi je dis aussi, la solidarité des gens, ça rapproche. J’ai jamais participé à une grève de ma vie. C’est la première fois, la première grève de la vie. Franchement, ça rapproche les gens. C’est plus des relations de collègues de travail. On se bat tous pour la même chose, ça va permettre dans le futur d’être pratiquement une famille, des gens qui vont être encore plus soudés. C’est une relation humaine une grève. Tout le monde pense la même chose, on est dans un combat. On parle entre nous, même la personne qu’on connaissait pas, avec qui on avait pas de relations. Humainement, c’est super jouissif, même.

Notes

[1Pour donner une idée du mépris de STN, T. nous dit : « Au Pullmann Tour Eiffel, l’inspecteur de STN sur le site, le type qui gère les femmes de chambre, un tyran, il appelle pas les femmes par leur nom, il les appelle « les putes ». Il dit, « moi mes putes, je vais les chercher à Barbès et à Château-rouge, j’en ramasse dans les paniers » ».

[2Grève de 4 mois menée par les salariés de l’hôtel Holliday Inn porte de Clichy, grève victorieuse menée par la CNT-SO et la CGT-HPE.

[3La Société La Française de Service a été rachetée par STN.

Localisation : Paris 8e

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