En mémoire de Paul Mazy, résistance à une expulsion musclée à Ivry

Le 10 septembre 2014 à l’aube, un collectif de squatteur/euses se faisait attaquer et expulser du 3 rue Paul Mazy (Ivry-sur-Seine) par des brutes à la solde du propriétaire, la SCI SALTO. Mais c’était sans compter la pugnacité des occupant-e-s.

Résister à l’occupation, occuper pour résister.

Sur le site de la Mairie PCF d’Ivry sur Seine, on peut lire une brève histoire de Paul Mazy. Electricien monteur à la SNCF et résistant du réseau « Résistance fer », il fut arrêté par les nazis en septembre 1942 avant d’être fusillé avec deux autres cheminots ivryens au Mont Valérien le 21 novembre 1942. Le 27 juillet 1945, le conseil municipal donna le nom de Paul Mazy à la rue des Champs-familieux...

C’est le propre des Mairies PCF de baptiser toutes les rues de leurs communes des noms de résistants ou de révolutionnaires, comme pour se remémorer leurs moments de gloire perdue, triste PCF réduit à n’être plus qu’une composante du système capitaliste et bien souvent complice au niveau local de cette chasse aux pauvres menée par les urbanistes et les spéculateurs de tous bords.

C’est donc à la mémoire de Paul Mazy que nous dédicaçons notre résistance à l’urbanisation galopante dont la Mairie d’Ivry se rend complice en livrant sa commune pieds et poings liés à une transformation urbaine des plus iniques, tout en feignant de chercher des solutions au problème du logement.

Naissance et mort subite d’un projet sympa.

Lorsque nous sommes entré-e-s dans les bâtiments désaffectés du 3 rue Paul Mazy, nous avions des projets à mille lieues de ceux des élu-e-s et de leurs ami-e-s promoteur/ices immobiliers. Nous avions cette ambition un peu candide d’apporter de la vie, une vie réelle faite de rencontres et de moments partagés, de débrouille et de résistance à l’existence normée qu’on nous impose. Nous espérions y voir émerger des ateliers collectifs dans lesquels chacun-e pourrait venir réparer son vélo, apprendre à coudre ou travailler le bois ou le métal, fabriquer des affiches et des supports d’expression politique... Nous pensions ouvrir les portes au voisinage, organiser avec lui des repas de quartier et des moments conviviaux.

Mais peu importe notre légitimé à occuper des espaces laissés vides par les spéculateur/trices : aujourd’hui comme hier, ce sont les possédant-e-s qui ont le maître-mot. Entré-e-s au 3 rue Paul Mazy le 5 septembre, nous en sommes ressorti-e-s le 10, chassé-e-s par des mercenaires armés de barres de fer et de chiens. Les jours précédents l’opération punitive, une personne du service domanial de la Mairie, Madame Morel, tournait autour du lieu, profitant d’une balade pour arracher nos affiches à l’adresse du voisinage. Le lundi, des policier-e-s étaient même venu-e-s chercher des noms et des preuves de notre habitation, avant de s’en retourner dans leur volière.

Mais en dépit de cette surveillance, une équipée sauvage d’ouvriers maçons (entreprise de maçonnerie SNCR sise à Epinay sur Seine) et d’agents de sécurité (boîte de sécurité Boudraf Artiges Cherif sise à Paris 20e), piètres esclaves à la solde des patrons, ont défoncé le portail à l’aube du mercredi pour nous attaquer dans notre nouveau chez-nous. Autant dire que nous n’étions pas préparé-e-s à l’éventualité d’un assaut de ce genre, sinon quoi nous aurions prévu, peut-être, de quoi mieux nous défendre.

Surtout ne pas se laisser démonter.

L’affaire semblait pliée, en tout cas pour Monsieur Frédéric Lefebvre [1], l’homme envoyé par la SCI Salto [2], petit patron aux cheveux bien coiffés et à la mèche insolente, arborant pour mieux faire illusion sourire en coin et humanisme de façade. Que neni, car nous n’avons pas l’habitude de laisser les maîtres imposer la terreur dans notre cour d’école.

Nous avons donc décidé d’adopter la stratégie bien connue du teckel, celle qui veut qu’on ne déserre pas la mâchoire une fois qu’on a attrapé le mollet. Dans les jours qui ont suivi, nous avons distribué près de cent tracts dans toutes les boîtes aux lettres de la rue, y compris celles des lofteurs qui profitent de la rénovation urbaine pour coloniser les quartiers populaires. Nous avons également collé le texte sur les murs du quartier.

A cette occasion, nous avons pu rencontrer des voisin-e-s révolté-e-s par ce qui s’était produit sous leur yeux. Réuni-e-s dés les jours suivants, il/elles ont rédigé une lettre sans compromis à l’adresse de la Mairie, dénonçant au passage son absence de réaction à leurs demandes répétées concernant les risques liés à la pollution des sols (le 1 et le 3 rue Paul Mazy étant situés sur une zone polluée), lettre qu’il/elles ont affiché dans les halls de leurs immeubles et distribué dans les boîtes aux lettres du voisinage.

Entre temps, le propriétaire du 3 rue Paul Mazy a fait installer des tessons de verre sur les murs de sa propriété et s’est employé à rendre la maison de gardien inhabitable, en arrachant les tuyauteries et en perçant la toiture, laissant sur place de façon permanente un gardien et son chien. Une vision bien éloignée de celle qu’on voulait créer, ce qui n’a pas échappé aux voisin-e-s d’en face, très peu réjoui-e-s de voir s’ériger un camp de concentration sous leurs fenêtres.

Une fois n’est pas coutume, pourtant nous reviendrons.

Finalement, le 25 septembre, nous avons fait une intervention tonitruante au Conseil Municipal, simulacre de démocratie où l’objet des débats est décidé par avance, pour rappeler aux élu-e-s et aux personnes présentes que nous ne laisserons plus passer les pratiques mafieuses des propriétaires et le laisser-faire de la Mairie. L’adjoint Bouyssou, celui-là même qui sert des sourires faussement compatissants aux expulsé-e-s et aux exproprié-e-s du projet Ivry Confluences, a aussitôt levé la séance pour aller se réfugier dans l’escalier, faisant appeler les serviteurs de l’État pour contrôler nos identités sur le parvis de la Mairie. Encore une belle leçon de démocratie offerte par nos communistes en papier. Notons au passage qu’un collectif de riverains réactionnaires a pris la parole après nous pour demander d’accélérer l’expulsion du camp de roms d’Ivry, sans que personne ne leur demande de justifier de leur identité. Ils ont même pu échanger quelques bons mots avec les policier-e-s venu-e-s sauver la République en danger...

Les mêmes policiers exprimant ouvertement leur point de vue sur notre expulsion, estimant que le propriétaire ne s’était pas montré assez violent à leur goût. Ils nous ont aussi prévenu qu’un procès verbal allait être rédigé contre nous, pour avoir installé les tessons de verre sur le mur du 3 rue Paul Mazy. Bluff ou cynisme ? Quoi qu’il en soit, pas de quoi nous déstabiliser : rien de plus que les intimidations de routine du policier sans instruction.

Et une fois que nous étions sorti-e-s et que le spectacle démocratique avait repris son cours dans la majestueuse salle du Conseil Municipal, l’adjoint Marchand s’est empressé de dédouaner la Mairie en rappelant combien la propriété privée est sacrée et combien les squatteurs sont des délinquants. Les communistes au secours de la Propriété, Karl Marx doit se retourner dans sa tombe !

Ni vainqueurs ni vaincus. Mais nous viendrons rappeler aux élus d’Ivry que « communisme » n’est pas un vain mot pour berner les bobos [3].

Paul Mazy est mort, vive Paul Mazy !

Lettre aux voisins :

Lettre des voisins :

Note

Texte porté par certain-e-s des occupant-e-s de la rue Mazy, il n’engage aucunement l’ensemble des personnes concernées.

Notes

[1Pas de doute, c’est bien lui : http://fr.linkedin.com/pub/lefebvre-frederic/5/1b7/437

[2Sur la SCI Salto et son patron Hervé De Vriendt, voir http://french-corporate.com/french-corporate/528/619/463/528619463-SALTO.php

[3A lire, les boniments et grandes envolées lyriques de la Mairie d’Ivry : http://www.ivry94.fr/les-elus/mandat-2014-2020/programme-municipal-2014-2020/

Mots-clefs : expulsions | restructuration
Localisation : Ivry-sur-Seine

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