Dissensus vs consensus
Toutes les alliances théoriques et révolutionnaires ne vont pas de soi -
Gardons vivant le droit de nous diviser dans certaines circonstances.
Nous sommes, assumons, une poignées d’irrécupérables.
Et pourtant...Rarement notre joie ne fut si grande que ce 28 novembre lorsque s’élevèrent les flammes de la Banque de France - Des flammes consumant un symbole fétide.
La vue des flammes léchant le ciel au crépuscule, on s’en lesterait volontiers chaque soir en guise de thymo-régulateurs -
Il ne manque plus à notre extase qu’un Médef international s’écroulant sous le poids de sa propre infamie, ainsi qu’une substantielle quantité d’agences régionales de santé réduites en particules.
Ce qu’il nous faut, pour abattre la mélancolie d’une telle séquence historique aux couleurs de barreaux (de taule), c’est la rogne maintenue ardemment contre l’État, l’éclatement de toutes les sociétés d’assurance, mais aussi quelques réponses « adaptées » à l’endroit des porcs de Valeurs Actuelles (leur suffisance) « Porc » (précisons) n’étant ici qu’une métaphore d’Ulrike s’adressant naguère aux fanatiques yankees usant du napalm contre les populations civiles d’un Viet-Nâm trimant pour sa liberté.
Nous n’oublierons pas enfin de sélectionner quelques réponses spécifiques à l’adresse des miliciens qui abîmèrent nos camarades à la dernière manif supposée interdite !
Tout ça pour dire notre fièvre, notre furie toute de liesse mélangée, quand nous constatons émerveillé(e)s que la foule relève la tête et met à sac quelques symboles supposés intouchables.
En 2016, miracle, le drapeau noir refît bruyamment surface et l’action insurrectionnelle s’est réveillée comme au temps des Gazolines (1972-1974) ou en 1986 quand 200 mutants affrontèrent les flics devant le squatt de Montreuil « l’usine », certain(es) s’en souviennent. Notre intention n’est donc pas d’opposer les stratégies mais de privilégier l’action.
Il y a du suif entre nous et l’État ! "le plus froid de tous les monstres froids". C’est chose bien connue.
Nous n’omettons pas la puissance bancaire, on l’aura déduit, elle est notre première cible, puissance dérégulée ou pas. Seulement voilà, nous entendons d’ici la jactance des syndicats « officiels » : « C’est trop ! C’est trop de violence ! ». Ouais, voici ce qui distingue réforme et révolution.
Nous n’aspirons qu’à une chose : pulvériser ce "transcendental" qui a pour nom néo-libéralisme ou ordo-libéralisme, au choix. Nous ne voulons pas d’un système plus clément pour le peuple, nous voulons l’abolition des conditions de possibilité de tout système inégalitaire. L’atomisation systémique de tout ce qui fait que cette terre est massacrée. Il nous est insupportable, en outre, que le taux de violences conjugales puisse ainsi battre des records d’intensité à chaque confinement, instaurant au passage une paix sociale ignoble.
Une banque véhicule pour nous, tout un système de représentations économiques, culturelles fortement intériorisées. C’est à ces introjects (inconscients) que nous montrons les dents. Nous n’imposons à personne notre anarchisme, chacun son bréviaire. Liberté et dissensualité.
Cependant, pour nous, pas d’avant-garde du prolétariat, pas de blanquisme, de racialisme, ni même de pacifisme universaliste. L’anarchiste a trop fait les frais des prétendues « alliances stratégiques » contre les pouvoirs centraux. L’histoire regorge d’exemples. De Malatesta trahi durant l’insurrection de Bénévent, en passant par Voline victime d’un double-discours tenu par Trotsky, sans parler de la mort suspecte de Durrutti. Relisons nos classiques. Les autoritaires ont l’art et la manière de proclamer haut et fort « tous unis pour la cause » puis de retourner leurs calibres contre les anarchistes une fois l’objectif atteint, les autoritaires se substituent aux autoritaires. C’est pourquoi l’élément dissociatif dans la lutte reste un libre-choix, une possibilité qui ne nous effraie pas.
Notre propos n’est pas forcément polémique, néanmoins le politique (au sens vivant du terme) doit rester dissensuel ! il ne négocie pas, il excècre le consensus. Ce qui nous fait brûler d’espoir dans la présupposition politique de Joseph Jacotot, celle d’une « égalité des intelligences » c’est tout ce qu’elle engage comme promesse d’horizontalité (cette présupposition est un crachat au visage des chefs de meute).
Ici peut-être un désaccord peut s’instaurer entre drapeau noir et certains gilets jaunes tolérant la fleur de lys dans leur cortège. Ce que charrient les significations fixées sur chaque drapeau conserve son importance. Cela en dépit du fait qu’immense fut notre ferveur de voir un fenwick défoncer une porte de Ministère. Pareil pour ce Jab de boxeur suivi d’un crochet fulgurant. Mais ces phénomènes demeurent isolés, galvanisants mais isolés. L’Arc de triomphe méritait d’être saccagé (et plus encore) mais pourquoi faut-il qu’aux libertaires, se soit mélangé le douteux drapeau tricolore ? Là est la question également : que vient foutre cette imagerie dans un processus révolutionnaire anti-autoritaire ?
Nous n’avons pas d’identités fixes, pas de désirs de retérritorialisation nationale, nous sommes incomptés, incomptables, partout et nulle part, la substance individuelle ou collective nous fait horreur, elle empeste l’hypostase, le citoyen reconstitué est encore trop mécanique, mimétique.
Fantômes nous sommes et fantômes demeurons pour les "roussins" (schmidts). Ce statut de fantômes est une chance.
Nous ne sommes "personne" (pas « d’être » générique) nommons cela un « égicide » (pourquoi pas) une dissolution de toute forme d’égo politique ou de narcissisme. Désidentification salutaire.
La révolution est aussi un fait moléculaire !
Nul n’est censé nous suivre s’il n’est pas librement engagé- Néanmoins, il n’y aura pas pour nous d’alliance possible avec les stal’, les fafs, les soc-dem’ ou les têtes de proue bouffies de virilité. C’est au prix de cette résistance que la maxime anti-autoritaire conserve une chance infime de durer, fut-elle une simple asymptote logée dans un temps qui se défait.
Marinetti, dans son célèbre (et "provoquant") manifeste futuriste de 1909, sût utiliser les mots qu’il faut pour embobiner une bande d’incendiaires dans ce qu’il pensait être la révolution. Problème : parfois la métaphore se prend les pieds dans le tapis (ou à la lettre) et quelques années plus tard, après 1922 et la marche sur Rome de Mussolini, Marinetti fit allégeance au Duce lui-même et prit sa carte au parti fasciste ! il faut croire que subsiste au plus profond de l’homme un résidu équivoque, inquiétant de "fierté" nationale, résidu qu’en tant qu’anarchistes nous haïssons et repoussons de toutes nos forces. De fait, il est des dissociations salvatrices.
Bref, de quel cauchemar identitaire augurent ces symboles dans les manifs ? L’avenir le dira. En attendant n’ayons peur ni de la division, si elle s’avère inévitable, ni des SO reconstitués et utilisés contre nous. Nous gardons intactes nos rages, poings serrés, fut-ce le dos au mur ( voire même un genou au sol)
Signé : Quelques moutards de la « Panthère des Batignolles » et du Belleville apache.