Dissolution de Génération Identitaire : une victoire en trompe-l’œil ?

Si la dissolution du groupuscule néofasciste Génération Identitaire est une défaite pour l’extrême-droite extra-parlementaire, elle n’entrave pas pour autant le processus de fascisation de l’État et de la société. Bien au contraire.

Les origines du fascisme

Apparu après la Première guerre mondiale, le fascisme a été la réponse de la bourgeoisie monopoliste à l’intensification des luttes prolétariennes et au renversement du régime tsariste survenu en 1917. Les organisations fascistes ont émergé pour combler les lacunes politico-militaires du système parlementaire confronté au développement de situations révolutionnaires susceptibles de déboucher sur le renversement de la bourgeoisie.

Longtemps considérée comme une menace par la bourgeoisie, la social-démocratie assumait désormais un rôle de rempart contre-révolutionnaire en ce qu’elle sapait la conscience de classe du prolétariat : en prônant l’union du prolétariat et des classes « moyennes » ou petites-bourgeoises et en adoptant la voie d’une réforme légaliste progressive du capitalisme, la social-démocratie était un agent de pacification des antagonismes de classe. Or, non seulement ce rempart paraissait de moins en moins fiable et solide face au péril rouge, mais il faisait également un obstacle à la volonté d’une partie de la bourgeoisie (la bourgeoisie monopoliste, plus réactionnaire) d’instaurer un régime autoritaire voire dictatorial pour mater une bonne fois pour toutes le prolétariat organisé.

Les organisations fascistes visaient également à compenser l’inutilité des formations conservatrices, trop légalistes pour avoir recours à la violence ouverte face au mouvement ouvrier, et incapables de développer les structures paramilitaires nécessaires à l’instauration d’une dictature. L’apparition du fascisme a donc répondu à cette double nécessité pour la bourgeoisie monopoliste : la création d’une troupe de choc capable de briser les reins du mouvement ouvrier, et la neutralisation d’un système parlementaire jugé trop encombrant et libéral pour permettre à cette troupe de choc d’accomplir sa tâche.

À ce propos, n’hésitez pas à lire notre brochure-synthèse sur l’analyse du fascisme proposée par l’intellectuel et militant communiste allemand Kurt Gossweiler.

L’impossible épuration et la survivance du fascisme en France

Après la défaite des forces de l’Axe, les démocraties libérales occidentales ont toutes procédé à une relative épuration des agents fascistes, nazis et pétainistes. Or, cette épuration ne fut jamais achevée. Plusieurs exemples relativement connus donnent une idée de cette faillite politique d’après-guerre. En Allemagne, de nombreux scientifiques nazis ont été récupérés par les Occidentaux pour mener la guerre froide contre le bloc de l’Est, au même titre que plusieurs dignitaires fascistes – à l’instar de Junio Valerio Borghese, fasciste jusqu’au-boutiste contacté par les services secrets américains avant la capitulation définitive de Mussolini pour préparer la politique anticommuniste à venir dans la Péninsule. Toujours en Italie, une police partisane composée de résistants communistes et différents groupes qui menèrent l’épuration par les armes, à l’instar de la Volante Rossa, ont été démantelés tandis que la République amnistiait les fascistes avec l’approbation de la direction du Parti communiste, alors le plus puissant d’Europe.

En France, les Compagnies républicaines de sécurité (CRS) sont héritées des Groupes mobiles de réserve (GMR), créées par le régime de Vichy. Les Brigades anti criminalité (BAC) assument une fonction répressive qui s’inscrit dans la continuité de la guerre coloniale en Algérie, développée dans la métropole impérialiste contre les populations issues de l’immigration. C’est Pierre Bolotte, ancien préfet de Guadeloupe qui avait fait tirer sur la foule à Pointe-à-Pitre en Guadeloupe fin mai 1967, qui expérimenta ces unités pour la première fois à Saint-Denis en 1971. Et comment ne pas parler de Maurice Papon, acteur clé de la déportation des Juifs de Gironde vers les camps d’extermination nazis sous l’Occupation, recyclé par la République qui le fit Préfet de Paris entre 1958 et 1966 – période durant laquelle il ordonna le massacre anti-algérien du 17 octobre 1961, et après laquelle il eut tout le loisir de poursuivre sa carrière politique, que ce soit comme député RPR (1968-1981) ou comme Ministre du Budget sous Valérie Giscard d’Estaing (1978-1981), avant de se retrouver dans la sauce. On pourrait aussi parler de la SDEC, du SAC et de l’OAS, mais on aura saisi l’idée.

L’influence du théoricien royaliste Charles Maurras, fondateur de l’Action française et père des concepts de nationalisme intégral et d’antisémitisme d’État, est aussi déterminante. Dans son ouvrage Le Fascisme dans son époque, l’historien et philosophe allemand Ernst Nolte qualifiait l’Action française de « premier groupement d’influence qui affichait des caractéristiques fascistes indéniables ». Une idée renforcée par le soutien accordé par le mouvement royaliste à Pétain et à l’État Français pendant l’Occupation. Or, la pensée de Maurras a fortement influencé l’écriture de la Constitution de la Ve République, ainsi que Charles de Gaulle dans sa pratique du pouvoir présidentiel, qui a perduré jusqu’à ce jour et qui a donné l’expression « monarchie présentielle ». Plus proche de nous : en 2015, Macron affirmait sans pression que la figure du roi manquait à la France et au peuple et, en février 2020, il reprenait les concepts maurrassiens de « pays réel » et de « pays légal ». Rien de très étonnant au vu de son exercice du pouvoir. En novembre 2018, Macron avait également légitimé la figure de Pétain, reprenant la vieille légende usée du « héros de Verdun » – drôle de terme pour qualifier le boucher des tranchées qu’il a été – et minorant du même coup sa participation aux crimes contre l’humanité perpétrés pendant la Seconde guerre mondiale. Enfin, en mai 2020, Macron appelait à « enfourcher le tigre » dans une métaphore psychédélique sur la peur provoquée par la pandémie de Covid au sein de la société française, paraphrasant la formule du philosophe ultra-fasciste Julius Evola, qui avait intitulé un de ses ouvrages Chevaucher le tigre.

Pour en savoir plus sur l’Action française, vous pouvez checker notre brochure ici.

Le fascisme a besoin de l’État, mais l’État a-t-il besoin des fascistes ?

Bertolt Brecht disait : « Le fascisme n’est pas le contraire de la démocratie mais son évolution par temps de crise. » Nous pouvons aujourd’hui affirmer sans aucune chance de nous tromper que c’est désormais au nom de la République que le processus de fascisation s’opère en France. Séparatisme, communautarisme, délinquance, professionnels du désordre : autant de termes utilisés par la bourgeoisie française et son État pour légitimer l’adoption de nouvelles lois toujours plus sécuritaires, racistes et antisociales, que le pouvoir justifie au nom de la défense de l’indivisibilité de la République ou bien de l’unité nationale. Tout nous porte à croire que la vieille dichotomie entre les démocraties libérales et les dictatures fascistes est un outil d’analyse politique dépassé. Une thèse qui a par exemple été développée par le politologue allemand Reinhard Kühnl, qui considérait libéralisme et fascisme comme deux formes différentes d’une même domination – celle de la bourgeoisie – et qui voyait en conséquence le fascisme moins comme une rupture que comme une évolution radicale du libéralisme. La faillite du camp républicain – qu’il soit social-démocrate ou centriste – face à une gouvernance toujours plus répressive et sécuritaire devrait nous interroger sur le caractère obsolète de ces idéologies et du républicanisme face au processus de fascisation de l’État et de la société.

Puisque la chute du régime de Vichy n’a pas été suivie d’une réelle et concrète épuration des éléments fascistes dans les institutions et l’administration française (ainsi que leurs missions), certains éléments du fascisme ont pu perdurer, participant au brouillage de la limite entre démocratie et dictature. Sans parler de l’anticommunisme ambiant et de la porosité entre milieux néofascistes et appareils répressifs d’État. Justement, ces appareils répressifs d’État sont désormais suffisamment développés pour assurer une partie des fonctions politico-militaires qui faisaient défaut il y a un siècle et qui avaient conditionné l’émergence du fascisme. La démocratie libérale est incapable de se confronter au racisme d’État et de regarder l’histoire de la France en face. En revanche, elle est parfaitement capable de détruire le Code du Travail, de réprimer la résistance syndicale, de mutiler les mouvements populaires et de criminaliser les militants révolutionnaires. Des frontières aux camps de réfugiés, la politique migratoire du micronisme est saluée et applaudie par l’extrême droite parlementaire, qui avance tranquillement ses pions. Que penser de l’étonnante porosité entre le vocabulaire du gouvernement et celui de l’extrême droite ? La majorité des polémiques médiatiques sont lancées par le gouvernement et reprennent des notions bien loin de se situer dans le « ni de droite ni de gauche » revendiqué par la majorité : l’islamo-gauchisme (un dérivé de « judéo-bolchevisme »), le « problème de l’immigration », le « communautarisme », le « séparatisme », etc.

Les symptômes de ce que certains dénoncent comme l’avènement d’une « démocratie illibérale » traduisent sans doute une situation simple mais effrayante : la bourgeoisie monopoliste n’a désormais plus besoin d’une force politico-militaire extérieure à la démocratie parlementaire pour imposer sa dictature. Selon cette hypothèse, les groupuscules néofascistes seraient dépassés, et la création et le développement d’un parti fasciste de masse capable d’arriver au pouvoir et d’instaurer une dictature terroriste au profit de la bourgeoisie monopoliste constituerait un paradigme obsolète. À quoi bon garder Génération Identitaire (oui, on y arrive enfin) puisque la police et la justice se chargent déjà de réprimer les antifascistes ? À quoi bon auxiliariser Génération Identitaire ou les Zouaves quand une police militarisée maintient déjà l’ordre en éborgnant et en arrachant des mains ? À quoi bon brûler les Bourses du Travail quand les directions syndicales versent déjà dans la cogestion ? À quoi bon interdire l’opposition politique quand celle-ci est incapable de faire passer le moindre amendement (ou presque) dans l’hémicycle, que la social-démocratie a totalement basculé dans le libéralisme économique et que le Parti communiste est dirigé par Pierre Laurent ou Fabien Roussel ?

Pour en revenir à la question initiale

Oui, la dissolution de Génération Identitaire est une victoire en trompe-l’œil. Certes, les contraintes que cette décision va faire peser sur ses membres vont pour ainsi dire alléger la charge de travail des groupes pratiquant l’antifascisme de rue. Toutefois, cette décision est avant tout un coup de communication de la part du gouvernement qui a tué Zineb Redouane et fait de Darmanin (sale violeur) le patron de la police.

Nous l’avons bien compris, la stratégie électorale de Macron dépendra principalement de la capacité de LREM à « diaboliser » ses adversaires (islamo-gauchistes conciliants avec le communautarisme et en partie responsables du séparatisme qui mine l’unité nationale – bingo !), à séduire les primo et jeunes électeurs (contrairement à TikTok, Vine n’a jamais donné de tribune à Gabriel Attal – checkmate les zoomers), et à se démarquer du Rassemblement Nationale pour incarner le « vote barrage » au second tour. Or, comment se démarquer de l’extrême droite parlementaire quand celle-ci applaudit votre racisme et votre autoritarisme ? En annonçant la dissolution de Génération Identitaire, par exemple.

Plusieurs effets pervers sont à craindre. D’une part, la surmédiatisation de ce groupuscule par les médias de masse va permettre à la bourgeoisie réactionnaire et à ses représentants de s’indigner et leur donner une tribune pour étaler leurs diarrhées verbales sur la liberté d’expression, la bien-pensance et l’immigration, contribuant ainsi à la diffusion d’un discours fascisant contre les habituels et les nouveaux boucs émissaires. D’autre part, on peut attendre du Rassemblement National qu’il absorbe une partie des identitaires et qu’il en propulse certains, un ou une porte-parole par exemple, dans le jeu parlementaire, contribuant ainsi à la normalisation de leurs idées. Enfin, on est en droit de se demander si la dissolution de Génération Identitaire empêchera vraiment ses militants de se reconstituer sous un autre nom (une tradition dans ces mouvements) ou de rejoindre les rangs d’autres groupuscules néofascistes violents.

B.M. du Groupe Révolutionnaire Charlatan

Note

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