Bonsoir,
Je travaille en interim [1] à Gennevilliers, et ce soir j’ai vu passer sur facebook un article disant que c’est officiel, la BAC a ses fusils d’assaut. J’avais lu comme beaucoup l’annonce de cette mesure, je ne sais pas trop de quand date son exécution (sans mauvais jeu de mot), mais en tous cas je me rappelle très précisément d’un truc.
Le lycée Gallilée n’était pas bloqué ce matin-là, jeudi 14, alors qu’il l’avait été jusque là, en tous cas quand il y avait grève et manif. Il n’était pas bloqué, mais il y avait quand même un peu de monde devant, plus que d’habitude je veux dire, donc j’ai compris qu’il y avait eu une tentative de blocage.
Et là, je les ai vu, veillant sur l’entrée docile des élèves et du personnel dans l’établissement, 4-5 baqueux. L’attirail de la BAC au complet, certains en civil, d’autres avec des cagoules et des gilets parre-balle, tous armés, et certains avec des fusils d’assaut.
Des fusils d’assaut contre les minots.
Apparemment, au dernier blocage, il y avait eu une bagnole de cramée. Quelle excuse de merde franchement, la même qu’en 2005 ou en 2011, la même qu’à chaque fois que la répression met le masque de l’humanitaire ou du social. Voilà par exemple ce que disait Alessi Dell’Umbria (La Rage et la Révolte, ed. Agone) vers 2005 :
L’automobile s’est imposée comme le produit-pilote de la société industrielle, et c’est logiquement que, dans les pays riches, les révoltés brûlent des voitures depuis que celles-ci encombrent les rues et qu’on a même fini par supprimer les rues, remplacées par des voies d’accès, adaptées à la circulation de ces engins. Les planificateurs n’auraient pu convevoir l’extension des banlieues - dortoirs s’ils n’avaient pu tabler sur le fait que les habitants de cette suburbia finiraient tous - ou presque - par s’équiper de cette prothèse devenue indispensable.
Ainsi
En brûlant des voitures, les jeunes s’en prenaient à des objets qui n’ont rien d’innocent. L’automobile, dans sa conception, incarne l’enfermement ; cet habitacle prolonge le domicile privé, - dont elle a d’ailleurs le statut légal, la police ne pouvant censément y pénétrer sans mandat de perquisition. Et l’automobiliste enfermé en plein embouteillage dans sa caisse avec la radio ou les CD, le portable, le chauffage ou la climatisation résument parfaitement la condition inhumaine du banlieusard : séparé radicalement des autres mais avec un minimum de confort personnel.
Mais à part ça, je ne vois pas ce que des fusils d’assaut peuvent faire contre une bagnole qui crame : un fusil c’est bien une arme à feu, vous voyez ce que je veux dire ? Ou alors c’est pour empêcher les gamins de recommencer ? Mais c’est pas un tout petit peu excessif quand même ?
En même temps faut bien voir ce que c’est que la BAC, et pourquoi ils sont aussi violents, vicieux, impunis, et prompts à faire le boulot le plus dégueulasse avec le sourire aux lèvres, en particulier dans les quartiers :
Dans les années 1930, écrit Mathieu Rigouste dans La Domination Policière, il existait officiellement une police des colonisés en métropole. La brigade nord-africaine (BNA) était composée d’une trentaine d’agents ; elle recrutait une partie de son personnel parmi le corps des administrateurs coloniaux ou des fonctionnaires en poste en Algérie. Elle quadrillait les « quartiers musulmans » de Paris, y opérait des raids et des rafles, alimentait des fichiers de surveillance politique et sociaux. (…) La BNA a été dissoute à la Libération en raison de son caractère explicitement raciste (…).
Caractère explicitement raciste qui faisait tache sur la propagande officielle d’alors. Mais cette police violemment raciste, l’État en a eu de nouveau besoin pour réprimer la main-d’oeuvre étrangère, pour la plupart issue des colonies, venue pour reconstruire le pays et travailler dans les secteurs les plus pénibles (BTP, industrie lourde, travaux domestiques, etc.) à une époque où on faisait miroiter au prolétariat blanc l’accession à la petite-bourgeoisie dite « classe moyenne » :
c’est dans ce contexte que, dès 1953, la préfecture de police amorce la formation d’une nouvelle unité de police d’inspiration coloniale : la brigade des agressions et violences (BAV), influencée par les premières unités antigang, mais calquée sur les anciennes brigades nord-africaines à peine dissoutes. (…) Composée de deux section d’enquête et de voie publique, la BAV était chargée de paralyser les résistances des colonisés et les actions du FLN comme s’il s’agissait d’une forme de criminalité ethno-culturelle. Constituée d’une vingtaine d’inspecteurs dont une partie importante était recrutée parce qu’elle maîtrisait couramment les langues d’Afrique du Nord, dotée de voiture et de radios, elle avait mission de circuler dans les quartiers « criminels » pour y « faire du flagrant délit ». La ressemblance avec les polices d’exception qui sévissent dans les quartiers populaires d’aujourd’hui est frappante. La BAV intervenait principalement la nuit, pour occuper le terrain ou pénétrer les milieux nord africains, pour soumettre et bannir les damnés en métropole. Elle a entrepris ensuite des enquêtes plus précisément liées à la lutte contre la politisation révolutionnaire des colonisés et s’est transformée en véritable « brigade antiterroriste », délaissant la « délinquance de rue » pour assumer clairement sa fonction de police politique des colonisés. Les premières brigades « anticriminalité » étaient des unités endocoloniales. Leurs effectifs n’ont cessé de croître à mesure que la révolution algérienne se développait en métropole. »
Et encore davantage après la libération de l’Algérie, puisqu’il a bien fallu reconvertir les flics qui avaient exercé sur le territoire algérien, embauchés en renfort pendant le conflit sur critère raciste (puisqu’un flic raciste risquait bien moins de pactiser avec les combattant-es pour la libération de l’Algérie).
Voilà ce qui allait donner plus tard la BAC, autre nom, mêmes méthodes.
Et aujourd’hui, l’État leur donne des fusils d’assaut, ils les sortent même pour empêcher le blocus d’un lycée.
Flippant nan ?