D’où vient ce projet de marche ?
Camille : L’idée de convoi est née pendant l’été. Ça nous semblait évident que quelque chose allait se jouer au moment de la COP21, où le gouvernement afficherait toutes ses préoccupations environnementales et chercherait à faire un grand lavage au vert, alors que dans le même temps il annonçait toujours vouloir expulser la zone à défendre (ZAD) de Notre-Dame-des-Landes pour faire son projet d’aéroport et détruire les 2 000 hectares de terres agricoles, de terres humides et d’habitats qui sont là-bas.
Il fallait absolument qu’à partir du mouvement de Notre-Dame-des-Landes, qui est assez emblématique des luttes contre l’aménagement marchand du territoire, on porte un axe fort et qui soit commun à tout le mouvement anti-aéroport. C’est comme ça que s’est dessinée l’idée d’un convoi en tracteurs et vélos. C’est quelque chose qui avait déjà été fait par le passé dans le mouvement, avant l’opération « César » [1] de 2012 : en 2011, une tracto-vélo était montée depuis Notre-Dame-des-Landes jusqu’à Paris.
Il y a aussi eu des rencontres cet été entre différentes ZAD et autres territoires en lutte, à Notre-Dames-des-Landes et aussi à Bure, lors d’un campement d’actions contre le projet de centre d’enfouissement de déchets nucléaires. C’est là que s’est dessinée l’idée de convois partant d’autres territoires en lutte (sans que ces luttes prennent forcément le nom de « ZAD ») : un convoi est parti des Lentillères à Dijon, un autre est parti de Roybon, porté par les personnes en lutte contre le projet de Center Parcs, une marche a été montée par celles et ceux qui luttent contre la ligne à grande vitesse du côté d’Agen...
Le projet était aussi de profiter de la route jusqu’à Paris pour ranimer le réseau de comités de soutien à la lutte contre l’aéroport de Notre-Dame-des-Landes. Le convoi a d’ailleurs pris encore plus de sens à l’automne, quand on a vu que les menaces du gouvernement concernant le démarrage des travaux et l’expulsion de la ZAD allaient croissant. Ils annonçaient même qu’ils se préparaient à revenir en janvier ou février. A ce moment-là, on était dans un moment assez fort de mobilisation contre l’idée de les laisser revenir : s’ils reviennent sur la ZAD, il faut que tout le monde soit prêt à réagir très fortement. Le convoi était donc aussi un moyen d’affirmer qu’ils n’expulseraient pas la ZAD.
Et puis, comme les sommets sur le climat sont souvent des grands moments de masse, on voulait porter quelque chose de très concret, de très fort et d’enraciné, qui vienne amener du sens politique depuis ce qui se créé à la ZAD : d’un côté, l’idée qu’on peut arrêter ici et maintenant leurs projets nuisibles ; et d’un autre côté, l’idée qu’on peut inventer d’autres formes de vie, qui sortent un peu de l’économie, de la marchandisation du monde, d’autres manières de cultiver, d’habiter, de vivre.
Avez-vous eu des contacts avec d’autres mouvements de lutte en Europe, comme la lutte NO-TAV contre le projet de ligne à grande vitesse entre Lyon et Turin ?
Camille : On se sent très proche du mouvement NO-TAV, il existe une forte solidarité, voire une sorte de jumelage entre nos mouvements. Mais eux n’ont pas souhaité former de convoi à ce moment-là. J’imagine qu’ils seront aussi présents, à leur manière, lors de la COP21.
A la suite des attentats de Paris, le gouvernement a manifesté sa volonté de poser une chape de plomb sécuritaire sur toutes formes de manifestation ou de contestation sociale ou environnementale, et sur tout ce qui devait se dérouler lors de la COP21. A ce moment-là, le convoi a pris un autre sens. Dès le lendemain de notre départ, alors qu’on était encore en Loire-Atlantique, plusieurs centaines de policiers ont bloqué le passage du convoi, et nous ont signifié l’interdiction d’entrer en Ile-de-France : on n’arriverait pas jusque-là, parce que toutes les manifestations y seraient interdites. Nous avons tous refusé de donner nos identités, de nous plier aux demandes des gendarmes, et nous avons déclaré que nous irions quand même jusqu’en Ile-de-France, qu’on ne céderait ni aux pressions, ni aux menaces. Le convoi est alors devenu une forme de contestation de l’état d’urgence, une manière de braver en actes l’état d’urgence, les interdictions de manifester et les politiques répressives qui se sont mises en place.
Nous avons toujours dit qu’il était important et nécessaire qu’existe une contestation dans la rue lors de la COP21. Notre convoi rejoint donc tous les appels à braver l’état d’urgence et à manifester dans les prochains jours.
La lutte contre l’aéroport de Notre-Dame-des-Landes regroupe des individus et des collectifs très divers. Est-ce que ça se reflète dans la composition du convoi ?
Camille : Le convoi s’est monté avec le soutien de tous ceux qui composent le mouvement anti-aéroport : les associations, les paysans, les occupants de la ZAD, les collectifs de soutien des alentours... L’allure de ce convoi, et tout ce qu’on y vit depuis six jours, reflètent bien cette diversité. Il y a des gens de tous les âges, qui ont des manières différentes d’appréhender la lutte, et pour qui c’est aussi l’occasion de se rencontrer et de vivre une aventure forte ensemble. Les menaces du gouvernement, la répression, les différents obstacles qu’on a rencontrés sur la route et qu’on a réussi à surmonter ont vraiment soudé le groupe.
Au-delà des personnes qui participent au convoi, les rencontres quotidiennes avec les comités locaux qui nous accueillaient ont bien montré combien le mouvement anti-aéroport et pour la ZAD est encore vivant dans plein d’endroits. A chaque fois, on a reçu un accueil incroyable, avec plusieurs centaines de personnes qui nous attendaient aux carrefours, dans les rues, préparaient des festins, nous accueillaient en chanson, nous hébergeaient... Il y a eu un tas de soirées de discussion qui présentaient ce qui est en train de s’inventer sur la ZAD en termes d’habitat, d’agriculture, de formes de vie collective, d’expériences sociales... Il y a une curiosité énorme sur ces questions, et une envie d’aller au-delà de l’image caricaturale et folklorique que peuvent donner les médias officiels. Ces moments de rencontres font partie des choses très belles qui se sont produites pendant le convoi.
Après la tentative de contrôle d’identités massif, le préfet d’Eure-et-Loir a voulu vous interdire de traverser le département, et la commune de Saclay, qui était le point d’arrivée prévu du convoi, a été déclarée « zone de sécurité prioritaire ». Où en sont les tentatives de blocage du convoi ?
Camille : Nous avons enchaîné les surprises, les retournements de situation et les obstacles surmontés. La préfecture d’Eure-et-Loir nous a signifié que toute manifestation était interdite sur son territoire — que nous devions traverser avant d’arriver dans les Yvelines —, et que nous ne pourrions pas entrer dans le département. On a prévenu publiquement que, comme chaque jour, on continuerait à avancer, qu’on tenterait quand même de traverser l’Eure-et-Loir, et qu’on verrait bien ce qui se passerait si on était bloqués. Cette position, relayée par nos réseaux de soutien et par la presse, a conduit la préfecture à nous recontacter pour nous dire que finalement, elle ne considérait plus notre convoi comme une manifestation, et qu’elle nous laisserait traverser...
Depuis le début, on nous répétait qu’on ne nous laisserait pas entrer en Ile-de-France. Nous on a toujours dit : « On continue, on s’en fout, on est ensemble, on verra bien ce qui se passe, mais il n’est pas question qu’on s’arrête et qu’on se détourne de notre objectif ». Et on a appris hier soir que la préfecture des Yvelines avait finalement changé d’avis, et assurait notre libre circulation dans le département. Ce soir, on dormira à Émancé, on est déjà en Ile-de-France, et demain on continue notre route. C’est une victoire par rapport à ce qui nous avait été annoncé en début de semaine.
On devait être à Saclay ce soir, mais la commune est désormais blindée de policiers et de militaires. On a donc décidé de faire étape plus tôt, et on se dirige vers Paris. On a été rejoints aujourd’hui par les convois de l’Est et d’Agen, on est de plus en plus nombreux, c’est assez joyeux. Demain, on sera à Paris pour un grand banquet et pour se joindre à toutes les manifestations qui braveront l’état d’urgence et dénonceront l’hypocrisie de la COP21 dans les jours à venir.
Propos recueilli par A. et B.