Coupe du Monde 2018 : la joie et la rage mêlées sur les Champs-Élysées

« On veut vraiment finir bien, avec le sourire, faire péter la France. »
Paul Pogba, 13 juillet 2018.

« Tout niquer sur les champs c’est comme un rêve d’enfants, tous banlieusards mis au ban, rats des villes et des champs, des cauchemars qui nous hantent comme des rêves attachants, des lendemains qui déchantent comme des refrains tranchants. »
Enedeka Maska, SKP, 2013.

Ah cette Coupe du Monde, comme c’était kiffant, avec ses surprises (l’Allemagne sortie au premier tour avec une dernière défaite contre la Corée du Sud, l’Espagne éliminée aux tirs aux buts en 8e par la Russie, le Japon à deux doigts d’éliminer la Belgique qui finalement se qualifie et bat le Brésil...), et les matches de l’équipe de France qui sont de plus en plus enthousiasmants au fil du tournoi, avec Kanté, Griezmann, Mbappé, Varane, Pogba, Lloris et les autres qui nous font vivre des scénarios de oufs depuis les 8e contre l’Argentine jusqu’à la finale contre la Croatie ! Trop bon ! Merci les gars !

Mais on n’est pas dupes non plus. Cette joie est éphémère, et surtout, elle est systématiquement récupérée par le pouvoir, quel que soit le président en place, quel que soit le contexte politique. Alors Macron qui se tape l’incruste, qui claque des bises aux joueurs comme si c’était ses potes, on sait très bien qu’il est en mode récupération et ratissage [1], que c’est un moyen de nous faire oublier que la politique de son gouvernement est aussi merdique que celle des précédents gouvernements, si ce n’est pire. Et c’est sûrement pire, en fait.

En juillet 1998, ça avait pété dans la joie après la première victoire finale en Coupe du Monde. En 2006, ça avait pété aussi après les victoires des bleus en quarts et en demi (avec des matches de dingo de la part de Zizou), mais pas après la finale perdue contre l’Italie. Perso, je serais plutôt tenté de tout péter quand on perd, mais bon, la vérité c’est que ça me va de tout péter quelles que soient les circonstances. Tant qu’on vivra dans un monde d’exploitation et d’inégalités sociales, on aura raison de (vouloir) tout péter.

Ce dimanche 15 juillet, après la victoire des bleus en finale contre la Croatie, des centaines de milliers de personnes sont sorties fêter ça dans la rue, et c’est parti en émeute un peu partout en France, de Paris à Marseille, en passant par Lyon, Strasbourg, Rouen, Grenoble, Nantes, etc.

À Paris, il y avait une sorte de "lâcher prise" un peu partout, dans le métro, le RER et dans les rues, ça klaxonnait de partout, ça gueulait, et des centaines de milliers de personnes se sont retrouvées sur les Champs-Élysées et dans les rues autour. Des gens de toutes les générations, de toutes les couleurs, de tous les coins de l’Ile-de-France (et d’ailleurs), et forcément, tout le monde n’était pas là tout à fait pour les mêmes raisons. Fêter la victoire finale en Coupe du Monde, bien sûr, c’était le dénominateur commun. Mais dans les VIIIe et XVIe arrondissements de Paris, l’avenue des Champs-Élysées, les coins les plus outrageusement bourgeois de Paris, avec des flics anti-émeute à tous les coins de rue, on peut comprendre qu’un bon nombre des personnes venues fêter la Coupe du Monde aient voulu en profiter pour mêler la rage à leur joie !

La liesse collective qui fait suite à la victoire des bleus fait oublier nos soucis personnels et nos galères quotidiennes pendant quelques heures, voire quelques jours, mais la réalité sociale est tenace et remonte vite à la surface : c’est la merde à l’école, au taf, avec les administrations sociales, avec les proprios ou les agences pour le logement, avec les autorités en général (et les flics en particulier), et tout ça n’est pas près de changer...

Alors Macron, remballe ton sourire et calme ta joie avec ta récup’ politique tellement prévisible !

Je ne sais pas exactement comment les affrontements ont commencé sur les Champs, si c’est les flics et leurs attitudes de merde qui ont mis le feu aux poudres, ou si c’est quelques énervé.e.s qui ont commencé à les caillasser, mais dans les deux cas, la révolte est bien compréhensible, et nécessaire.

De mon point de vue, au milieu de centaines de personnes sur les Champs-Élysées, j’ai d’abord vu des flics balancer des palets de lacrymogène près de la foule et y créer un effet panique assez flippant. Des dizaines de milliers de personnes qui refluent sur un terrain bondé de gens, c’est pas évident. Et encore moins dans un contexte où l’expérience des manifs et des émeutes manque à l’énorme majorité des gens présent.e.s. Il y a quand même eu de bons réflexes d’entraide, même si le sérum physiologique pour nettoyer les yeux attaqués par la lacrymo manquait cruellement. Parce qu’on a fini par être sérieusement noyé.e.s dans les gaz lacrymogènes !

Alors la rage a redoublé et de plus en plus de gens se sont mis à caillasser les flics, en plusieurs endroits des Champs-Élysées, pendant quelques heures, les flics ripostant systématiquement par des gaz lacrymogènes, puis en fin de soirée avec quatre canons à eau. Et pendant toute cette soirée, de beaux moments ont rendu la fête mémorable : le pillage de plusieurs magasins sur l’avenue des Champs-Élysées et sur l’avenue de la Grande Armée : notamment le Drugstore Publicis, un Intermarché, un magasin de scooters, un kiosque à journaux, ... La casse et/ou la tentative de pillage mise en échec du magasin Adidas et de la boutique officielle du Paris-Saint-Germain (cette dernière étant d’abord protégée par les flics, puis tristement gardée par des supporters zélés du PSG), d’un magasin Yves-Rocher, etc. Des barricades enflammées, notamment sur l’avenue Franklin D. Roosevelt, des arrêts de bus et des panneaux de pub pétés, des voitures renversées et/ou cramées, en plus des habituels pavés et autres bouteilles, des feux d’artifice servent de projectiles contre la police, cette ambiance émeutière gagnant un périmètre assez large, c’était le chaos dans les rues les plus riches de Paris, un très grand moment [2] ! Largement à la hauteur de cette belle Coupe du Monde.

Le Drugstore Publicis
Le Drugstore Publicis
Les flics reculent lors de l’attaque de la boutique du PSG
Nouvelle déco pour la boutique officielle du PSG
Détournement sur l’avenue des Champs-Élysées

Notes

[1Mais alors bien sale, pas comme N’golo Kanté !

[2Seule ombre au tableau, près d’une centaine de gardes-à-vue auraient été effectuées sur Paris...

Localisation : Paris

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