Le Malaqueen, centre social autogéré à Malakoff, est de nouveau menacé d’expulsion.
Le collectif, composé d’une quarantaine d’habitante·s, occupe depuis mai 2021 des bureaux laissés vacants, situés au 55 rue Étienne Dolet (entrée au 70 rue Gallieni).
Après un premier ordre d’expulsion tombé fin août 2022, une lutte victorieuse menée par les habitant.es et les soutiens (de Malakoff et d’ailleurs) a permis de gagner la trêve hivernale. Mais le 1er avril marque la fin de la trêve et le deuxième ordre d’expulsabilité est tombé : nous sommes expulsables à partir du 3 avril.
Le Malaqueen est un lieu de vie, d’accueil et d’habitation pour personnes précaires de tous horizons, que cela soit dû à une situation administrative, médicale, familiale, sociale ou politique (familles, exilé·es, étudiant·es, personnes queer en rupture familiale, travailleur.ses pauvres, chomeur.euses, etc.). Mais c’est aussi un lieu social, solidaire et culturel ouvert sur le quartier et au-delà.
Aujourd’hui, Le Malaqueen fait partie intégrante de la vie de son quartier. Il accueille des ateliers céramique, musique, écriture, photographie, couture, réparation d’objets ou encore installation de logiciels libres. Toutes ces activités ont été mises en place par les habitant·es du squat ou par des ami·es, collectifs et voisin·es. prêt·es à transmettre leurs compétences, outils et savoirs. Des cantines solidaires y sont organisées, des cours de français dispensés, ainsi que des consultations psychologiques professionnelles et des temps d’entraide administrative. On y trouve également une gratuiterie et une bibliothèque éphémère.
Le lieu accueille de nombreux événements artistiques (concerts, spectacles, scènes ouvertes, vernissages, résidences d’artistes, projection de film…). Nous ouvrons nos portes pour des rencontres, des discussions et des débats et nous mettons à disposition différents espaces (salle de répétition, salles de réunions, salles polyvalentes...). Enfin, le lieu s’insère dans un réseau francilien de collectes/redistributions (alimentaires, vestimentaires, meubles etc), qui bénéficie aux personnes précaires habitants dans et autour du Malaqueen.
Évoluer en dehors de la sphère marchande - choix permis par notre condition de squat - nous permet d’accueillir ces activités gratuitement ou à prix libre. La pression économique en Île-de-France qui pèse sur tout lieu culturel et de sociabilité (qu’ils soient institutionnels ou privés) rend par répercussion leur accès de plus en plus cher, excluant ainsi les plus précaires. Tout comme nous refusons le mal logement, nous refusons cet état de fait qui confisque le lien social aux plus pauvres et revendiquons une culture par et pour toustes, s’inscrivant dans les principes de l’Éducation Populaire.
Le bâtiment que nous occupons, vide depuis 2019, a été racheté par Lazard Group Real Estate en 2020, (PDG François Lazard, 148e fortune française), une société spécialisée dans l’immobilier d’entreprise. Cette entreprise prévoit de raser le bâtiment pour y construire un immeuble de bureaux de 7 étages. C’est un projet écocidaire, archaïque et anti-social.
Ecocidaire tout d’abord. Le secteur du BTP est responsable à lui-seul de 3/4 des déchets liés aux activités économiques et de 7% de l’émission des gaz à effet de serre en France. Le projet de destruction du Malaqueen, comme de trop nombreux grands projets inutiles, s’inscrit dans une guerre contre le vivant.
Archaïque ensuite. Acheter, démolir, reconstruire et revendre des bureaux, alors même que le nombre de mètres carrés de bureaux vides ne fait qu’augmenter en Île-de-France, démontre que la démarche relève davantage de la spéculation immobilière que de besoins concrets (selon l’analyste privé ImmoStat, 4 082 000 m² de bureaux restent vides en Île-de-France en 2021, en hausse de 8 % par rapport à son niveau un an auparavant).
Anti-social enfin. Cette spéculation immobilière rend inaccessible l’accès au logement pour un nombre croissant de résident·es en France. Le projet de Lazard Group se fait au mépris des habitant·es du quartier Etienne Dolet, dont une bonne partie est hostile à la création d’une énième tour de bureau.
Nous faisons face à une crise du logement sans précédent. Une crise totalement artificielle puisqu’on dénombrait 3,116 millions de logement vacants en France métropolitaine au 1er janvier 2020 (Insee). Malakoff, comme toute une partie de la petite ceinture parisienne, se transforme peu à peu en un grand parc de bureaux vides et sans vie, tandis que les classes populaires sont sans cesse repoussées plus loin en périphérie, suivies de près par les classes moyennes. Mais Lazard Group veut tout de même construire au 55 rue Étienne Dolet un nouvel immeuble pour accueillir des entreprises alors qu’il suffit de traverser la rue pour trouver des bureaux inoccupés !
Le Malaqueen n’est malheureusement pas le seul lieu solidaire et collectif menacé début avril ; la fin de la trêve hivernale entraînera l’expulsion de nombreux autres squats sans relogement pérennes. Sans compter les expulsions violentes advenues pendant l’hiver, souvent en toute illégalité, qui ont remis à la rue de nombreuses personnes dans des conditions plus que traumatisantes.
Nous dénonçons un discours hypocrite, en plus d’être mensonger, à l’encontre du mouvement squat.
Lors de notre jugement, la juge et l’avocate de Lazard Group, ont toutes deux reconnues l’utilité sociale voire "humanitaire" de notre démarche, mais ont invalidé sa légitimité en arguant que ce n’était pas aux particuliers de palier le manque de logements décents et d’espaces communs, mais à L’État et aux collectivités. Or, malgré cette obligation légale, le nombre de personnes sans logement ou mal-logées croît démesurément d’années en années. Cette rhétorique, souvent brandie pour expulser un squat, délégitime toute tentative d’organisation collective qui ne rentre pas dans les cases préétablies par les institutions. Par ailleurs, les relogements d’urgence dont les squatteur·ses bénéficieraient après leur expulsion correspondent rarement à des logements sociaux pérennes, mais plutôt à quelques nuits au 115 dans des espaces insalubres, exiguës et souvent violents, avant un retour quasi certain à la rue, plus violente encore. Enfin, l’État, toujours prompt à nous expulser à grand renfort de coûteuses forces de l’ordre, est le premier à rediriger vers les squats, directement ou via des associations, les personnes qu’il prétend ne pas pouvoir prendre en charge.
Face à nous, le système judiciaire étatique resserre son étau. De manière générale, pour les squats, les procédures juridiques s’accélèrent et les indemnités journalières d’occupation augmentent de façon exponentielle (au Malaqueen, le délai d’expulsion après jugement a été de 2 mois, et seule la lutte nous a permis de rester plus longtemps). Il y a encore quelques décennies, des squats comparables au notre pouvaient tenir jusqu’à plus de 10 ans ! Ce changement de temporalité rend presque impossible les tentatives d’organisation collective. Aujourd’hui, dès qu’un lieu commence à s’implanter sur un territoire, à proposer d’autres pratiques sociales, à s’extraire de l’urgence et de la survie, à peine a-t-il le temps de créer du lien entre habitant·es du squat et du quartier, qu’il est déjà menacé d’expulsion.
Alors que la situation est déjà catastrophique, le gouvernement s’apprête à faire voter une énième loi anti-pauvre dans la droite ligne des lois liberticides et anti-sociales dont il est coutumier ; une attaque de plus faite au droit au logement : la Loi Kasbarian-Bergé.
Cette loi pénalise aussi bien les squateureuses que les locataires précaires (qui pourront être expulsés de leur logement dès le premier mois de retard de paiement). En plus des loyers impayés pour les uns et des indemnités journalières d’occupation pour les autres, cette loi condamne à payer des amendes automatiquement prélevées de 15000 euros pour les locataires à 45000 euros pour les squateureuses et jusqu’à trois ans de prison pour ces dernièr.es.
Présentée dans les médias comme une loi protégeant « les logements contre les occupations illicites » et les « petits propriétaires », cette loi protège en réalité les rentes de la minorité des grands propriétaires (3,5%) qui possèdent plus de la moitié des biens en location. De plus, elle s’étend aux biens « à but économique », c’est à dire aux bureaux et aux entreprises (même abandonnées depuis longtemps). Par conséquent, cette loi pourra aussi être appliquée aux ouvrièr.es occupant leurs usines, qui seront ainsi considéré.es comme squateureuses et traité.es en tant que tel !
Contrairement à ce qu’avance la propagande bourgeoise à grand coup de faits divers isolés et souvent tronqués, l’immense majorité des lieux squattés est constituée « d’immeubles à but économique » très souvent propriété de multipropriétaires richissimes et de grandes sociétés spéculatives et non de domiciles de « petits propriétaires ». Le mythe du squatteur, couteau entre les dents, squattant et ravageant méthodiquement les pavillons des particuliers est un mythe qui ne repose sur aucune réalité tangible. Elle rappelle étrangement le mythe que les Versaillais, en 1871, racontaient à propos de La Communes de Paris. Les Communards étaient dépeints dans la presse bourgeoise comme des barbares risquant à tout moment de venir dépouiller les terres des malheureux paysans. Tout cela dans le but de monter à peu de frais la fameuse armées des Versaillais qui massacra la Commune pendant la semaine sanglante, armée composée en grande partie de paysans, souvent pauvres, mais manipulés par la classe dominante et terrorisés à l’idée d’être volés par plus pauvres qu’eux !
Ne laissons pas la bourgeoisie nous diviser une fois de plus et unissons-nous !
De plus, cette loi ne résoudra en aucun cas la crise du logement et ses conséquences. En effet, il serait naïf de croire que les milliers de personnes, y compris les familles, mises à la rue par la loi Kasbarian-Bergé, resteront dehors dans le froid ou les fortes chaleurs, prostré.es sagement devant des bâtiments vides, sans chercher à se mettre à l’abri, ne serait-ce que pour quelques nuits ! Ironiquement, alors qu’elle empêchera les squats autogérés d’exister en réduisant toujours plus les procédures, cette loi, en multipliant les expulsions risque aussi de multiplier les squats ! Des squats de misère, rapidement expulsés dans la violence et l’indifférence, et dont les occupant.es criminalisé.es n’auront d’autre choix que de squatter de nouveaux, dans l’urgence et l’extrême précarité. L’ère du chacun.e pour soi et de la survie pour toustes, sans aucune alternative possible ! Le monde rêvé par les capitalistes qui nous gouvernent !
Ce n’est pas que le squat que cette loi et ce gouvernement veulent anéantir, c’est bien la solidarité et l’auto-organisation des classes populaires.
L’expulsion du Malaqueen, l’expulsion de tous les squats et de tous les locataires précaires, la Loi Kasbarian-Bergé comme la réforme des retraites, la loi Darmanin (loi de disciplinarisation et marchandisation absolue de la force de travail du prolétariat international) ou la loi Olympique (loi sécuritaire), tout cela résulte du même projet de société ultra-libérale, réactionnaire et autoritaire porté par le gouvernement. Rester impuissant·es face à la destruction de nos cadres et conditions de vie par la spéculation, la gentrification, les grands projets urbanistiques hors sol et les lois scélérates n’est pas une fatalité ! Nous pouvons et nous devons nous réapproprier la ville et nos vies ! Nous pouvons et nous devons renverser ce rapport de force !
Pour toutes ces raisons, Le Malaqueen résistera aussi longtemps que possible et d’autres squats ouvrent et ouvriront aussi souvent que nécessaire.
La réquisition de bâtiments vides est non seulement légitime mais aussi indispensable à l’émergence d’une société basée sur d’autres principes que celle de l’ultralibéralisme. Nous revendiquons notre droit à agir sur notre environnement immédiat, nous revendiquons le droit à la ville. Nous sommes solidaires de toutes les luttes actuelles dont nombre d’entre elles s’organisent justement à partir des squats, derniers espaces non-marchand dans nos villes aseptisées.
Pour s’informer et s’organiser pour la lutte au Malaqueen et contre la loi Kasbarian : deux rendez-vous toutes les semaines.
Tous les mardis à 19h : AG publique d’information et d’organisation contre la Loi Kasbarian
Tous les jeudis à 19h : AG publique autour de l’avenir du Malaqueen.
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