Nous devons construire la convergence des luttes afin de permettre au mouvement social d’acquérir la force d’impact nécessaire pour faire reculer le gouvernement. Cependant, si la convergence s’articule autour des objectifs immédiats, des revendications précises annoncées pour la manifestation du 12 septembre, il est de notre devoir de ne pas laisser cette immédiateté aliéner la convergence.
Construire la convergence est tout-à-fait possible. Mais ce qui compte plus que tout, c’est de parvenir à inscrire la convergence dans le temps. Comment ? Peut-être qu’il faut établir trois temporalités de lutte, pour commencer, en permettant à chacun.e de partir de son côté, et de retrouver les autres, non pas au bout du chemin, mais en route. Quelles temporalités ?
La convergence des luttes va d’abord se construire autour d’objectifs directs et des problématiques strictement actuelles, instituant des objectifs sur le court-terme. Parmi ces objectifs, nous pouvons citer, entre autres : la suppression de la Loi Travail XXL, la régularisation des sans-papiers, l’égalité des droits pour les migrant.e.s, la régularisation et la fin des expulsions des squats, l’interdiction de certains produits phytosanitaires, l’annulation des projets barbares de poubelle nucléaire à Bure et d’aéroport inutile à Notre-Dame-Des-Landes, la criminalisation réelle des agressions sexuelles, la suppression des écrans publicitaires dans les stations de métro, la condamnation des violences policières, la vérité et la justice pour les victimes de la police, etc. Autant d’objectifs qui pourraient être atteints rapidement, à travers l’institution de nouvelles lois, ou bien l’annulation de certaines lois. C’est schématique et réducteur, mais c’est peut-être ça la convergence des luttes sur le court-terme : une esquisse grossière, mais suffisamment indéfinie pour assurer son développement futur.
Tous ces objectifs de court-terme ont une vocation de moyen-terme. Cela peut être, par rapport aux exemples précédents : de sauver des acquis sociaux en temps de crise, d’endiguer les violences policières sur les migrants, de créer des réseaux de solidarité locale, d’empêcher des désastres écologiques, de créer des mécanismes judiciaires fonctionnels pour condamner les agressions sexuelles ou policières, etc. Le moyen-terme est à percevoir comme la mesure des conséquences découlant des objectifs de court-terme. Il en va ainsi car les objectifs de court-terme voient au-delà d’eux-mêmes : ils s’inscrivent dans une certaine vision de la société, obéissent à certaines logiques idéologiques ou morales, et tendent à dessiner un monde nouveau. Déjà dans le moyen terme, les liens qui existaient entre les objectifs à court-terme se trouvent renforcés. En effet, la convergence des luttes peut prendre des aspects égoïstes à ses débuts : on se bat avant tout pour ses objectifs. Mais nos objectifs sont liés, et il ne faut pas beaucoup de temps pour réaliser que nous regardons plus ou moins dans la même direction.
Naturellement, l’objectif à long terme de la lutte est l’instauration d’un nouveau modèle de société. Les luttes syndicales, féministes, antiracistes, antifascistes, écologiques, etc. s’y retrouvent. Si la convergence des luttes se construit à partir d’objectifs particuliers, c’est cette somme de particuliers qui correspond au modèle de société que la convergence des luttes peut aider à construire.
Le principal risque de la convergence des luttes et de s’essouffler naturellement au fil des différentes victoires. Toute la difficulté réside sans doute dans le maintien de son unité. Par exemple : si les revendications du Front Social étaient acceptées et que le Front social annonçait la victoire et la dissolution, c’est tout le mouvement social qui se trouverait pénalisé. Il n’existe aucune recette miracle pour parvenir à la construction d’un mouvement social solide et d’une convergence des luttes durable. Nous ne pouvons que proposer des pistes, et attendre le jugement de l’Histoire.
Une piste possible, pour prévenir le risque de désagrégation, serait d’établir une liste commune de revendications. En d’autres termes, de fusionner nos objectifs et de les défendre tous, ensemble. Si une revendication est satisfaite, la totalité des forces en lutte doit alors assumer sa part dans la convergence, c’est-à-dire continuer la lutte au sein du mouvement social. Une telle tactique repose sur le refus du compromis. La convergence des luttes demande ce refus.
Refuser le compromis, c’est optimiser la force d’impact du mouvement social et de ses forces… mais c’est aussi participer à la création des conditions préalables au renversement du pouvoir, car c’est en choisissant de lutter ensemble et jusqu’au bout que les liens entre nos différents objectifs nous paraîtront véritablement évidents, et que notre nouvelle organisation sociale verra ses traits s’affiner.
Refuser tout compromis, c’est refuser de participer à la survie du système et de sa barbarie ; c’est travailler à la destitution du vieux monde. C’est refuser que perdure les tares hiérarchiques, l’exploitation salariale, le patriarcat, la culture du viol, l’impunité policière, la politique sécuritaire, le capitalisme, le néocolonialisme, le racisme, le fascisme, etc. et leurs conséquences.
Le refus du compromis doit s’accompagner de l’acceptation et de la défense de la diversité des tactiques. Il faut empêcher tout service d’ordre de se mettre en place au sein des forces du mouvement social. Il faut accepter que certain.e.s choisissent la violence comme moyen de lutter. Il n’est nullement question ici d’adopter cette violence. Il s’agit plutôt d’accepter la légitimité de la violence contestataire, ce qui revient à accepter que la légitimité des moyens de la lutte dépend exclusivement de la personne concernée, qui pense ses actes et sait ce qu’il-elle fait.
Si nous devons refuser tout compromis avec le système, il ne faut surtout pas considérer la convergence des luttes sous le même paradigme de confrontation. Si nous combattons un système qui nourrit des intérêts opposés aux nôtres, nous n’avons pas à envisager nos divergences comme des obstacles à éliminer. De même que la diversité des tactiques admet l’hétérogénéité de la lutte, la convergence des luttes doit admettre l’hétérogénéité du mouvement social. Si c’est à l’autogestion que nous aspirons, alors nous devons accepter le fait que les divergences se régleront à petite échelle, entre les personnes directement concernées. Dans cette optique, il serait illégitime de décider, à travers un organe institutionnel centralisé, de l’homogénéisation du mouvement social. Les rapports de forces varient selon les espaces vécus, et reconnaître le principe d’autogestion implique de rejeter toute ingérence.
La convergence des luttes doit être hétérogène. Mais il ne faut pas s’affoler : sa nature hétérogène sera un atout face à un pouvoir qui cherche absolument à isoler les éléments du mouvement social, à identifier les comportements et les débordements, à distinguer des éléments perturbateurs en son sein. La convergence des luttes doit être l’occasion pour le mouvement social de devenir un pur débordement. Il ne faut pas avoir peur des mots : les forces sociales doivent déborder du monde qui les séquestre, elles doivent en briser les murs, refuser d’obéir à ses chefs et faire passer la solidarité envers les camarades avant la soumission à l’ordre établi.
N’attendons pas le 12 septembre pour observer la convergence des luttes : construisons-la dès à présent, partout où nous le pourrons. Le gouvernement s’attend à une rentrée sociale corsée ? Faisons-lui la surprise d’un mouvement social uni et déterminé, gonflé à bloc. Ne faisons pas à Macron le plaisir de voir la convergence des luttes se forger dans les cortèges : organisons-la en amont et prenons-le de court !
« L’organisation n’est que la pratique de la coopération et de la solidarité » (Errico Malatesta, Il Risveglio, octobre 1927)
ORGANISONS-NOUS !